6 days ago
« Hiroshima, la course vers l'apocalypse » sur France 2 : « Le débat le plus complexe du siècle »
Le film « Oppenheimer » (2023) de Christopher Nolan a fait découvrir à 4,5 millions de spectateurs français la réalité du « Projet Manhattan » qui a conduit à la bombe nucléaire et à Hiroshima.
Le documentaire inédit de David Korn-Brzoza, « Hiroshima, la course vers l'apocalypse », porté par la voix off de Vincent Lindon, diffusé ce mardi soir sur France 2 (à 21h10) à l'occasion du 80e anniversaire de l'explosion, part du même point de départ : l'alerte du Prix Nobel de physique Albert Einstein à la Maison Blanche, confiant sa crainte que l'Allemagne nazie ne mette au point une bombe qui lui permettrait de gagner la guerre.
Le début d'une course folle pour le feu nucléaire qui provoque toujours des débats aujourd'hui.
Fallait-il la construire et surtout l'utiliser ? Le film nous laisse face à ce vertige en nous donnant absolument toutes les cartes pour aborder le contexte exhaustif des dates funestes du 6 août à Hiroshima et du 9 août à Nagasaki, avec respectivement ses 80 000 et 40 000 morts instantanément à partir d'une seule bombe, sans parler des radiations qui tueront encore pendant des années.
« Nos archives puisent à une quinzaine de sources, dans plusieurs pays dont le Japon »
Les images, d'une colorisation impressionnante, viennent de partout. « Nos archives puisent à une quinzaine de sources, dans plusieurs pays dont le Japon. Il a fallu débusquer de nombreux documents. Nous avons visionné énormément… Avec une exposition en prime time, on nous a donné les moyens de travailler en profondeur », confie David Korn-Brzoza, qui évalue le travail de son équipe à cinq mois de montage après avoir réuni des dizaines, voire des centaines d'heures d'images lors d'un travail de documentation de plusieurs semaines.
Les bombes atomiques larguées le 6 août à Hiroshima et le 9 août à Nagasaki, ont fait respectivement 80 000 et 40 000 morts instantanément. FTV/Atelier des archives
À titre de comparaison, une diffusion en deuxième partie de soirée sur une chaîne non-premium ne lui aurait permis de boucler qu'un budget « de 10 jours de documentation et de 6 de montage ». Pas le même film.
« Hiroshima, la course vers l'apocalypse », qui sera diffusé dans de nombreux pays, apporte du neuf. Par son brassage de toute la Guerre du Pacifique et ses trouvailles, comme ces pièces dans les archives du FBI qui montrent que Robert Oppenheimer, le physicien qui met au point la bombe nucléaire avec toute une équipe, est espionné en permanence et notamment quand il rencontre sa maîtresse.
Dans le désert secret où est élaborée la bombe au Nouveau-Mexique
Motif : celle-ci, comme sa femme, a des sympathies communistes. Parmi les raretés aussi, ces films d'amateurs réalisés par les scientifiques eux-mêmes à Los Alamos, le désert secret où est élaborée la bombe au Nouveau-Mexique (États-Unis), les montrant tout sourire comme des vacanciers. Dans cet îlot, on célèbre dix naissances par mois. Pour éviter toute fuite, couples et familles sont isolés du monde.
Le film poursuit sa cible lui aussi, de plus en plus vite, à la vitesse du tic-tac de « Little Boy » et « Fat Man », les deux petits noms donnés aux bombes, qui seront assemblées dans une île du Pacifique après que leurs composants, dissimulés en différents endroits, sont réunis. Tout le final devient d'une intensité irrespirable quand sont montées des images paisibles d'habitants d'Hiroshima juste avant l'explosion de ce matin d'été ensoleillé.
Le réalisateur et son coauteur Olivier Wieviorka montrent aussi très bien comment et pourquoi la guerre atteint ce point de non-retour. À travers notamment l'image sidérante, provenant d'archives japonaises, de soldats américains prisonniers, décharnés comme des déportés, après deux ans de détention dans l'enfer vert.
« La Guerre du Pacifique est très peu connue du public français. On place souvent les Japonais parmi les victimes de la Seconde Guerre mondiale. Ils étaient les bourreaux, responsables de la mort de dizaines de millions de personnes dans l'Asie du Sud-Est.
« On ne peut jamais réécrire l'Histoire »
À l'été 1945, alors que l'Allemagne a capitulé, ils ne montrent aucun signe de reddition », rappelle David Korn-Brzoza, sans prendre parti sur l'utilisation de la bombe. « C'est le débat le plus complexe du siècle. On ne peut jamais réécrire l'Histoire ».
L'auteur de nombreux films sur 1939-1945 évoque la probabilité que la poursuite de la guerre pendant une année avec un débarquement classique face à un Japon « kamikaze » aurait conduit à un carnage dans les deux camps.
Ironie de l'histoire : les nazis n'avaient finalement pas construit leur bombe, fruit de cette « science juive » - origine culturelle de beaucoup des physiciens américains de Los Alamos - qu'ils méprisaient.
Image de la ville d'Hiroshima dévastée par la bombe nucléaire. National Archives at College Park
Très spectaculaire - « Aujourd'hui, on ne distingue plus des images originellement en couleurs d'un travail de colorisation » remarque le réalisateur-, « Hiroshima, la course vers l'apocalypse » s'inscrit dans la veine d'une école de documentaire français historique qui a séduit le monde entier, depuis le premier « Apocalypse » en 2009 sur France 2.
Images très riches mises en scène comme par un chef d'orchestre, musique et voix off prenantes, une forme adossée à un puissant travail d'historien.
6 et 9 août 1945. C'était monstrueux, impardonnable, irréparable, mais le pire est de se dire encore 80 ans plus tard que c'était peut-être inévitable. La question n'a jamais été tranchée et ne le sera probablement pas. Ce déluge de feu brûle encore toute certitude sur ce que c'est d'être humain.
La note de la rédaction :
4.5 /5
« Hiroshima, la course vers l'apocalypse »,
documentaire français (2025) de David Korn-Brzoza. (1h45)