07-07-2025
Le Montreux Jazz sera-t-il assez fou pour Grace Jones?
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La chanteuse jamaïcaine n'est pas que l'icône chic et choc des «eighties». Elle reste un parangon d'audace et d'indépendance. Publié aujourd'hui à 08h28
Souvent décrite comme une panthère, Grace Jones prête le flanc à la métaphore. Ici sur scène en 2019.
imago images/ZUMA Press
En bref:
Grace Jones n'a peur de rien. Elle a mis des coups de sabre à Conan le Barbare, des coups de savate à James Bond, gobé une Citroën, rendu beau le pire de l'esthétique eighties , déniaisé le disco et dopé le reggae, vécu en diva avec un esprit punk. En 2017, quand plus grand monde ne pensait à elle, la chanteuse a croqué tout cru le Montreux Jazz, lui offrant l'un de ses concerts d'anthologie. Le 12 juillet prochain, à l'âge de 77 ans, elle va s'en offrir une nouvelle bouchée. Grace Jones n'a peur de rien, surtout pas de l'indigestion. Colère à la télé
Une vie, un million d'images et de souvenirs. Quel fil tirer? Pourquoi pas celui, caca d'oie, du costume de Russell Harty? Une sorte de Michel Drucker britannique, la pédanterie en plus, qui eut la goujaterie – et le tort – de tourner trop souvent le dos à la chanteuse, invitée de son talk-show en 1980. «Allez-vous cesser cela?» s'agace-t-elle enfin… avant de donner de sèches mais solides claques au malotru à mèche. Derrière la classe et la politesse, il y a un tempérament qui ne triche pas, une fierté venue de l'enfance, une sincérité qui firent de Grace Jones autre chose qu'une femme-objet pour papier glacé, et justifie qu'on l'évoque encore aujourd'hui en icône pop.
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Née en 1948 en Jamaïque, elle grandit entre une mère démissionnaire, un père religieusement fondamentaliste et un beau-père fondamentalement abusif. Quand la famille déménage sur la côte est des États-Unis, l'adolescente embrasse cette liberté nouvelle et plonge dans la vie nocturne new-yorkaise, ses clubs gays et les ultimes soubresauts de la contestation hippie. Son physique androgyne, maigre et musculeux pour lequel on la raillait à l'école devient son atout maître: elle rejoint à 18 ans sa première agence de mannequin, avant de tenter l'aventure parisienne en 1970. Mode nuit
L'histoire de Grace Jones s'écrit alors à l'encre bleu nuit, dans cette époque où les créateurs les plus aventureux se réunissaient en vampires mondains au son des basses souterraines, où les corps se mêlaient sans crainte à l'arrière des pistes de danse avant de se retrouver le lendemain entre podiums de défilés, studios d'enregistrement ou maisons d'édition. Le «Tout-Paris» veut encore dire quelque chose, il s'entiche – sans doute aussi pour des raisons dont on peut aujourd'hui discuter la nature «exotique» – de cette étrange Noire sculpturale au tempérament explosif.
Grace Jones, alias la tueuse May Day («Dangereusement vôtre»), toujours élégante même au travail.
imago/United Archives
Elle porte les créations d'Yves Saint Laurent, de Claude Montana, de Kenzo Takada, fait les couvertures de «Elle» et de «Vogue». Pose pour Helmut Newton, fréquente rock stars, acteurs, photographes. Elle est une muse de l'underground dont «le plan de carrière», cette bonne blague, s'écrit nuit après nuit, rencontre après rencontre – pour s'en convaincre, et apprécier Grace Jones au naturel, il faut oser revoir «Attention les yeux!» (1975), nanar invraisemblable où elle fait de la figuration entre Daniel Auteuil et Guy Marchand, la plupart du temps seins nus et visiblement dans la même forme olympique qui l'animait quelques heures plus tôt sur la piste de danse. Beaujolais nouveau ou champagne, qu'importe le flacon…
En 1986, avec Andy Warhol et Keith Haring, en gala de charité new-yorkais.
