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Procès à Lausanne: une double intoxication mortelle au camping finit devant la justice
Procès à Lausanne: une double intoxication mortelle au camping finit devant la justice

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timea day ago

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Procès à Lausanne: une double intoxication mortelle au camping finit devant la justice

En 2019 puis en 2020, deux résidents sont morts intoxiqués au monoxyde de carbone sur les hauts de Lausanne. L'exploitant et le chauffagiste, présumés innocents, seront jugés dès ce lundi pour homicide par négligence. Publié aujourd'hui à 09h52 Le camping de Pra Collet est situé au Chalet-à-Gobet, sur les hauts de Lausanne. Yvain Genevay / Tamedia En bref: Redonner vie, ou trace, un peu d'existence aux fantômes. C'est à ça que servira d'abord le procès qui s'ouvre au Tribunal d'arrondissement de Lausanne, ce lundi 18 août. Cela parce que le 11 octobre 2019, à 10 h 45, Gilbert P. a été retrouvé mort dans son mobile home de Pra Collet, Vers-chez-les-Blanc, au-dessus de Lausanne. Il avait 61 ans. «Intoxication aiguë au monoxyde de carbone directement liée aux non-conformités présentes sur l'installation de chauffage à gaz», explique l'acte d'accusation. Cela ensuite parce que le 21 novembre 2020, à 6 h 40, Karim T. a été lui aussi constaté décédé, à 39 ans, dans les douches des «sanitaires d'hiver» du même camping. Autopsie et expertises ont conclu de façon similaire à une intoxication au monoxyde de carbone, à la suite d'une «non-conformité des installations». Des fantômes? Depuis leur mort, il y a six et cinq ans, personne ne parle d'eux, Gilbert et Karim. Pas de communiqués, pas d'article de presse, pas de vagues, rien. Comme s'ils ne comptaient pas, ou n'avaient jamais compté, encore davantage asphyxiés là-haut, sur la colline du Jorat, par cette indifférence. Alors ils semblent ressortir de leurs tombes avec ce procès, l'instruction ayant fusionné les deux dossiers. Les deux prévenus Qui sont les accusés, présumés innocents, prévenus par le Ministère public d'homicide par négligence? Le premier, c'est J. L., 69 ans, l'exploitant du camping de Pra Collet, qui appartient à Retraites Populaires. On lui reproche notamment d'avoir fait appel, durant des années, et encore après le premier décès, à un chauffagiste, toujours le même, P., 69 ans également, deuxième accusé. Désormais retraité, mandaté par le gérant, P. installait, réparait, faisait les petits et grands travaux de chauffage à Pra Collet depuis des décennies, alors qu'il ne disposait, selon l'acte d'accusation, «pas des qualifications lui permettant de les réaliser». Il faut en effet pour ce faire une autorisation professionnelle particulière. C'est un point contesté par ses défenseurs: selon d'autres experts, P. avait la qualité de spécialiste adéquate. Il n'y a cependant pas de précisions, y compris dans le dossier d'instruction, que nous avons pu consulter, sur ce qui poussait J. L., le gérant, à faire appel à P., y compris après la première tragédie et le constat par des experts qu'il n'était pas habilité à intervenir. Il habitait certes tout près de Pra Collet. Ses services étaient aussi réputés bon marché. Pas les Flots Bleus Pra Collet, ce n'est certes pas «Camping Paradis» ni les Flots Bleus du ciné. À l'entrée, guère de signes de bienvenue, mais une large barrière, des panneaux d'interdiction aux non-résidents. Plus loin, une piscine vide parce que signalée «en maintenance». Le site internet promet «un camping que nous voulons familial, chaleureux, accueillant, tranquille et vivant à la fois». On y trouve caravanes et mobile homes, vacanciers de passage et quelques dizaines de résidents à l'année. Il y a un panneau «Chemin du bonheur» en