5 days ago
Un traité mondial pourrait « tout changer »
Des objets en plastique ont été laissés devant le siège européen de l'ONU à Genève, en Suisse, où se négocie un traité mondial sur la pollution plastique.
184 pays se sont réunis mardi à Genève sous l'égide de l'ONU pour tenter, de nouveau, d'aboutir au premier traité mondial sur la pollution plastique. Une experte interrogée par La Presse explique en quoi un tel traité pourrait accélérer les choses dans la lutte contre ce « fléau ».
Pourquoi veut-on aboutir à un tel traité ?
La pollution plastique est un problème qui soulève de plus en plus d'inquiétudes – en particulier ces dernières années 1.
« La pollution plastique endommage les écosystèmes, pollue nos océans et nos rivières, menace la biodiversité, affecte la santé humaine et pèse de façon injuste sur les plus vulnérables. L'urgence est réelle, la preuve est claire et la responsabilité repose sur nous », a lancé en ouverture le diplomate équatorien Luis Vayas Valdivieso, qui préside les débats du comité de négociation.
PHOTO SALVATORE DI NOLFI, ASSOCIATED PRESS
Le diplomate équatorien Luis Vayas Valdivieso
La pollution plastique est un « danger grave, croissant et sous-estimé » pour la santé, qui coûte au monde au moins 1500 milliards de dollars par an, ont encore averti lundi des experts dans la revue médicale The Lancet.
Qu'est-ce qui bloque, dans les négociations ?
Les négociations auraient dû s'achever en décembre dernier à Busan, en Corée du Sud, lors du cinquième et (supposément) dernier cycle de négociations sur la question. Mais ce sommet s'est finalement soldé par un échec, un groupe de pays producteurs de pétrole ayant bloqué toute avancée des discussions.
Le cinquième cycle de négociations a donc repris mardi à Genève, en Suisse, sous le nom de « CIN-5.2 ».
« J'espère vraiment que cette fois, ce sera la dernière. Ce serait vraiment triste qu'on n'aboutisse pas à un accord », indique Anne-Marie Asselin. Celle-ci a été invitée à participer au 4e Sommet sur le sujet, qui a eu lieu à Ottawa, du 23 au 29 avril 2024, en tant que fondatrice de l'Organisation Bleue. Cet organisme s'attache notamment à ramasser et à recenser les déchets de plastique qui polluent les cours d'eau et les océans dans l'est du Canada, pour inciter les politiques à prendre des mesures afin d'endiguer le problème.
PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE
Anne-Marie Asselin, fondatrice de l'Organisation Bleue
En décembre, les négociations s'étaient cristallisées autour d'une question épineuse : faut-il réduire le plastique à sa source, en limitant la production de nouveaux plastiques, ou plutôt concentrer ses efforts en bout de chaîne, sur le recyclage et le traitement des déchets ?
Mais selon Anne-Marie Asselin, la question ne devrait pas être posée de façon aussi binaire. « La bonne réponse se situe quelque part entre les deux », selon elle.
« On génère une énorme variété de plastiques et dans des quantités beaucoup trop grandes pour le marché [du recyclage]. Donc il faut à la fois augmenter la durée de vie des matières et diminuer la production à la source. »
Où se situe le Canada, dans tout ça ?
En décembre, le ministre fédéral de l'Environnement, Steven Guilbeault, avait exprimé sa déception après l'échec des négociations. Le Canada fait partie des pays qui souhaitent à la fois réduire à la source et s'attaquer à la dépollution et au recyclage.
Les Canadiens figurent néanmoins parmi les plus grands producteurs de déchets de la planète, rappelle Mme Asselin. « Si on ratifie ce traité, ça montre la volonté du Canada de s'améliorer, parce qu'on n'est vraiment pas très bons là-dedans. »
Selon les chiffres avancés par Statistique Canada, 7,1 millions de tonnes de matières plastiques ont été fabriquées pour la consommation en 2021. Près de 5 millions de tonnes ont fini en déchets – ce qui correspondait à 130 kilogrammes par habitant. L'écrasante majorité de ces déchets de plastique a été récupérée (99,2 %), mais moins de 10 % ont été recyclés.
« On est comme rendus experts dans la récupération, mais le taux de recyclabilité est toujours très bas », déplore Anne-Marie Asselin.
Elle espère également que le traité intégrera une clause interdisant aux pays occidentaux d'envoyer leurs déchets de plastique à l'étranger pour prétendre faire leur part.
Quelle forme pourrait prendre un tel traité ?
Un traité sur la pollution plastique pourrait aller bien au-delà du symbole et prendre différentes formes, avance Anne-Marie Asselin. « Ce serait comme un code de conduite auquel les pays doivent se soumettre », indique-t-elle, à la manière de l'Accord de Paris sur le climat.
Une limite de la production de plastique pourrait par exemple être fixée ; et si certains pays la dépassent, ils devront payer une taxe qui irait dans un fonds pour lutter contre la pollution plastique.
PHOTO FABRICE COFFRINI, AGENCE FRANCE-PRESSE
Plus de 180 pays sont réunis à Genève pour les négociations sur le traité mondial sur la pollution plastique.
Il pourrait aussi s'agir de limiter spécifiquement le plastique à usage unique. « Cela permettrait de stimuler d'autres solutions, de revenir vers la consigne par exemple », indique-t-elle.
Dans tous les cas, « cela permettrait de reconnaître la pollution plastique comme un fléau et de prendre action en conséquence », résume-t-elle.
Qu'est-ce que cela changerait pour nous ?
Au fil des ans, les différents ordres de gouvernement ont commencé à agir pour la lutte contre la pollution plastique.
On peut par exemple penser à l'objectif « zéro déchet plastique d'ici 2030 » du gouvernement fédéral, à l'élargissement progressif de la consigne au Québec, à l'interdiction d'articles en plastique à usage unique à Montréal en 2023, ou à diverses initiatives pour favoriser l'économie circulaire à une échelle plus locale.
Malgré tout, l'impact du plastique reste « bien présent », y compris au Québec, témoigne Anne-Marie Asselin. Elle-même organise régulièrement des nettoyages de berges sur les rives du Saint-Laurent et est toujours effarée par la quantité de déchets de plastique qu'elle y retrouve, malgré la taille relativement petite de la population québécoise.
Mais si l'ONU parvient à un accord, cela pourrait « tout changer », puisque l'impulsion viendrait « d'en haut », explique-t-elle.
« Avec un traité mondial, on accélérerait les choses à vitesse grand V. Et cette vitesse grand V, c'est exactement ce que la science indique et ce que nous, on voit sur le terrain : il faut prendre action, et rapidement. »
Avec l'Agence France-Presse
1. Lisez notre dossier « Des microplastiques partout en nous »