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Qu'est-ce que le « Grand Israël », cette vision à laquelle Benyamin Netanyahou dit adhérer ?
22 070 km². C'est la superficie d'Israël aujourd'hui, soit un peu plus du double de celle de l'Île-de-France. Mais dans le pays, certains rêvent de voir les frontières de l'État hébreu grignoter le territoire de ses voisins. Benyamin Netanyahou est-il de ceux-là ? Alors que Tshal a « approuvé » le plan pour la prise de la ville de Gaza et que les projets de colonies se multiplient en Cisjordanie occupée, le Premier ministre israélien a semé le trouble dans une interview accordée à i24NEWS, mardi.
Le patron du Likoud a affirmé ressentir « un lien très fort » avec la vision d'un « Grand Israël ». Or « la polysémie de l'expression Grand Israël (Greater Israel en anglais) ouvre la porte à toutes les manipulations », souligne Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, dans un fil publié sur X.
La polysémie de l'expression "Grand Israël" ouvre la porte à toutes les manipulations. #Thread 🧶 — Rudy Reichstadt 🎗️ (@RReichstadt) August 15, 2025
À l'origine, pointe Yann Bouvier, enseignant-chercheur et youyubeur, « Eretz Israel Hashlema ne veut pas dire Plus grand Israël mais Terre d'Israël entière ». C'est un terme initialement dénué de « visées expansionnistes » qui a été dénaturé avec le temps, analyse-t-il dans sa dernière vidéo. Aujourd'hui, « l'usage majoritaire » désigne « un territoire qui engloberait l'actuel Israël plus les territoires palestiniens », avec des frontières peu ou prou identiques à celles de la Palestine sous mandat britannique, entre 1923 et 1948. Cependant, « des usages minoritaires » renvoient à des territoires bien plus étendus.
Frontières bibliques
Dans les années 1920-1930, les « sionistes révisionnistes refusaient tout partage de territoire » et revendiquaient un découpage au-delà des deux rives du Jourdain, selon Yann Bouvier. « C'est là la version la plus maximaliste de l'idée d'Eretz Israel Hashlema », observe Rudy Reichstadt.
En 1967, l'appétit des expansionnistes grandit encore lorsqu'Israël remporte la guerre des Six Jours et occupe de nouveaux territoires, dont la péninsule du Sinaï, jusqu'ici propriété de l'Égypte. « C'est notamment ce que revendiquait le Mouvement pour la Terre entière d'Israël, fondé en 1967 et qui en 1973 a rejoint le Likoud, coalition de partis de droite israéliens, actuellement présidé par Netanyahou », pointe l'enseignant-vidéaste.
Selon Rudy Reichstadt, « la conception likoudnik pragmatique du Grand Israël (celle de Benyamin Netanyahou), c'est un État d'Israël qui annexerait l'intégralité de la Judée-Samarie (Cisjordanie), Jérusalem (dont la Vieille Ville) et la bande de Gaza. Le Golan également. Mais pas la Jordanie ».
Un dernier usage du « Grand Israël », « le plus polémique », est encore plus minoritaire, relève Yann Bouvier. « Ce Grand Israël-là correspondrait au territoire promis par Dieu aux descendants d'Abraham dans la Genèse, des terres s'étirant du Grand fleuve d'Égypte, c'est-à-dire le Nil, jusqu'à l'Euphrate. » Une allusion à des frontières bibliques donc, remontant au temps du roi Salomon, rognant sur la Jordanie, le Liban la Syrie, l'Égypte, l'Irak ou l'Arabie saoudite.
S'il s'agit du sens le moins partagé en Israël, il gagne en visibilité par l'intermédiaire des ultranationalistes qui noyautent la coalition de Benyamin Netanyahou. Comme le rappelle i24NEWS, « en mars 2023, le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, avait déjà provoqué la colère de la Jordanie en apparaissant à Paris devant une carte intégrant des territoires jordaniens, conduisant Israël à réaffirmer son engagement envers le traité de paix de 1994 avec Amman ».
« Les délires présentant un État d'Israël allant du Nil à l'Euphrate, conformément à un plan expansionniste secret visant à annexer une partie substantielle de l'Égypte, mais aussi de plusieurs pays arabes, relèvent du pur fantasme complotiste », estime Rudy Reichstadt.
Risque d'escalade
Quel que soit « le Grand Israël » auquel Benyamin Netanyahou affirme adhérer, ses déclarations ont déclenché un tollé dans la région. L'Égypte « a demandé des clarifications à ce sujet, au vu de ce que cela reflète en termes de provocation à l'instabilité, de rejet de l'option de la paix dans la région et d'insistance sur l'escalade ». Côté jordanien, on fustige une « dangereuse escalade provocatrice et une menace à la souveraineté des pays ».
En Irak, le ministère des Affaires étrangères a condamné « les déclarations émanant de l'entité d'occupation concernant ce qui est appelé la vision du Grand Israël, et qui révèlent clairement les ambitions expansionnistes de cette entité ». Pour sa part, l'Arabie saoudite a exprimé « son rejet total des idées et projets de colonisation et d'expansion adoptés par les autorités d'occupation israéliennes », réitérant « le droit historique et légal du peuple palestinien à établir son état indépendant ».