face de toilettes qui ne datent pas d'hier. Il est possible de demeurer au camping durant l'hiver pour 400 à 600 francs par mois, ce qui attire une clientèle estudiantine, retraitée, parfois marginale, en ce mélange de tôles plastique, pseudo-chalets, camping-cars essoufflés parfois, installés en de petits coins champêtres, à la fois âpres, bricolés ou poétiques. L'entrée du camping, vue de l'extérieur. Il accueille aussi bien des campeurs que des résidents à l'année. Yvain Genevay / Tamedia L'endroit a fait l'objet de reportages. Guillaume Perret, fameux photographe neuchâtelois, y a réalisé un très beau travail récompensé par le Swiss Press Award entre 2022 et 2024. Le magazine «Temps Présent» de la RTS s'est aussi, l'an dernier, rendu à Pra Collet. Cette fois au cours d'un sujet intitulé «Les logements de la honte» . Une retraitée racontait les rudesses de sa vie au camping et l'eau coupée par le gérant dès le 1er novembre, parce que l'on craignait le gel des conduites. Premier mort, Gilbert, en 2019 La première affaire qui intéresse la justice vaudoise, c'est celle de Gilbert. Sa famille – sa maman est partie civile – et son avocat n'entendent pas raconter quelle aventure de vie particulière l'avait conduit à vivre au camping. C'est en automne 2019 que le chauffagiste P. est mandaté par J. L. pour l'installation de chauffage du mobile home qu'occupe le sexagénaire. L'acte d'accusation, basé sur les rapports d'experts, est aussi technique que précis. P. a «raccordé le tuyau d'évacuation des gaz de combustion de ce chauffage à gaz à un orifice percé dans la paroi nord-est du mobile home, alors qu'il aurait dû le raccorder à une cheminée de toiture». Mode d'emploi et directives n'auraient ainsi pas été respectés. «ll a en outre utilisé un raccord coudé à 90 degrés en plastique inadapté», poursuit l'accusation. Au bout du compte, le «monoxyde de carbone [...] ne pouvait pas s'évacuer correctement». C'est rébarbatif, opaque pour le profane, mais dramatique: quelques semaines après les travaux, le 11 octobre, Gilbert meurt intoxiqué dans son mobile home. Dans le dossier d'instruction, le chauffagiste, interrogé par le procureur, explique que, selon lui, c'est à la suite de la demande d'une amie de Gilbert qu'il avait installé l'évacuation sur une façade plutôt que sur le toit, comme cela aurait été adéquat. Cela parce qu'on lui disait craindre des «infiltrations». Millibars de l'un, méconnaissances de l'autre Dans ce cas mortel, comme dans celui qui suivra un an plus tard, l'instruction montre que le chauffagiste conteste les expertises, exposés graphiques à l'appui dans le dossier. Il souligne plutôt sa propre expertise: il s'étend sur les millibars de pression ad hoc, les habitudes, les spécificités de l'hiver au camping, etc. Ou alors quelqu'un, peut-être une victime, a dû bouger quelque chose. Selon son avocate, Me Véronique Fontana, «P. est de bonne foi et très atteint par ce qui s'est passé. Il était ami avec la première victime, Gilbert. Il avait beaucoup d'expérience, et n'aurait jamais pensé qu'un tel accident pouvait survenir.» Quant au gérant, J. L., il se défend dans le dossier exactement à l'inverse: il met en avant son absence de compétence, il n'y connaissait rien, et tout était, selon lui, dans les mains du chauffagiste qu'il mandatait. Mais pourquoi, après la mort de Gilbert, et le constat, communiqué par les experts, des malfaçons de l'installation, a-t-il continué à faire appel à P.? Contacté, son avocat n'a pas répondu à nos sollicitations. Le second décès, Karim, en 2020 On en arrive au second fantôme, Karim T. Père malien, maman suisse – elle aussi partie civile au procès. Un parcours de vie accidenté, qui le voit au moment de l'adolescence perdre pied et confiance, après un apprentissage jamais terminé dans