7 days ago
Pourquoi la guerre commerciale menace l'influence mondiale des États-Unis
Selon Ralph Ossa, ancien économiste en chef de l'OMC, la guerre commerciale affaiblira l'influence américaine tandis que d'autres nations chercheront des alternatives au dollar. Publié aujourd'hui à 10h30
«D'autres pays vont chercher des alternatives, non seulement en termes de sécurité, mais aussi dans le domaine financier», explique l'économiste Ralph Ossa.
KEYSTONE
Les droits de douane que Donald Trump impose actuellement à divers pays – du Japon à la Birmanie en passant par l'Afrique du Sud – l'aident à financer son coûteux «Big Beautiful Bill». Face à cette situation, on observe peu de résistance. La bourse progresse, les entreprises créent des emplois, l'inflation reste stable et même le dollar évolue dans la direction souhaitée par le président américain.
Le projet de Donald Trump visant à perturber le commerce mondial et à en maximiser les bénéfices pour les États-Unis a-t-il été couronné de succès? Ralph Ossa est particulièrement bien placé pour répondre à cette question. Ancien économiste en chef de l' Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève, il a récemment retrouvé son poste de professeur d'économie à l'Université de Zurich.
Monsieur Ossa, Donald Trump a-t-il déjà gagné?
Non, je ne le pense pas. Les recettes issues des droits de douane ne suffiront pas à compenser le déficit supplémentaire que le «One Big Beautiful Bill» créera dans le budget américain. En conséquence, le déficit commercial des États-Unis risque d'augmenter – ce qui contredit l'un des objectifs principaux du président américain.
Mais Donald Trump a démenti tous ceux qui prévoyaient une forte inflation.
Les conséquences de ses droits de douane devraient s'intensifier pendant le second semestre. Pour l'instant, les consommateurs ne perçoivent pas vraiment ces effets, car beaucoup d'entreprises ont eu la prévoyance de constituer des stocks de produits importés avant l'annonce des tarifs douaniers. Quand ces réserves seront épuisées, les prix augmenteront inévitablement.
Cela signifie que les cadeaux de Noël coûteront cher cette année?
Sauf si le président américain change à nouveau d'avis, comme après le «Liberation Day», quand on craignait que le prix des iPhone double soudainement de 1000 à 2000 dollars, et que Donald Trump a rapidement exempté les produits électroniques.
Le président américain a également annoncé cette semaine de nouveaux droits de douane sur des produits. Va-t-il les mettre en application?
Un droit de douane de 200% sur les produits pharmaceutiques semble irréaliste sur le long terme. Le coût déjà élevé des médicaments constitue un problème majeur aux États-Unis. En revanche, imposer durablement des droits de douane sur le cuivre – comme c'est le cas pour l'acier – paraît plus envisageable, car les enjeux de sécurité y jouent un rôle plus significatif. Néanmoins, un taux de 50% restera difficile à mettre en œuvre.
Donald Trump a toujours affirmé que les taxes douanières étaient payées par les pays étrangers. Les économistes ont contesté cette vision en soutenant que ce sont les Américains qui en supportent le coût. Alors, qui a raison?
Une partie des droits de douane est effectivement payée par les pays étrangers, notamment par les exportateurs chinois qui réduisent leurs prix pour les produits destinés aux États-Unis. Cependant, les intermédiaires et consommateurs américains supportent également une partie de cette charge – les ménages modestes étant proportionnellement plus affectés que les foyers aisés. Ce mécanisme accentue la redistribution des richesses du bas vers le haut de l'échelle sociale, tendance déjà présente dans le «Big Beautiful Bill» de Donald Trump.
Est-ce que les droits de douane provoquent aussi une redistribution des richesses du reste du monde vers les États-Unis?
Oui, en économie, on parle de la théorie des droits de douane optimaux. Cette théorie explique qu'une grande économie peut effectivement bénéficier de l'imposition unilatérale de droits de douane sur les importations. Bien que ces droits réduisent le bien-être des consommateurs, ils génèrent des recettes fiscales. Ces recettes peuvent dépasser les pertes si les droits de douane sont fixés à un niveau optimal.
Mais cela n'est valable que si les autres pays ne ripostent pas en imposant leurs propres droits de douane.
Exactement. Des partenaires commerciaux comme la Chine ou l'UE ont, en principe, la même motivation que les États-Unis à imposer des droits de douane pour en tirer avantage. Cependant, si chacun cherche à améliorer sa prospérité aux dépens des autres, tous finissent par perdre. C'est justement pourquoi les accords commerciaux existent et pourquoi des organisations comme l'OMC ont été créées: pour encourager les pays à réduire mutuellement leurs barrières douanières et ainsi augmenter le bien-être global.
Pourquoi les partenaires commerciaux des États-Unis n'imposent-ils guère de droits de douane en retour?
D'une part, on espère que Trump supprimera lui-même les droits de douane dès que leurs effets négatifs sur l'économie américaine deviendront évidents. D'autre part, des considérations de sécurité entrent en jeu. Bien que les pays de l'UE pourraient s'opposer à ces mesures sur le plan commercial, leur dépendance militaire envers les États-Unis les conduira probablement à accepter certains droits de douane exigés par Trump. Peut-être pas les 50% qu'il a récemment menacé d'imposer, mais plutôt les 10% qui semblent être envisagés actuellement.
