5 days ago
Créolisation du français: LFI veut désormais que la francophonie rompe avec «l'héritage colonial»
Dans une tribune publiée le 16 juillet, Nadège Abomangoli et Aurélien Taché appellent à refonder la francophonie autour d'une langue «créolisée», portée par l'Afrique, loin de la conception actuelle qu'ils jugent «élitiste» et «héritée de la colonisation».
Voilà qui s'appelle en remettre une couche. Dans une tribune publiée hier 16 juillet dans l'hebdomadaire antilibéral Politis, Nadège Abomangoli, vice-présidente insoumise de l'Assemblée nationale, et le député LFI du Val-d'Oise Aurélien Taché, appellent à «en finir avec une certaine idée de la francophonie». Laquelle? Celle qu'ils décrivent comme «élitiste, réduite à des sommets diplomatiques stériles et à une image nostalgique d'une France coloniale idéalisée.»
Quelques jours plus tôt, le député du Val-d'Oise présentait à l'Assemblée nationale un rapport d'information sur la francophonie, appelant à rompre avec «toute forme d'impérialisme culturel». Et de conclure: «L'avenir ne pourra qu'être anti-impérial et décolonial». Ce rapport qu'il a mis deux ans à établir, en auditionnant 200 acteurs engagés dans la francophonie (diplomates, artistes, linguistes et universitaires), s'inscrit dans la continuité du colloque sur la francophonie organisé par Aurélien Taché en juin, resté dans les mémoires pour la sortie remarqué de Jean-Luc Mélenchon sur la créolisation.
Publicité
De là, la polémique. Pourtant, leur contre-offensive se pose en victime. Ce ne serait pas eux qui chercheraient la controverse, mais «la droite conservatrice, friande de polémiques réactionnaires et de frayeurs à peu de frais », toujours prompte à «épier les moindres faits et gestes de LFI pour y déceler les signes d'une organisation anti-France», comme on peut lire au début de la tribune.
Le français sans la France ?
«Cette approche folklorique et néocoloniale ne mène nulle part», expliquent les élus de la France insoumise. Mais où nous invitent-ils à aller? Que proposent-ils exactement? La vision est claire : il s'agit de défaire l'autorité symbolique du «français de France». Ce n'est qu'ainsi qu'il sera possible d'aller vers une nouvelle vision de la francophonie comme «espace politique fondé sur un principe d'égalité entre les peuples», un espace où le français de France, langue «créolisée», n'est qu'un idiome parmi les autres.
Leur argument central? «La langue française est multiple, elle appartient à tous ceux qui la parlent et elle évolue.» Selon certaines prévisions, en 2050, 70% des francophones dans le monde vivront en Afrique. Parmi eux, 90 % seront des jeunes. Les langues vivent, se transforment, s'infusent de leurs usages. Mais de ce constat linguistique que personne ne remettra en cause, LFI tire une conclusion radicale: puisque les locuteurs francophones sont désormais majoritairement étrangers, et demain majoritairement africains, la France ne peut plus revendiquer aucun rôle central dans la définition de la langue française. «La langue française appartient donc bien à ces 350 millions de locuteurs, qui font vivre cette langue commune, l'enrichissent, la modifient et lui permettent d'être autre chose qu'un "patrimoine précieux" voué au rabougrissement identitaire d'une droite aux illusions décadentistes.»
Dès lors, la France ne doit plus transmettre, mais se taire. Elle ne doit plus faire autorité, mais se dissoudre dans une agora linguistique globale. Comme l'écrivent les députés : «Le français n'est pas pour nous un héritage figé à préserver via des institutions de France, à Paris, comme l'Académie française, mais un levier de coopération autour de grands projets collectifs – scientifiques, maritimes, spatiaux – et de valeurs partagées : décolonialisme, anti-impérialisme et paix.» Ils dénoncent ainsi cette «hiérarchie symbolique» qui placerait le «français parisien» au sommet.
La langue «s'étend» mais «ne se décentre pas»
La question est délicate. Hélène Carrère d'Encausse, regrettée secrétaire perpétuelle de l'Académie française, résumait cela dans Le Figaro par une formule très juste, expliquant que «la langue française ne se décentre pas, elle s'étend.» Et d'ajouter: «C'est cela, la francophonie, c'est notre richesse et il est de notre responsabilité collective d'y participer et de l'accompagner. Tous les francophones sont beaucoup plus attentifs à la langue française que nous ne le sommes, hélas, en France ».
Publicité
À ceux qui osaient suggérer que le français serait désormais « moins français que francophone », elle répondait sans trembler : «Non, certainement pas. La langue française est notre patrimoine, et elle est éternelle. Les francophones ont une passion pour la langue française. C'est la langue de Voltaire, de Chateaubriand, etc. La francophonie est comme une famille, on ressemble beaucoup à ses parents, un petit peu moins à ses grands-parents et ainsi de suite, mais c'est le français qui est la langue de la francophonie. Et c'est cela qui a séduit des centaines de millions de personnes à travers le monde, et le mouvement ne cesse de s'amplifier.»