11-07-2025
La lettre de Trump soumise aux faits
La lettre du président américain Donald Trump, envoyée jeudi soir au premier ministre du Canada, Mark Carney, contient des affirmations difficiles à prouver, des demi-vérités ou carrément des faussetés. En voici cinq extraits commentés.
Lisez la lettre de Donald Trump dans l'article « La Maison-Blanche accentue la pression sur Ottawa »
« Les États-Unis ont imposé des droits de douane au Canada pour endiguer la crise du fentanyl de notre nation, causée en partie par l'échec du Canada à empêcher les drogues d'affluer dans notre pays. »
Il s'agit d'une fausseté souvent répétée par l'administration Trump, et totalement contredite par les faits établis par les autorités américaines elles-mêmes. Selon les statistiques de la US Customs and Border Protection, on a saisi 53 kg de fentanyl en provenance de la « frontière nord » avec le Canada depuis 2022. On note une hausse substantielle des saisies depuis octobre 2024, alors qu'on a saisi 26 kg en provenance du Canada. Ce qui peut sembler énorme pour cette drogue 50 fois plus puissante que l'héroïne, mais ne représente qu'une infime proportion des saisies. Celles-ci ont totalisé 33,8 tonnes depuis 2022. Le Canada n'en représente que 0,07 %. C'est à la frontière mexicaine, avec 31,8 tonnes ou 97,1 % des saisies, que se trouve le réel problème.
« Au lieu de travailler avec les États-Unis (sur le dossier du fentanyl), le Canada a riposté avec ses propres droits de douane. »
On peut bien entendu estimer que le Canada n'en a pas fait assez contre le fentanyl, mais il serait faux d'affirmer que rien n'a été fait. En décembre 2024, on a annoncé un « plan frontalier » de 1,3 milliard haussant de 8500 à 10 000 agents l'effectif pour protéger la frontière, et réservant spécifiquement 200 millions au renseignement pour lutter contre le crime organisé et le fentanyl. De décembre 2024 au 18 janvier 2025, la Gendarmerie royale du Canada a rapporté avoir procédé à 524 arrestations et saisi 46,2 kg de fentanyl. Comme le demandait Washington, le gouvernement Trudeau a annoncé en février 2025 la nomination d'un nouveau « tsar du fentanyl », tel que spécifié dans le communiqué officiel, Kevin Brosseau.
« Le Canada […] compte de nombreuses politiques tarifaires et non tarifaires et barrières commerciales qui entraînent des déficits commerciaux insoutenables contre les États-Unis ».
Cette affirmation se divise en fait en deux parties, qui ne sont pas nécessairement liées. Avant l'élection de Donald Trump, les administrations américaines ont souvent dénoncé les « barrières » imposées par le Canada. Dans un rapport datant de novembre 2023, par exemple, l'International Trade Administration citait une dizaine de catégories allant du bannissement de produits à la discrimination concernant les appels d'offres, à l'établissement de normes désavantageant les produits non canadiens ou pénalisant les produits qui auraient profité de dumping. Par ailleurs, en 2024, le Canada affichait un surplus de 100 milliards pour l'échange des biens avec les États-Unis, et un déficit de 12,6 milliards pour les services. Ceci dit, le déficit américain de 100 milliards disparaît quand on exclut les importations de pétrole canadien, qui ont été exactement de ce montant en 2024. Autrement dit, les « barrières » canadiennes n'ont rien à y voir.
« Le Canada fait payer des droits de douane extraordinaires à nos producteurs laitiers – jusqu'à 400 % – et c'est en supposant que nos producteurs laitiers aient accès au [marché canadien] pour y vendre leurs produits aux gens du Canada. »
La gestion de l'offre, qui régit depuis 1972 la production agricole canadienne pour le lait, les œufs et la volaille, irrite bien des Américains, et pas seulement Donald Trump. Ce système complexe octroie des quotas aux agriculteurs canadiens et impose des droits de douane sur les importations. Mais depuis la ratification de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) en 2018, on permet l'importation au Canada d'un certain quota sans droits de douane, équivalant environ à 3,5 % du marché canadien. C'est au-delà de ce quota que des droits pouvant atteindre 315,5 % peuvent être imposés. Or, dans le cas spécifique du lait, ce quota n'a jamais été atteint et les producteurs laitiers américains n'ont donc jamais eu à payer ces droits de douane.
« C'est un grand honneur pour moi de vous faire parvenir cette lettre en ceci qu'elle témoigne de la force et de l'engagement de notre relation commerciale… » « Vous ne serez jamais déçu avec les États-Unis d'Amérique. Je vous remercie de l'attention que vous porterez à cette question ! »
Si elle contient des menaces claires et des affirmations douteuses, voire carrément fausses, la lettre de Donald Trump commence et se termine par d'étonnantes formules de politesse. Faut-il y voir de l'ironie ou de la moquerie ? « 'Thank you for your attention !'avec un point d'exclamation, c'est dur de ne pas y voir une pointe d'humour, il y a là un ton moqueur, commente Rafael Jacob, auteur et chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. Ç'a l'air d'être sa nouvelle expression favorite, ça fait plusieurs fois au courant des dernières semaines qu'il la ressort. C'est son style à lui, qui est pour le moins extraordinairement inorthodoxe et extrêmement dur à suivre, très souvent. » S'il s'avoue « réticent » à psychanalyser Donald Trump sur la forme, il est cinglant quant au fond de cette lettre. « Le fond est complètement impossible à suivre également. C'est complètement incohérent. »