Durant votre parcours universitaire, aviez-vous imaginé que des concepts théoriques, comme celui du tarif douanier optimal, deviendraient un jour pertinents dans la réalité économique?
Il y a une dizaine d'années, j'ai publié un article, qui simulait des guerres commerciales. Les résultats montraient des droits de douane de 30% à 60%. À l'époque, la plupart de mes collègues m'ont répondu: «C'est impossible – après tout, l'humanité a appris dans les années 1930 que tout le monde est perdant dans une guerre commerciale. Et même si une telle guerre éclatait, les droits de douane n'atteindraient jamais des niveaux aussi élevés!»
Une erreur évidente.
Ce qui semblait inconcevable récemment dans les relations internationales est aujourd'hui devenu courant. Nous en sommes même rendus à nous réjouir que les droits de douane ne soient plus que de 10%, au lieu de 20% ou 30% comme après la «Journée de la libération». Une situation sans précédent dans l'histoire moderne de la politique commerciale.
Donald Trump transforme la politique commerciale américaine, abandonnant une approche fondée sur les règles pour privilégier une stratégie basée sur la puissance. Quels impacts durables cette mutation aura-t-elle sur les relations internationales des États-Unis?
Le préjudice pour la réputation est immense. D'autres pays vont chercher des solutions alternatives, non seulement pour leur sécurité, mais aussi dans le secteur financier, notamment pour diminuer leur dépendance au dollar et aux banques américaines. Les États-Unis verront leur influence mondiale s'affaiblir.
"L'OMC reste la pierre angulaire de l'architecture du commerce mondial", déclare Ralph Ossa, ancien économiste en chef de l'organisation.
Photo : Salvatore Di Nolfi (Keystone)
L'industrie américaine profite-t-elle au moins des droits de douane de Donald Trump?
Pas vraiment. Si les États-Unis augmentent leur production d'acier grâce aux droits de douane, cela renforce effectivement l'industrie sidérurgique, mais mobilise aussi une main-d'œuvre qui ne peut plus travailler dans les secteurs exportateurs. De plus, si ces entreprises exportatrices doivent payer des taxes sur les produits intermédiaires nécessaires à leur production, leur compétitivité sur le marché mondial s'en trouve doublement affaiblie.
Le protectionnisme rend-il l'économie paresseuse?
Oui, les pick-up américains étaient déjà fabriqués derrière une forte barrière douanière. Cependant, ils ne trouvent guère d'acheteurs hors d'Amérique du Nord en raison de leur taille excessive et de leur grande consommation de carburant. Si l'on protège davantage de produits avec des droits de douane, cela ne poussera pas les entreprises américaines à devenir plus productives. En revanche, ces mêmes droits de douane produisent l'effet contraire chez leurs concurrents étrangers.
Est-ce une sorte de programme de remise en forme?
Les entreprises exportatrices suisses et d'autres pays similaires vont désormais déployer tous leurs efforts pour maintenir leurs parts de marché et leurs marges aux États-Unis. Parallèlement, les gouvernements travaillent déjà à établir de nouveaux accords de libre-échange, comme celui conclu récemment entre les pays de l'AELE et le Mercosur sud-américain. Au sein de l'UE, les initiatives pour renforcer le marché intérieur s'accélèrent, notamment avec l'union des marchés des capitaux. Ces démarches contribuent toutes à améliorer la compétitivité.
Quel est le rôle actuel de l'Organisation mondiale du commerce?
Malgré les défis actuels, l'OMC demeure l'élément central du système commercial mondial. Le principe de la nation la plus favorisée reste la règle fondamentale. Au début de l'année, 83% du commerce mondial de marchandises s'effectuait selon le principe qu'à la douane, les États traitent de façon identique les produits, qu'ils viennent du Ghana, de l'Uruguay ou de l'Australie. Même après l'instauration des tarifs douaniers de Trump, 74% des échanges commerciaux suivent encore cette règle.
L'OMC peut-elle fonctionner sans les États-Unis?
Pour le moment, ce n'est pas encore possible. Les États-Unis restent membres, bien qu'ils ne contribuent pas à faire avancer l'agenda et abandonnent le principe de la nation la plus favorisée. Les progrès futurs se feront probablement au niveau plurilatéral plutôt que multilatéral, c'est-à-dire entre des sous-groupes d'États plutôt qu'entre tous les membres. Il est aussi envisageable que l'OMC évolue vers un système où toutes les décisions n'exigeraient plus systématiquement le consensus des 166 États membres.
Quelle est la position de la Suisse en matière de politique commerciale?
La Suisse a adopté plusieurs stratégies judicieuses. Elle soutient activement l'OMC tout en développant un réseau important d'accords de libre-échange. Les récentes visites de conseillers fédéraux aux États-Unis et en Chine représentent une démarche positive, et parvenir à réunir ces nations à Genève pour des discussions constitue une réussite significative.
Traduit de l'allemand par Olivia Beuchat.
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Autres newsletters Simon Graf est responsable adjoint de la rubrique sportive à Zurich et couvre le hockey sur glace et le tennis depuis plus de 20 ans. Il a étudié l'histoire et la germanistique à l'université de Zurich et a rédigé plusieurs livres sur le sport. Son dernier ouvrage: "Inspiration Federer". Plus d'infos @SimonGraf1
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