21-07-2025
Merci de m'avoir appris à sacrer avec style
Le froid de l'hiver québécois n'a pas empêché Thélyson Orélien de rencontrer de la chaleur humaine.
Aujourd'hui, j'ai pris une claque. Pas une vraie. Une claque existentielle. Celle qui t'arrête net et te fait dire : « Mon gars, t'es chanceux en sacrament. »
THéLYSON ORéLIEN
Écrivain et chroniqueur indépendant
Je lisais les nouvelles en buvant mon café trop cher. J'ai vu ces images d'Haïtiens aux États-Unis, coincés dans une tempête qu'ils n'ont pas provoquée. Menacés, stigmatisés, traités comme des indésirables alors qu'ils veulent juste vivre.
Puis j'ai repensé à Haïti, mon premier chez-moi. Un pays pris en otage, pas seulement par les gangs, mais aussi par ceux en cravate qui pillent avec des stylos et des comptes offshore. Pendant ce temps, des centaines de milliers d'Haïtiens vivent aux États-Unis sur un fil d'espoir qui s'effiloche.
Et moi ? Je suis ici. En sécurité. Avec un passeport qui ne me fait pas passer pour un suspect. Une éducation abordable. Des soins de santé qui soignent même si c'est long. Une vie.
Je suis arrivé comme bien d'autres : une valise pleine de rêves et de peurs. J'ai découvert l'hiver comme on découvre un ennemi sournois. Le premier hiver, j'étais un popsicle haïtien à -30 °C. Mais dans ce froid, j'ai aussi rencontré la chaleur humaine.
Un voisin m'a appris à booster ma batterie. Une dame m'a expliqué la poutine. Des collègues m'ont invité à mon premier party de Noël. Un Québécois saoul, j'ai compris, c'est un poète incompris qui chante du Beau Dommage.
Et puis il y a le Québec. Pas juste une province. Un état d'esprit. Montréal, c'est un monde. Mais les régions ? C'est là qu'on découvre la vraie âme québécoise. Chaque village a son accent, son histoire, son accueil.
J'ai rencontré des gens curieux, bienveillants. Des régions fières, enracinées. Le Québec, c'est les nids-de-poule, les loyers fous, le système de santé brisé, oui. Mais c'est aussi un endroit où je ne me suis jamais senti aussi respecté.
Mon cœur accroché à un lampadaire
J'ai pu étudier, voter, travailler, critiquer, bâtir. J'ai appris à sacrer avec style. À dire merci avec le cœur. Et même si je vis en Ontario maintenant, mon cœur est resté accroché à un lampadaire du boulevard Saint-Laurent.
Merci au Québec. Merci pour les débats linguistiques, les fêtes de village, les voisins qui t'aident à pelleter. Merci pour la liberté. La vraie. Celle d'exister, d'espérer.
Parce qu'ailleurs, espérer, c'est dangereux. Ici, c'est normal.
Je me souviens de tout. De mes premières années. Du froid qui pique. Du droit de vote. De la première tourtière. Du premier sacre bien placé. De toutes ces petites choses qui font qu'on devient d'ici, même si on vient d'ailleurs.
J'ai croisé des racistes, bien sûr. Mais c'est rare. La majorité s'en fout d'où je viens, tant que je fais ma part, que je chiale contre la météo avec eux.
Et c'est précieux. Parce qu'on oublie vite. On tient tout pour acquis. On râle contre Hydro-Québec, contre la neige, contre les taxes. Mais ailleurs, c'est la peur qui tombe du ciel. Ailleurs, l'impôt ne paie pas l'école, il engraisse les bandits.
Ici, j'ai le droit d'espérer.
Et ça, c'est un luxe.
Alors merci pour tout. Pour les printemps qui ressemblent à des résurrections. Pour les soirées à sacrer autour d'un feu. Pour les amis fidèles, les collègues accueillants. Pour cette terre qui m'a offert une place sans même me connaître.
Si un jour on me demande si je suis québécois…
Ben oui, câlisse.
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