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Des victoires qui inquiètent des juristes
Le président des États-Unis, Donald Trump, qui multiplie les décrets depuis son retour à la Maison-Blanche, a enregistré récemment des victoires importantes témoignant d'une préoccupante dérive autoritaire à la tête du pays, préviennent des juristes.
Plusieurs spécialistes de la Constitution contactés jeudi par La Presse à la veille de la fête nationale américaine ont indiqué que les institutions devant servir de contre-pouvoir face au chef de l'État ne jouaient pas adéquatement leur rôle à l'heure actuelle.
Le Congrès ne sert notamment qu'à « entériner formellement » les désirs de son administration, note David Lopez, professeur de l'Université Rutgers.
Il voit l'adoption jeudi d'un important projet de loi budgétaire appelé One Big Beautiful Bill par le président comme une nouvelle illustration de la situation plutôt qu'un processus législatif normal.
Plusieurs élus républicains avaient promis de s'y opposer, mais la plupart se sont finalement ralliés sous forte pression de l'administration, permettant son adoption par une faible majorité.
« On a vu par le passé des élus républicains dénoncer George W. Bush, Ronald Reagan ou encore Richard Nixon. Aujourd'hui, les élus du parti ne servent qu'à approuver ce qui vient de l'administration parce qu'ils ont peur de Donald Trump », dit M. Lopez.
« Aplaventisme » exceptionnel
Le Congrès est dysfonctionnel depuis longtemps en raison du clivage politique existant aux États-Unis, nuance Devon Ombres, du Center for American Progress.
Les élus républicains de la Chambre des représentants et du Sénat, où ils sont majoritaires, font cependant preuve d'un « aplaventrisme » exceptionnel qui les amène à accepter sans sourciller des atteintes majeures au pouvoir de l'institution, y compris en ce qui a trait au pouvoir de dépenser.
On est face à un chien battu qui a peur de se faire frapper par son maître.
Devon Ombres, du Center for American Progress
Ilya Somin, juriste rattaché à la George Mason University, note que le président Trump tente d'élargir « massivement » les pouvoirs de la présidence sans crainte de contrecoups du Congrès et n'hésite pas, pour justifier ses actions, à invoquer des « urgences » qui ne cadrent pas avec le sens légal traditionnellement donné à ce terme.
Le stratagème, relève-t-il, a été utilisé pour imposer des droits de douane à des pays étrangers sans l'accord du Congrès, empêcher les demandes d'asile de migrants se présentant à la frontière sud du pays ou refuser la citoyenneté américaine aux enfants nés de sans-papiers sur le sol américain.
Recours inefficaces
La Cour suprême a facilité les ambitions du président en décidant la semaine dernière de limiter la capacité des tribunaux à prononcer des injonctions provisoires de portée nationale, note M. Somin.
D'autres mécanismes, par exemple des actions collectives, pourraient être utilisés, mais leur efficacité à ce stade demeure incertaine, souligne-t-il.
M. Ombres relève que les actions collectives sont « très complexes et coûteuses » et ne pourront contrecarrer l'effet de la décision du plus haut tribunal du pays. La décision est d'autant plus choquante, dit-il, qu'elle a été prise dans le cadre d'une cause portant sur un décret clairement anticonstitutionnel.
PHOTO ALEX WROBLEWSKI, AGENCE FRANCE-PRESSE
Siège de la Cour suprême américaine
Le résultat de la décision de la majorité conservatrice du tribunal est que le président pourra multiplier les décrets sur des sujets sensibles et même bafouer la Constitution s'il le désire sans avoir à craindre d'être bloqué rapidement par un recours judiciaire.
Si les gens ne peuvent pas faire appel aux tribunaux ou au Congrès, qui a abdiqué ses pouvoirs face à l'administration, qu'est-ce qu'ils sont censés faire ?
Devon Ombres, du Center for American Progress
La question va se poser avec encore plus d'acuité, estime M. Somin, avec l'adoption du projet de loi budgétaire cher au président Trump qui va frapper de plein fouet nombre d'Américains pauvres ou issus de la classe moyenne.
Le texte prévoit une augmentation massive des dépenses en matière de défense et d'immigration ainsi que le prolongement de crédits d'impôt importants. Elles doivent être financées en partie par des coupes dans l'assurance maladie et l'aide alimentaire susceptibles de toucher des millions de personnes.
Cote de popularité
Russell Wheeler, constitutionnaliste de la Brookings Institution, pense que le projet de loi va affecter la cote de popularité du président en frappant sa base politique et pèsera dans les élections de mi-mandat prévues en 2026.
Une victoire républicaine qui permettrait au parti de conserver le contrôle des deux chambres n'augurerait rien de bon pour la démocratie américaine, prévient-il.
PHOTO MANDEL NGAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Donald Trump face à la presse après que la Cour suprême a limité la capacité des tribunaux à prononcer des injonctions intérimaires de portée nationale, le 27 juin dernier
« On ne peut pas dire actuellement que les fondements de la République tremblent, mais les perspectives ne seront pas bonnes si la situation actuelle avec un Congrès servile se poursuit » sur quatre ans, déclare M. Wheeler.
M. Ombres pense que les efforts du président pour maximiser ses pouvoirs en multipliant les décrets ont déjà un impact dramatique sur le pays.
« Les Américains doivent se rappeler que nous nous sommes révoltés il y a 249 ans contre un monarque tyrannique et que l'on voit l'administration actuelle reproduire la même tyrannie dénoncée dans la Déclaration d'indépendance », dit-il.