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« Valeur sentimentale », le nouveau film de Joachim Trier primé à Cannes va plaire aux cinéphiles mais pas que
SORTIE CINÉMA - Un film en norvégien, primé à Cannes ? Pour les cinéphiles les plus pointus, c'est le paradis. Mais pour certains, c'est rédhibitoire. Pourtant, il serait dommage de se priver d'aller voir Valeur sentimentale tant le nouveau film de Joachim Trier, avec Renate Reinsve et Stellan Skarsgård, est un bijou de tendresse, qui peut toucher un très large public.
Affeksjonsverdi, dans sa langue originale, a reçu le Grand Prix du jury au Festival de Cannes 2025, mais surtout une standing-ovation record de 19 minutes, preuve qu'il a de quoi faire l'unanimité. Car Valeur sentimentale en salles ce mercredi 20 août est avant tout un très beau film sur la famille, un thème universel qui dépasse la barrière des sous-titres.
L'excellent Stellan Skarsgård incarne un père absent et célèbre réalisateur, qui veut relancer sa carrière avec un nouveau projet. Gustav demande à sa fille aînée Nora, comédienne de théâtre à succès, de jouer le rôle principal qu'il a écrit pour elle.
Mais cette dernière, l'incroyable Renate Reinsve (Julie (en 12 chapitres), La Convocation), muse de Joachim Trier, refuse. Et elle a de quoi : son père réapparaît par opportunisme au décès de leur mère, des années après avoir abandonné Nora et sa petite sœur Agnes (Inga Ibsdotter) depuis le divorce. Sans se remettre en question, Gustav décide finalement d'embaucher Rachel Kemp (Elle Fanning), une jeune actrice américaine en vogue, pour jouer le rôle. Et histoire de brouiller encore plus les frontières entre son film et sa fille, il décide de tourner dans la maison familiale.
On ne choisit pas sa famille
Les murs ont une histoire et ceux-ci en regorgent. La magnifique maison norvégienne est un personnage à part entière de Valeur sentimentale. C'était même le sujet de dissertation de la jeune Nora à l'école, qui déjà à l'époque avait saisi que sa fissure ne se limitait pas au bâtiment. Joachim Trier maîtrise l'art de mettre en scène les rapports humains.
La Nora adulte préfère rester à distance de ce père avec qui elle ne peut pas parler, et encore moins travailler. Agnes, elle, n'ose pas le confronter et lui accorde plus de tolérance. La relation entre les deux sœurs est tout aussi importante que celle avec leur père. Si dans les flash-back de leur enfance, Nora prenait soin d'Agnes, la dynamique s'est inversée à l'âge adulte. Paradoxalement, la benjamine semble mieux armée, alors que l'absence de reconnaissance de leur père empêche Nora d'avancer.
Renate Reinsve et Inga Ibsdotter bouleversent avec leur interprétation sensible. Le réalisateur sait créer des personnages multidimensionnels, et les actrices le lui rendent bien. En comparaison, celui de Rachel paraît (volontairement) une pâle doublure de la complexe Nora. Elle Fanning joue à merveille l'erreur de casting. Rachel fait de son mieux, se teint les cheveux et tente même d'adopter un accent norvégien mais sait qu'elle n'est pas à sa place dans ce film ni cette maison.
Stellan Skarsgård nous a bluffés dans la peau de Gustav, plus émotif qu'il ne le laisse paraître. Comme toujours lorsqu'il s'agit de famille, le trauma intergénérationnel vient de quelque part, en l'occurrence du suicide de sa mère.
Mise en abyme
En plus d'explorer les dynamiques familiales, Valeur Sentimentale regorge de clin d'œil à l'industrie du spectacle. Le film s'ouvre avec une scène hilarante dans les coulisses d'un théâtre, où Nora tente de fuir en pleine crise de panique avant de monter sur scène. On découvre la célébrité de Gustav alors qu'il est invité au Festival de Deauville pour une rétrospective sur sa carrière. Les spectateurs dans la salle regardent son film culte, pendant que l'on regarde celui de Joachim Trier. Ce ne sera pas la seule mise en abyme.
Joachim Trier fait de l'humour de cinéphile. Gustav est un réalisateur d'une autre époque, qui offre des DVD de La Leçon de piano à son petit-fils de 9 ans et ne comprend pas que son film, produit par Netflix, puisse sortir ailleurs qu'au cinéma. Lors d'une interview, il s'en prend au journaliste et l'insulte de « troll de TikTok », mécontent de ne plus pouvoir faire valider les questions comme dans sa jeunesse. Même l'amitié entre Gustav et son producteur rappelle celle entre Joachim Trier et Eskil Vogt, le scénariste avec qui il travaille depuis toujours.
Mais après 2 h 13, ce ne sont pas les blagues sur le petit monde du cinéma que l'on retient, mais l'émotion, les silences lourds de sens, les conséquences des non-dits et l'amour familial, aussi puissant que destructeur. Il n'y a vraiment pas besoin d'être fan de films d'auteur pour être touché en plein cœur.