7 days ago
Prévention des féminicides
« En l'absence d'un danger imminent, les autorités disposent de peu d'outils qui leur permettraient de désamorcer durablement la situation » dans les cas de violence perpétrée par un partenaire intime, note l'auteur.
Un projet de loi criminalisant le contrôle coercitif à l'égard d'un partenaire intime a été freiné par le déclenchement des élections, déplore l'auteur
Simon-Pier Labelle
Analyste en politiques publiques et survivant.e de violence intime
Au Québec et au Canada, le raz-de-marée des féminicides et des meurtres en contexte conjugal* se poursuit.
En 2022, l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation recensait 184 féminicides au pays, une augmentation de près de 25 % par rapport à 2018, et le bilan annuel des victimes n'a pas fléchi depuis. La grande majorité d'entre elles – 93 % selon Statistique Canada1 – sont tombées aux mains d'un membre de leur famille ou d'un partenaire intime de genre masculin.
Pourtant, comme en témoigne le journaliste Dean Beeny2 dans son analyse des drames survenus dans le comté de Renfrew, en Ontario, les meurtres commis par un partenaire intime font partie des rares crimes jugés « évitables ».
Rarement spontanés, ils s'inscrivent plutôt dans une escalade de violence et de contrôle, de telle sorte que la famille, les proches, les collègues, les soignants et les forces policières sont parfois bien au fait des risques posés par un individu. Seulement, en l'absence d'un danger imminent, les autorités disposent de peu d'outils qui leur permettraient de désamorcer durablement la situation. Au contraire, une intervention malavisée pourrait voir s'aggraver la conduite de l'agresseur.
Freiné par les élections
Le projet de loi C-3323 proposait jusqu'à récemment de s'attaquer à un des éléments au cœur de cette dynamique en criminalisant le contrôle coercitif à l'égard d'un partenaire intime, c'est-à-dire toute tentative répétée d'user de violence ou menacer de le faire, de contraindre ou tenter de contraindre le partenaire intime à une activité sexuelle, ou d'agir de manière à ce que le partenaire intime craigne pour sa sécurité.
Il détaillait à cet effet une série de comportements (surveiller les faits et gestes ou les communications ; contrôler l'emploi, l'apparence physique ou la santé ; limiter l'expression de la croyance, de la culture ou de la langue ; menaces) qui, individuellement, ne permettraient pas de procéder à une arrestation. Ensemble, ils brossent toutefois un portrait qui, pour les victimes, s'assombrit de jour en jour.
Plusieurs territoires, dont l'Écosse, l'Espagne et l'Angleterre, ont adopté des approches similaires. Aucun ne souhaiterait revenir en arrière.
La mise en place du projet de loi prévoyait également la formation des corps policiers quant aux enjeux de la violence intime et des comportements coercitifs et à leurs manifestations.
Le personnel d'intervention pourra ainsi mieux déceler les facteurs de risque liés aux escalades de violence, comme l'a récemment recommandé le coroner dans son rapport sur le meurtre de Josée Barriault4, à Sainte-Julienne, en 2023.
Déposé deux fois sans succès, le projet de loi C-332 avait finalement obtenu l'assentiment unanime – et in extremis – du Parlement. Le NPD, qui l'avait parrainé, a dû faire alliance avec le Parti conservateur pour faire fléchir le gouvernement minoritaire en place à la clôture de la session. Après être arrivé au Sénat, à l'automne 2024, le parcours de C-332 s'est vu freiné brusquement par le déclenchement des élections.
Retour à la case départ.
Comme le NPD ne pourra pas déposer à nouveau ce projet de loi, et puisque la campagne électorale et le discours public se sont réorientés vers l'économie, c'est désormais l'Association canadienne des chefs de police qui prévoit un évènement5 pour trouver une manière de relancer l'initiative.
Maintenant, je me demande. Pourquoi un parti au pouvoir ne se résout-il pas à agir ? Combien de victimes se seront ajoutées lorsque les députés se lèveront pour applaudir, sourire aux lèvres, l'annonce des Journées d'action contre la violence faite aux femmes, en novembre ? S'en lave-t-on les mains parce que les mortes ne votent pas ?
* Cette catégorie inclut les homicides et les infanticides.
1. Consultez la page « Les homicides de femmes et de filles liés au genre au Canada »
2. Lisez le chapitre « The Preventable Crime » (en anglais)
3. Consultez le projet de loi C-332
4. Lisez notre article « La formation des policiers à revoir, selon le coroner »
5. Consultez la page de l'Association canadienne des chefs de police (en anglais)
Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue