08-07-2025
«Quand je masse, je fous la paix aux coureurs», Eric, 19 Tours de France, le kiné aux mains d'or
UN JOUR, UN MÉTIER - Tout au long du Tour de France, Le Figaro va à la rencontre de ceux qui font le Tour à l'ombre des coureurs.
Eric Lasselin, c'est d'abord une carrure de rugbyman, des avant-bras épais comme des jambonneaux et, derrière ses lunettes, une ressemblance avec le chef étoilé Thierry Marx, ex-figure de l'émission Top Chef. Et en matière de viande, ce Belge en connaît un sacré rayon. Tous les soirs les jambes, les dos et les corps parfois meurtris des coureurs passent entre ses mains expertes.
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Des quadriceps saillants des sprinteurs à ceux, durs et tendus comme des cordages serrés, des grimpeurs, Eric Lasselin fait des miracles. À 58 ans, le Belge vient d'entamer son 19e Tour de France avec l'équipe Cofidis qu'il a rejointe en 2000. Il compte aussi trois Tours d'Italie, une douzaine de Tour d'Espagne et des courses un peu partout à travers le monde. Une vie à voyager.
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Son dix-neuvième Tour de France
Après les étapes, à l'hôtel, aux alentours de 20h00, Eric Lasselin et les autres membres du staff médical, accueillent les coureurs dans sa chambre transformée en cabinet. Au programme, entre quarante-cinq minutes et une heure de massage personnalisé en fonction et l'étape et du profil du coureur. Certains sont douillets, d'autres encaissent mieux le malaxage. «Le massage, c'est clairement un moment privilégié de la journée quand on passe entre les mains d'Eric. En général ça fait du bien mais ça peut être douloureux quand il pétrit fort aussi, décrit le sprinteur de l'équipe nordiste Bryan Coquard malheureux lundi lorsqu'il a provoqué la chute et l'abandon de Jasper Philipsen. Et si on a passé une sale journée, Eric sent tout de suite s'il faut parler ou pas de certaines choses et ça, on l'apprécie.»
Bryan Coquart, le sprinteur de l'équipe Cofidis.
Mathilde L'Azou, Team Cofidis
Le kiné qui soigne le corps et le cœur
Car au cours d'une séance, Eric Lasselin soigne autant le corps que l'esprit. «Les deux sont indissociables. Je travaille sur les muscles mais je fais du bien à la tête», précise celui que tout le monde surnomme «Teu Teu». Il guérit même parfois aussi un peu les cœurs quand rien ne va sur un Tour. «Les gars sont sous pression pendant trois semaines. Une pression maximale de performance, pression quotidienne des médias, alors quand ils passent entre mes mains, ma première mission c'est de leur foutre la paix. Je ne leur parle pas de la course, sauf si ce sont eux qui abordent le sujet. C'est à eux de faire le premier pas et là on peut être leur confident.»
«On parle de tout sauf de la course»
Ce kinésithérapeute chevronné a été formé pour travailler au début de sa carrière avec les enfants autistes et caractériels. Être à l'écoute et se montrer patient, il maîtrise. «Si le coureur ne veut pas parler, c'est qu'il a envie de couper avec tout, surtout s'il a chuté. Chacun a son caractère. Quand la discussion s'engage, on parle de la famille, on glisse quelques mots parfois pour rassurer. On s'adapte.»
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Il y a aussi les coureurs qui peuvent craquer. «C'est arrivé quand ils savent que l'abandon est proche malheureusement.» Eric Lasselin préfère les larmes de joie qui accompagnent les soirs de victoire d'étape. «Toute la pression se relâche d'un coup, confie-t-il. Ce sont les massages les plus faciles. J'avais massé Victor Lefay après son succès à Saint-Sebastien en 2023. C'était sans doute une des séances les plus faciles que j'ai eues à faire. Dans ces moments-là, l'euphorie fait que la douleur s'envole.»
Quand les coureurs s'endorment, le signe d'une séance réussie
Resté proche de l'ancien coureur David Moncoutié (coureur entre 1997 et 2012), «une vraie belle personne qui faisait du vélo pour le plaisir» ou Sylvain Chavanel (coureur entre 2000 et 2018), le Monsieur massage du team Cofidis sait lorsqu'une séance a été particulièrement efficace. Au fil des années, certains signent ne mentent pas. «Quand je les vois s'endormir, ils sont détendus et ils récupèrent musculairement et mentalement. Là je sais que j'ai fait mon boulot», glisse-t-il. Alors, à 22 heures, la porte de la chambre peut se refermer avec le sentiment du devoir accompli.