11-08-2025
Des enfants de plus en plus hypothéqués
Lors de la visite de La Presse au centre jeunesse d'Huberdeau, des jeunes prenaient part à une séance de jeux de société.
(Huberdeau) Sur une petite table basse dans le salon d'une unité d'hébergement du centre jeunesse d'Huberdeau, près de Mont-Tremblant, une adolescente de 15 ans tourne la roue du jeu de société Destins. En face d'elle, un garçon de 9 ans sourit largement.
« Je vais gagner ! », lance-t-il en levant les bras dans les airs.
À la table d'à côté, un groupe joue à Carcassonne. Plus loin, deux petits de 8 ans se distribuent des cartes d'Uno, accompagnés d'une jeune de 14 ans.
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
Séance de jeux de société au centre jeunesse d'Huberdeau
L'ambiance est bon enfant en ce mercredi matin d'été. L'école est finie. Les éducateurs occupent les 56 pensionnaires de l'imposant édifice par différentes activités. Comme cette séance de jeux de société où les adolescentes guident les plus jeunes.
Au centre jeunesse d'Huberdeau, appelé officiellement centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d'adaptation (CRJDA) d'Huberdeau, les éducateurs tentent tous les jours de « normaliser » le quotidien des enfants, explique Karine Blair, directrice adjointe à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) des Laurentides.
Quelques installations du centre jeunesse d'Huberdeau PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE Le centre jeunesse d'Huberdeau
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE Le centre jeunesse d'Huberdeau
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE Le centre jeunesse d'Huberdeau
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE Le centre jeunesse d'Huberdeau
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
Le centre jeunesse d'Huberdeau
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On est pourtant ici aux « soins intensifs » de la protection de la jeunesse. Le bout de la ligne. Les problèmes des enfants qui se retrouvent ici sont trop complexes pour que leur famille puisse prendre soin d'eux. Ou, plus fréquemment, leur famille est incapable de s'occuper d'eux correctement.
Violence, agression, trauma : les jeunes ont un imposant bagage. Plusieurs souffrent d'un important trouble de l'attachement. « Mais dès qu'ils mettent les pieds ici, l'objectif est de préparer leur sortie », explique la directrice de la protection de la jeunesse des Laurentides, Marie-Noëlle Granger. Les jeunes restent en moyenne un an en centre jeunesse.
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
Vue aérienne du centre jeunesse d'Huberdeau
Des centres à la mauvaise réputation
Les nombreuses difficultés du réseau de la protection de l'enfance au Québec ont fait les manchettes dans la dernière année, notamment à la suite de mauvais traitements d'éducateurs envers certains jeunes hébergés 1 ou de l'utilisation accrue des mesures de contention et d'isolement 2.
« Mais le centre jeunesse, c'est moins pire qu'on pense », affirme Laurianne*, 16 ans, en nous faisant visiter sa chambre.
On arrive tous ici fâchés. Mais on finit par comprendre qu'on est ici pour évoluer vers de meilleures choses. J'ai appris à mieux me contrôler. On m'a recadrée.
Laurianne*, 16 ans
En avançant d'une main son pion sur un jeu de Serpents et échelles et en flattant de l'autre un chien de zoothérapie, Lydia*, 15 ans, dit être au centre jeunesse depuis quatre mois. « Les rumeurs sont pires que ce que c'est vraiment, confie-t-elle. On ne peut pas vaper. On ne peut pas utiliser notre cellulaire. On est plus encadré. Mais ce sont les autres jeunes de notre unité qui influencent comment ça se passe. Et mon groupe est calme. »
Pour Alexandra*, l'expérience n'a pas été aussi rose. Élevée dans un milieu familial violent, elle a vécu dans des familles d'accueil, puis dans des ressources intermédiaires, et enfin dans différents centres jeunesse. « On m'a sortie de la violence pour me mettre dans la violence », souligne-t-elle.
Dans certains centres jeunesse, elle a rencontré des gens peu fréquentables qui l'ont plongée dans la criminalité. « Je n'aurais pas pris ce chemin si je n'avais pas croisé la route de ces personnes », soutient l'adolescente. Alors qu'elle approche de l'âge de la majorité, Alexandra dit avoir « repris sa vie en main ». Elle vient de terminer son secondaire et est inscrite au cégep. Sa sortie du centre jeunesse lui fait tout de même peur. « Mais j'ai un beau plan. Il faut que je le tienne », lance-t-elle.
Des troubles qui changent
Le centre jeunesse d'Huberdeau occupe les locaux d'un gigantesque ancien orphelinat, en plein cœur du village. Ce qui a le plus changé dans l'édifice ? Les enfants, répond Émilie Martel, cheffe de service, en nous faisant visiter les installations où elle travaille depuis 24 ans.
Il y a plus de problèmes de santé mentale. Il y a plus de détresse. Il y a plus d'anxiété. Les traumas sont plus élevés. Il y a plus de troubles de l'attachement.
Émilie Martel, cheffe de service
Un avis partagé par Isabelle Marinier, cheffe de service de l'unité des tout-petits. « Avant, on voyait plus de troubles de comportement. Maintenant, on voit plus de problèmes de santé mentale », observe-t-elle, alors qu'un petit garçon vêtu d'un chandail du footballeur Mbappé passe en coup de vent et s'arrête pour lui faire un câlin.
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
Des salles d'isolement du centre jeunesse d'Huberdeau
Difficile d'identifier la cause de ces changements. « Est-ce que c'est la pollution, les médias sociaux, le fait que les parents soient toujours sur leur téléphone ? C'est dur à dire, note Mme Martel. Les jeunes sont aussi exposés à plus d'informations qu'autrefois. La société est de plus en plus anxiogène. »
Parfois, l'émotion des enfants est si vive que des salles d'isolement doivent être utilisées. Dans les Laurentides, le recours à l'isolement et à la contention diminue depuis deux ans. Mais parfois, ces mesures de dernier recours deviennent inévitables, explique Mme Martel.
* Prénoms fictifs
1. Lisez « Scandale sexuel au centre de réadaptation Cité-des-Prairies »
2. Lisez « Centres jeunesse et foyers de groupe de la DPJ : de plus en plus de mesures de contention ou d'isolement »