l'horticulture. «Pourtant, il était si doué, confie sa sœur. Aujourd'hui, ce serait sans doute un garçon considéré à haut potentiel. Il avait une curiosité insatiable, il était beau, les filles l'adoraient.» Mais sa vie dérape peu à peu, et il sera, plus tard, diagnostiqué borderline. Des accès de violence ou de décompensation l'éloignent de sa famille. Dans les dernières années, il est parfois aidé par les services sociaux. Karim T. avait aussi voyagé, notamment en Bolivie, et développé un talent pour la fabrication de petits bijoux, qu'il vendait sur les marchés par ici. À Pra Collet, il passait l'été. Fin novembre 2020, il devait repartir et passer l'hiver à La Paz. Les «sanitaires d'hiver» de Pra Collet avaient été réparés, sur mandat de J. L., par P., à partir de septembre 2018: des chauffe-eau à gaz, un système d'évacuation d'air dans les douches. Mais, là encore, toujours selon l'acte d'accusation, un tuyau n'était «pas raccordé [...] à un conduit vertical sortant en toiture du local comme l'exigeaient pourtant les instructions de montage, la directive et le guide technique». Résultat identique à la première fois, poursuit le texte: «Carence en oxygène, et une production plus importante de monoxyde de carbone.» Après la mort de Gilbert, et malgré la non-qualification du chauffagiste questionnée dans le dossier, les travaux continuent au printemps 2020: par exemple, un changement de «la vanne avec détendeur» est signalé. Le propriétaire, Retraites Populaires (RP), n'est jamais tenu au courant. Son porte-parole précise: «Seuls les travaux dépassant l'entretien courant indispensable à l'exploitation nécessitent un accord préalable du propriétaire. En revanche, la réparation, la maintenance et l'entretien courant des installations existantes ne sont pas soumis à cette obligation. En ce sens, les interventions sur le chauffage ne nous ont pas été remontées.» L'ensemble du terrain de Pra Collet est loué au gérant du camping, depuis 2015, pour 5700 francs mensuels par RP, qui espère depuis des années obtenir un plan d'affectation lui permettant de construire et valoriser l'endroit. À l'automne 2020, c'est le fils du gérant, A., qui est saisi d'un doute dans les sanitaires: selon ce qu'il expliquera ensuite durant l'instruction, il voit un morceau de tuyau brûlé, d'autres pièces qui ont l'air de tenir avec du «scotch». Il s'inquiète et, sans prévenir son père, il cherche à faire contrôler l'installation. Il tombe rapidement sur le Cercle de travail GPL , association agréée par la Confédération, qui contrôle les questions relatives à la sécurité des installations de gaz liquéfié. Deux spécialistes débarquent à Pra Collet le 3 novembre 2020. Ils ne savent pas qu'il y a déjà eu un mort au camping l'année précédente, ont-ils dit ensuite durant l'instruction. Mais ce jour-là, ils sont vite inquiets de ce qu'ils découvrent dans les douches et en font aussitôt part, sur place, au gérant. «Ils ont avisé J. L. que le travail de P. n'était pas conforme, que les installations pouvaient entraîner la mort dans les cas extrêmes, qu'il était tenu de procéder à des travaux de remise en conformité et que la douche en question devait être immédiatement fermée dans l'intervalle», détaille l'acte d'accusation. Selon le dossier d'instruction, les contrôleurs ajoutent qu'avant de s'en aller, ils ont souligné face au gérant que les travaux ne pouvaient en aucun cas être confiés à P., ce dernier n'étant «pas un installateur». Aucun compte du contrôle L'exploitant ne condamne pas les installations, malgré l'injonction qui lui a été faite. Cela l'aurait-il obligé à fermer le camping quelque temps, faute d'eau chaude pour les résidents? Au contraire, ces derniers continuent de prendre tous les jours des douches. L'un des questionnements que le procès devra éclaircir