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14 Juillet : la Fête de la Fédération, ancêtre oubliée de la fête nationale
FOCUS - La date instituée depuis 1880 comme fête nationale a été choisie moins pour la prise de la Bastille en 1789 qu'en mémoire d'une autre célébration, instituée par La Fayette un an plus tard pour centraliser les initiatives révolutionnaires dans le pays. Quelque 50.000 fédérés défilèrent alors sur le Champ-de-Mars.
1880 est une mauvaise période pour la France. La défaite contre la Prusse, puis l'épisode sanglant de la Commune de Paris, laissent le pays maussade et divisé. La Troisième République fragilisée doit renforcer son imaginaire et son narratif. C'est dans ce contexte que la Chambre des députés propose un projet de loi pour instituer une Fête nationale.
Une telle célébration n'existait pas jusqu'alors. Sous l'Ancien régime, les grandes cérémonies étaient religieuses selon le calendrier catholique, ou marquaient le jour du sacre du roi, son anniversaire, ou encore le «Te Deum» après une victoire militaire. On célébrait le roi, pas la Nation. Ainsi, dans l'exposé des motifs, le député radical Benjamin Raspail estime que «comme les États-Unis célèbrent leur indépendance chaque 4 juillet, la République doit donner au peuple français un jour de joie, de liberté et de concorde». La loi est adoptée le 6 juillet. Huit jours plus tard, la France célèbre pour la première fois ce qui deviendra le «14 Juillet», avec son traditionnel défilé aujourd'hui, ses feux d'artifice et ses bals populaires.
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Pourquoi cette date ? Celle-ci est choisie pour son double symbole. D'abord, elle marque l'anniversaire de la prise de la Bastille, 101 ans plus tôt. Cet événement, resté dans l'imaginaire collectif comme fondateur dans la révolution du peuple contre l'absolutisme, a été en réalité un épiphénomène puisqu'en 1789, la prison est presque vide et seuls sept prisonniers s'y trouvent encore. La même année, Louis XVI avait d'ailleurs pris la décision de le raser…
Une fête en grande pompe
Dès l'année suivante pourtant, en 1790, la date de cette «prise» est reprise en symbole. Pour le comprendre, il faut revenir au lendemain de la destruction de la forteresse. Pour canaliser les mouvements populaires et assurer la protection des Parisiens, Louis XVI nomme alors La Fayette commandant de la garde parisienne. Dans toute la France, des milices de citoyens se constituent sur le même modèle que celle de la capitale. Ces gardes nationales et clubs patriotiques sont des fédérations locales et régionales autonomes. La Fayette a alors l'idée d'organiser une fête pour centraliser ces initiatives. Cette fête, qu'il imagine en grande pompe, permettrait de montrer aux yeux du peuple la solidité de la nouvelle monarchie constitutionnelle. Pourquoi ne pas choisir le 14 Juillet, date symbole de la fin de l'absolutisme ?
Sa proposition est acceptée par l'Assemblée constituante. De leur côté, les députés cherchent à cimenter l'étincelle révolutionnaire qui s'étend en favorisant l'unité de tous les Français. C'est ainsi qu'est organisée la grande «Fédération des troupes de ligne et des gardes nationales». Le 14 juillet 1790, 50.000 fédérés, des miliciens venus de toutes les provinces, convergent de tous les points du territoire et défilent sur le Champ-de-Mars.
Malgré une pluie battante, les spectateurs sont près de 300.000. Les autorités ont prévu une cérémonie à grand renfort de symboles. Une messe est célébrée sur l'autel de la patrie par Talleyrand - évêque qui ne cache pas ses convictions athées - assisté de trois cents prêtres. La Fayette, commandant de la Garde nationale, prête serment de fidélité à la loi et à la Nation. Louis XVI, encore roi des Français, monte à son tour sur l'autel de la Patrie et jure de maintenir la Constitution. À son tour, la reine Marie-Antoinette se lève et montre le Dauphin : «Voilà mon fils, il s'unit, ainsi que moi, aux mêmes sentiments», clame celle qui sera guillotinée trois ans plus tard. Aux tribunes, nobles, bourgeois et paysans expriment bruyamment leur enthousiasme. Pour un jour, l'idée d'une France apaisée, réconciliée avec son roi, semble réalisable.
Abandonnée pendant près d'un siècle
L'histoire balaiera vite ces illusions. La monarchie constitutionnelle ne survivra pas à la défiance croissante envers le souverain, ni aux tensions internes. Moins d'un an plus tard, Louis XVI tentera de fuir à Varennes. Trois ans après cette première Fête de la Fédération, le roi sera guillotiné. Après cela, la Fête de la Fédération, qui survit l'année d'après par une timide deuxième édition, est délaissée. Les régimes politiques successifs lui préfèrent d'autres dates. Napoléon instaure la fête de l'Empereur le 15 août, la Restauration opte pour les fêtes des saints catholiques (saint Charles, saint Louis ou saint Philippe), la Seconde République choisit le 22 septembre, anniversaire de la proclamation de la République Française en 1792.
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Pourtant, le souvenir de ce grand défilé reste vif. Voilà pourquoi un siècle plus tard, alors que la Troisième République cherche à renforcer son assise, le 14 Juillet s'impose aux députés moins en mémoire de la prise de la Bastille qu'en souvenir de cette célébration de l'unité de la Nation. Ce choix du 14 Juillet inquiète certains députés conservateurs : «Allons-nous célébrer une date révolutionnaire qui divise ? N'y a-t-il pas d'autres événements moins sanglants, moins violents ?», interroge un député monarchiste, selon la retranscription publiée dans le Journal Officiel. Ses camarades républicains le rassurent. À la chambre haute, le sénateur Martin Feuillée, rapporteur de la loi, résume l'esprit : «Il s'agit moins de célébrer une insurrection que d'instituer une grande fête de la Nation réconciliée. La République n'a pas besoin de violence pour affermir ses fondements, mais de souvenirs glorieux et pacifiques».