a day ago
De Neil Young à Saint Levant, le Montreux Jazz à l'épreuve de la politique
Accueil | Culture | Festivals |
Fronde anti-Trump pour l'un, poing levé propalestinien pour l'autre. Dans un monde en crise(s), la neutralité affichée du MJF devient une partition virtuose. Publié aujourd'hui à 12h20
Ayant grandi à Gaza, le rappeur franco-algérien Saint Levant ne fait pas mystère de son soutien inconditionnel à la cause palestinienne.
IMAGO/GONZALES PHOTO
En bref:
Dans l'Amérique de Trump saison 2, la plus alerte opposition issue du monde musical est venue d'un homme de 79 ans jouant sur une Gibson ancestrale des odes à la révolte nées il y a un demi-siècle. Son nom est Neil Young, il arrive au Montreux Jazz en légende, dimanche 6 juillet. Qu'il s'avance seul ou presque face au président honni en dit beaucoup sur l'état de la contestation politique aux États-Unis de la part des stars pop désormais exsangues, muettes ou soumises. Qu'il soit accueilli en tête d'affiche et vedette incontestable de la 59e édition en raconte cependant peu sur la nature politique du festival créé par Claude Nobs en 1967, l'année de toutes les utopies. Festival d'émancipation
Sur la Riviera tranquille de ces années-là, inventer un rassemblement de jazz international était déjà une révolution en soi, qui n'avait pas besoin du handicap supplémentaire de s'affirmer ouvertement engagé. Le MJF est un lieu de fête aux convictions progressistes intrinsèques – les plus efficaces, car invisibles. En invitant dès ses premières éditions des musiciens noirs américains de jazz et de blues , en leur offrant un gîte royal et un retentissement planétaire là où le circuit européen des clubs les exploitait trop souvent, le bébé de Nobs a joué un rôle éducatif et émancipateur sans jamais brandir de drapeaux. Idem lorsqu'il fit tôt jouer les hérauts pop qui déculottaient les conventions anciennes à larges coups de guitares électrifiées.
«Le Montreux Jazz est une manifestation publique avec une certaine neutralité, pour parler en termes suisses, concède le directeur actuel, Mathieu Jaton. Mais dans un monde aux enjeux sociétaux et géopolitiques toujours plus tranchés, les festivals deviennent des caisses de résonance très médiatisées où toujours plus d'artistes sont tentés de faire passer des messages. Cela peut rendre notre mission, qui est d'organiser un rassemblement de musique apolitique, un tout petit peu compliquée…»
Fin juin, le groupe anglais Bob Vylan a ainsi vu ses visas d'entrée aux États-Unis annulés après avoir fait chanter à la foule de Glastonbury « death, death to the IDF! » (ndlr: Israel Defense Forces). Le principal rassemblement britannique s'est désolidarisé du groupe punk en le taxant carrément d'antisémitisme. L'été des festivals s'annonce chaud.
En juillet dernier, le collectif trip-hop Massive Attack a mis le feu au lac avec, en arrière-fond, les images de Gaza bombardé.
KEYSTONE /VALENTIN FLAURAUD
L'an passé au MJF, la prestation de Massive Attack sur le Léman mélangea durant deux heures, dans une égale déflagration de sons et de lumières, musique et manifestes propalestiniens. Rien ici d'étonnant de la part du groupe de Bristol, dont la composante politique fait partie de l'ADN depuis ses débuts en 1988. Mais un concert à part dans la ligne neutre du festival, qui reçut une poignée de plaintes en retour – un nombre minime, mais inédit concernant une thématique politique.
À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe.
Et cette année, Neil Young. Contrairement à Massive Attack, sa virulence militante sera moins démonstrative. Là encore, sa présence elle-même est politique: le «Loner» symbolise une certaine idée de l'authenticité rock depuis que le Canadien (il est citoyen américain depuis 2020) incarna une facette du flower power , en baroudeur électrique au micro de Buffalo Springfield puis du «supergroup» Crosby, Stills, Nash & Young.
L'époque était à une certaine idée de la liberté individuelle faite de grands espaces, de sexualité libérée et de dopes légalisées. «Easy Rider» au cinéma, «Ohio» dans les enceintes, première grande chanson folk dégainant ses guitares électriques pour, en 1970, convoquer nommément le président Nixon au tribunal de l'histoire, après qu'il a fait tirer sur la foule des étudiants en colère. Quatre morts, un hymne.
À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe.
La même année qu'«Ohio», Young sort en solo «After the Gold Rush», pour beaucoup son chef-d'œuvre. Là aussi, l'Ouest américain est l'occasion de chansons liant tradition et sujets contemporains – le racisme, la drogue, la destruction des ressources naturelles, déjà. Il s'installe dans un ranch, rassemble un groupe d'outlaws à son image comme on monte un cheval à rodéo, le bien nommé Crazy Horse.