Getty Images
Grace Jones a pleinement vécu les années 70; elle va incarner les années 80. Énième mannequin à tâter du disco, elle s'en affranchit en vamp fatale et réussit la jonction a priori impossible entre la tradition française et l'hédonisme poudré de la sono mondiale. Sa version de «La vie en rose», d'Edith Piaf, la fait découvrir du grand public. Les albums «Portfolio» et «Fame» la propulsent en reine disco, sa voix impérieuse et sa position de mannequin vedette résonnant comme l'incarnation définitive du glamour noctambule.
Sur sa première compilation, une pose iconique signée Goude. La perfection avant le numérique…
Mais l'artiste – et c'est pour cela qu'il faut aller l'écouter au Montreux Jazz – a le bon goût de décrocher la boule à facettes avant qu'elle ne lui tombe sur les hauts talons. Défricheuse, curieuse, elle opère en 1980 un virage audacieux vers l'avant-garde, métissant le reggae roots de ses origines au lustre synthétique de la new wave naissante. On guinche toujours, mais sur des tempos épais et répétitifs, des basses lourdes, des incantations graves. La fête devient sinistre, le sida est apparu, les clubs mythiques ferment. Sous la houlette de Chris Blackwell, qui «importa» Bob Marley auprès de la jeunesse occidentale, Grace Jones produit aux Bahamas un trio de disques impeccables dont «Nightclubbing», le plus célèbre musicalement… et visuellement!
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Car les fous sont lâchés. Les plus audacieux créateurs, hommes et femmes, de la décennie précédente deviennent des stars au fil de ces eighties multimédia, où l'image compte autant que le son. Partageant la vie de Grace Jones, l'illustrateur et photographe Jean-Paul Goude imagine les pochettes de sa muse avec le même génie visionnaire qui feront le succès de ses pubs télévisées. Grace Jones devient une esthétique «chic et choc», comme on dit alors, une beauté androgyne à la perfection glacée. Au sommet de sa notoriété, elle joue la James Bond girl auprès du fat Roger Moore («Dangereusement vôtre», 1985) et sort un disque au titre manifeste, «Slave to the Rhythm».
«So eighties!» Grace Jones, la Citroën CX GTI Turbo et la patte de Jean-Paul Goude.
Bridgeman Images
Et puis? La «Jonesmania» s'épuise. Ses albums ne sont plus le son de leur époque, ses films renouent avec le nanar, à gros budget cette fois-ci. Elle s'affiche avec le très musclé Dolph Lundgren et alimente les tabloïds. Ses trouvailles vestimentaires, son indépendance, son audace queer ont nourri une génération de chanteuses, de Madonna à Lady Gaga, à la folie plus acceptable, moins dangereuse. Elle reste la fille de Kingston, qui griffe et mord. Mais que son pays honore de l'Ordre de Jamaïque: Grace Jones est officiellement une aristocrate.
En 2008, elle avait surpris en revenant sur disque avec «Hurricane», le premier depuis près de vingt ans. La tournée qui suivit prouva combien celle qui était née pour être vue méritait aussi qu'on l'écoute. Ses concerts mobilisent tout son art du cabaret baroque, qu'elle domine en maîtresse de cérémonie jamais avare d'un coup de folie. La vieille école, celle où rien n'était écrit, tout à inventer. Fuir l'ennui, surtout. Décider que l'on est, à 77 ans, d'une jeunesse invincible. Et faire sa fête à la nuit, une fois encore.
«Énième mannequin à tâter de la disco, elle s'en affranchit en vamp fatale et réussit la jonction a priori impossible entre la tradition française et l'hédonisme poudré de la sono mondiale.»
Montreux Jazz
En concert au Montreux Jazz, le 12 juillet.
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François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures. Plus d'infos
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