réside dans la façon dont P., le chauffagiste, a été tenu au courant du contrôle officiel. «Il n'était pas présent, assure son avocate. Et il ne savait pas que la fermeture des installations avait été demandée.» J. L. et P. décident cependant d'installer des détecteurs de gaz, et selon eux, tout va bien. Pourtant, les jours suivants, cela est indiqué dans le dossier, ces capteurs sonneront de temps en temps. Mais les témoignages des campeurs face au procureur signalent aussi que les résidents n'avaient pas été informés que les capteurs révélaient des traces de gaz mortel. Supposant le nouveau dispositif destiné à dissuader de prendre des douches trop longues, ou trop chaudes, ils l'arrêtaient eux-mêmes, ou ôtaient la pile… Le camping a été le théâtre de deux décès, en 2019 et 2020. Ils sont au cœur du procès qui s'ouvre ce lundi 18 août au Tribunal d'arrondissement de Lausanne. Yvain Genevay / Tamedia Le 20 novembre 2020, en début de soirée, une femme sort pourtant en courant des douches, apprend-on aussi dans le dossier d'instruction. Elle s'est sentie mal, «confuse», a pensé qu'elle allait tomber dans les pommes. Elle se rue à l'extérieur, puis rejoint son mobile home. Mais elle ne prévient pas non plus le gérant, parce qu'elle ne veut pas d'embêtements. Tôt le lendemain matin, 21 novembre, Karim T. va faire sa toilette aux sanitaires d'hiver. Il fait froid. Vivement la Bolivie. Le trentenaire ne ressortira jamais de la douche. Il y est découvert mort peu après. «On ne voit rien venir, soupire un spécialiste que nous avons consulté. L'air qu'on respire contient 21% d'oxygène. Si vous descendez en dessous de 15%, avec le monoxyde de carbone mal évacué, c'est aussi rapide qu'une flamme sous une cloche. D'une seconde à l'autre, on s'éteint.» Négligence seulement L'exploitant et le chauffagiste, toujours présumés innocents avant leur passage devant le Tribunal, sont poursuivis par la justice vaudoise pour deux homicides par négligence. Ils risquent 3 ans de prison maximum, possible sursis, ou une peine pécuniaire. L'avocat de la famille de Karim T., Filip Banic, résume la situation ainsi: «Un premier mort à cause de malfaçons des installations de chauffage, mises en place sans les compétences requises. Et ensuite, les mêmes prévenus, en pleine connaissance de cela, persistent à travailler sur le chauffage, et ne tiennent pas compte des contrôles. Un deuxième décès, pour les mêmes raisons, survient alors un an plus tard: c'est plus que de la négligence.» Me Banic soulèvera peut-être ainsi la question de la requalification de l'accusation en meurtre par dol éventuel, pour le cas de Karim T. Le dol éventuel, souvent manié avec prudence par la justice, signifie que les auteurs ont, par leurs agissements, accepté le risque de causer la mort, même sans l'avoir directement voulu. La peine possible serait alors considérablement aggravée: elle peut aller de 5 à 20 ans de prison. Quant au camping de Pra Collet, son avenir est incertain. Le propriétaire a dénoncé le bail pour 2026, et, fait-il savoir, «selon ce qui ressort du procès, Retraites Populaires se réserve le droit d'anticiper la fin des relations avec l'exploitant». Voilà désormais l'heure des fantômes. Gilbert et Karim, asphyxiés à Pra Collet pour avoir cherché un peu de chaleur, hanteront dès lundi 18 août le Tribunal d'arrondissement de Lausanne. Intoxications au monoxyde de carbone Newsletter «La semaine vaudoise» Retrouvez l'essentiel de l'actualité du canton de Vaud, chaque vendredi dans votre boîte mail. Autres newsletters Christophe Passer, né à Fribourg, travaille au Matin Dimanche depuis 2014, après être passé notamment par le Nouveau Quotidien et L'Illustré. Plus d'infos Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.

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