Sa musique est celle du rêve américain, fier de ses réalisations, mais conscient de ses limites, de ses démons. En 1985, il ne chante pas contre la faim dans le monde mais en soutien aux petits agriculteurs américains. Il se fera leur porte-voix contre les abus des compagnies pétrolières et critiquera les OGM dans un disque dédié, «The Monsanto Years». Il cible l'impérialisme de George Bush père («Rockin' in the Free World» en 1989) et fils («Let's Impeach the President» en 2006). Défend la réforme d'un système de santé universel sur le modèle canadien. Réclame la reconnaissance des droits des peuples autochtones.
Neil Young au festival anglais de Glastonbury, le 28 juin dernier.
PA IMAGES VIA GETTY IMAGES
Comme Bruce Springsteen, chanter le peuple américain dans une industrie musicale ultracapitaliste est un exercice ambigu. Neil Young a tenté de lui imposer ses règles, avec des passages à vide et des couleuvres à avaler, comme sa valse-hésitation avec Spotify, à qui il a longtemps interdit la diffusion de son catalogue.
Quand il refuse à Donald Trump, alors candidat à sa première élection présidentielle en 2015, l'utilisation de «Rockin' in a Free World» durant ses meetings, celui-ci eut beau jeu de lui rappeler que le chanteur était moins bégueule quand il venait lui proposer d'investir dans son service d'écoute en ligne haute résolution, Pono. D'ailleurs, Donald Trump aimait beaucoup la musique de Neil Young! Jusqu'à ce que ce dernier l'aligne sur les réseaux, début 2025, le déclarant «pire président de l'histoire», disant «craindre pour sa sécurité» dans son propre pays. Politique omniprésente
Viendra-t-on écouter Neil Young à Montreux comme on va au musée? S'il est une figure tutélaire de la musique poing levée, il sera entouré d'émules plus virulents. Par exemple, Saint Levant, qui sans doute ne citera jamais l'héritage youngien – il n'est même pas certain que le rappeur en ait écouté une seule note – mais dont la musique participe d'une même prise de position politique.
Né à Jérusalem, d'ascendance palestinienne, française et algérienne, Marwan Abdelhamid a passé une partie de sa jeunesse à Gaza avant de rejoindre les États-Unis. Métis dans son parcours, il l'est aussi dans sa musique, mêlant rap, electro, R'n'B et folklore arabe. Et ses concerts, surtout depuis le pilonnement israélien sur Gaza, sont devenus autant de tribunes en faveur de la Palestine. Sur une photo de presse, il tient un sax comme une kalach: la prestation de Saint Levant, le 16 juillet au Casino, sera abrasive.
Un cran en dessous, les revendications sociétales innervent l'ensemble des musiques contemporaines comme un viatique indispensable. Conviction sincère ou argument marketing obligé, les questions de genres, de race et d'environnement dessinent un soft power dont le MJF se fait vitrine.
Quelle en sera la dose dans le concert d'Iseult? La chanteuse française, vainqueure de la «Nouvelle Star», s'est fait chantre des minorités en lutte contre la grossophobie et le racisme, l'un et l'autre systémiques – mais ses origines sociales plus que privilégiées et un solide contrat avec l'Oréal ont fait du mal à sa crédibilité. Les deux thématiques devraient néanmoins vêtir son concert, le 12 juillet, avant Grace Jones, vraie figure d'émancipation black et féminine. Féminisme et festival
Les bannières seront sans doute absentes des concerts de Jad, Raye, FKA Twigs et Nathy Peluso, dont les thématiques féministes innervent plutôt les chansons. La Française Solann, révélation de la musique 2025 à découvrir au Casino le 9 juillet, est plus frontale: sa chanson «Rome», long cri où elle imagine la ville antique née d'une chienne plutôt que d'une louve, a secoué les conventions.
L'américaine Brandi Carlile s'est affirmée en figure LGBT de l'année dans son duo très médiatisé avec Elton John. Yoa, qui jouera avant Saint Levant, chante la santé mentale et les troubles alimentaires… Hormis au concert de Diana Ross, et encore, vous n'échapperez pas aux sujets de société.
Surtout pas le 18 juillet. On l'aurait presque oublié, tant son engagement fut davantage symbolique qu'explicite, mais quand même… Santana sera là, et avec lui le souvenir d'un autre festival: Woodstock! Au MJF comme ailleurs, le politique est partout, il suffit de le cueillir.
Plus de Montreux Jazz
François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures. Plus d'infos
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.