05-08-2025
Tribunal fédéral: protection des lanceurs d'alerte de l'EPFL
Dénonciation de la part d'étudiants
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Le Tribunal fédéral protège les lanceurs d'alerte de l'EPFL
Un professeur a porté plainte pour calomnie après l'envoi d'une lettre critique à son égard. Mais l'identité des auteurs de cette lettre ne sera pas dévoilée pour le moment.
Marie Maurisse
Les noms des étudiants ayant dénoncé un professeur ne doivent pas être transmis à la justice à la suite de la plainte du professeur concerné, vient de décider le Tribunal fédéral.
24 heures
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En bref : Le Tribunal fédéral maintient sous scellés une lettre d'étudiants critiquant un professeur de l'EPFL.
L'EPFL refuse de transmettre l'identité des signataires.
La justice reconnaît à l'EPFL le droit de préserver le secret de fonction.
Les plaintes augmentent continuellement depuis 2019 à l'EPFL.
C'est l'histoire d'une missive signée par un groupe d'étudiants et datée du 21 mars 2023, qui atterrit sur le bureau de Pierre Dillenbourg. Ce docteur en informatique et professeur à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est aussi vice-président associé pour l'éducation, dont la mission est de «veiller au bon fonctionnement du système éducatif».
Le contenu précis de cette lettre n'est pas connu. Mais, en substance, elle se montre critique envers un professeur de l'école, dont «24 heures» ignore l'identité. Quelque temps plus tard, l'enseignant reçoit une copie caviardée et anonymisée de la lettre. Il porte plainte le 15 mai de la même année pour calomnie et subsidiairement diffamation. Pour mener son enquête, le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne réclame donc à l'EPFL et à Pierre Dillenbourg l'original de la lettre.
«Secret de fonction»
L'intéressé refuse cette demande, en précisant qu'«après une pesée attentive des intérêts en présence, l'EPFL estime qu'il est de sa responsabilité d'institution formatrice […] de préserver la carrière estudiantine et professionnelle des signataires: la très grande majorité de ceux-ci sont en effet encore amenés à passer des examens ou à réaliser des travaux pratiques soumis à évaluation au sein de la haute école». Le Parquet insiste en rappelant que l'entrave à l'action pénale est punie par la loi. En octobre 2024, l'EPFL finit par copier l'original de la lettre dans une clé USB placée sous scellés, en estimant que celle-ci est couverte par le secret de fonction.
Tout comme les journalistes protègent leurs sources, la direction de l'EPFL doit-elle protéger l'identité de ses étudiants lorsqu'ils font une dénonciation? La question a occupé ces derniers mois la justice vaudoise, puis fédérale. «Non», a d'abord répondu le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud le 12 novembre 2024, qui a conclu à la levée des scellés.
Le Tribunal fédéral maintient les scellés
«Oui», l'a finalement contredit le Tribunal fédéral. Dans un arrêt daté du 16 juin 2025, les juges de Mon-Repos ont annulé cette levée des scellés, en considérant que c'est à l'autorité compétente de l'EPFL de décider ou pas de transmettre à la justice l'identité des signataires de la lettre, et non pas au Tribunal lui-même. En clair, seule la hiérarchie d'un fonctionnaire peut le délier de son secret professionnel, et non pas un juge.
Les scellés sont donc maintenus pour le moment. Sur toute l'histoire, l'EPFL ne donne aucune précision. «La cause ayant été renvoyée au Tribunal des mesures de contrainte pour nouvel examen, nous ne pouvons pas entrer dans les détails de l'affaire», répond son service de presse.
Les lanceurs d'alerte ne sont pas assez protégés en Suisse
Selon le rapport 2023 du «respect compliance office», les plaintes reçues à l'EPFL sont en augmentation continue depuis 2019. En 2023, elles portaient en majorité sur des faits présumés de harcèlement psychologique. Au sein de l'institution, les lanceurs d'alerte sont protégés par la Directive sur les risques psychosociaux et par celle sur le processus de lancement d'alerte. Cette dernière prévoit cependant une exception à la confidentialité des dénonciations, notamment en présence de procédures judiciaires.
Pour Jean-Pierre Méan, avocat et ancien président de la section suisse de l'ONG Transparency International, «cet arrêt du Tribunal fédéral est une bonne nouvelle pour les lanceurs d'alerte, qui doivent à tout prix être protégés». Dans un rapport rendu en juin dernier, l'OCDE conseillait à la Suisse de «mener sans tarder des réformes législatives pour protéger les lanceurs d'alerte dans le secteur privé».
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Marie Maurisse est journaliste société à la rubrique Vaudoise. Active depuis près de 15 ans dans le domaine et spécialisée dans l'enquête, elle a cofondé le média spécialisé Gotham City, réalisé plusieurs documentaires et écrit deux livres. Plus d'infos
@mariemaurisse
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