06-07-2025
Le paysage des cartels en pleine mutation
Offrandes de fleurs, de bougies, de photos et de dollars américains sur un autel dédié à Jesús Malverde, un « narco saint », à Culiacán, au Mexique, fief du cartel de Sinaloa
Le cartel de Sinaloa, réputé pour expédier d'énormes quantités de fentanyl aux États-Unis, est secoué par une répression gouvernementale et une guerre interne. La situation est telle que la survie de l'organisation criminelle parmi les plus puissantes au monde pourrait être menacée, croient des observateurs.
Paulina Villegas
The New York Times
Qu'est-ce que le cartel de Sinaloa ?
Le cartel de Sinaloa est un des grands responsables de la production massive de fentanyl et d'autres drogues ayant un effet dévastateur aux États-Unis.
Longtemps, il a opéré selon un modèle « parapluie », soit un réseau intégré de cellules criminelles et d'affiliés répartis dans des dizaines de pays et collaborant à trafiquer de la drogue et à blanchir des milliards de dollars. Le fentanyl, les méthamphétamines et la cocaïne sont la première source de revenus du cartel. Mais le groupe se livre aussi à la traite des personnes, à l'enlèvement de migrants, à l'exploitation forestière illégale et au vol de carburant.
Il exerce son pouvoir par la violence et l'intimidation, corrompant des fonctionnaires, escroquant des citoyens et tuant toute personne entravant ses activités, y compris des journalistes.
Le cartel a été fondé par Joaquín Guzmán, connu sous le nom d'El Chapo, et Ismael Zambada García, connu sous le nom d'El Mayo.
PHOTO EDUARDO VERDUGO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Joaquín « El Chapo » Guzmán, chef du cartel de Sinaloa, peu après son arrestation le 22 février 2014 à Mazatlán, au Mexique
Guzmán, emprisonné à perpétuité aux États-Unis, a bâti sa légende sur la violence, mais aussi sur sa capacité à échapper à la justice. Il s'est déjà évadé d'une prison dans un chariot de blanchisserie, puis, des années plus tard, il s'est enfui par un tunnel creusé sous la douche d'une cellule de haute sécurité.
Comment la guerre interne a-t-elle commencé ?
L'été dernier, coup de théâtre, un des fils d'El Chapo a enlevé Zambada et l'a livré à la police américaine. Cette trahison a aggravé d'anciennes rivalités et déclenché le conflit, transformant l'État de Sinaloa en zone de guerre.
Les fils d'El Chapo, surnommés Los Chapitos, sont réputés pour leur cruauté extrême. Ivan Guzmán Salazar et Jesús Alfredo Guzmán Salazar dirigent le cartel. Leurs demi-frères, Joaquín Guzmán López et Ovidio Guzmán López, sont emprisonnés aux États-Unis.
Après l'arrestation d'El Chapo en 2016, Los Chapitos ont pris la tête de l'organisation de leur père et ont bâti un empire lucratif autour du fentanyl, empochant des millions en inondant les rues américaines d'opioïdes.
PHOTOS AGENCE FRANCE-PRESSE ET DOUANES AMÉRICAINES
Ismael Zambada García, à gauche, a été trompé et incité à monter à bord d'un avion par Joaquín Guzmán López, à droite, fils du célèbre baron de la drogue connu sous le nom d'El Chapo.
Le clan ennemi, Los Mayos, est fidèle à Zambada, réputé pour sa discrétion et ses alliances stratégiques. Il est plus discipliné, pragmatique et attaché aux pratiques établies du trafic de drogue.
Qui sont les rivaux du cartel ?
Le cartel de Sinaloa a des rivalités sanglantes avec plusieurs groupes qui cherchent à étendre leur influence et à contrôler territoires et routes de trafic.
Son concurrent le plus redoutable est le cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG), connu pour ses tactiques paramilitaires. Fondé en 2009, le CJNG est une des organisations criminelles transnationales les plus violentes et les plus dynamiques, selon les autorités mexicaines et américaines.
Dirigé par Nemesio Oseguera Cervantes, le CJNG est devenu un acteur majeur du trafic de fentanyl. Il trafique aussi la cocaïne, l'héroïne et la méthamphétamine.
PHOTO ALEXANDRE MENEGHINI, ARCHIVES REUTERS
Des membres du cartel de Sinaloa préparent des capsules de méthamphétamine dans un laboratoire clandestin à Culiacán, au Mexique, le 4 avril 2022.
Les deux cartels se sont livré des guerres de territoire dans les États de Guerrero, Sonora, Michoacán, Chiapas et ailleurs au Mexique.
Que font les États-Unis et le Mexique ?
Le président Donald Trump a menacé d'imposer des droits de douane généralisés et d'envoyer des troupes américaines au Mexique si ce dernier ne prenait pas des mesures plus énergiques pour lutter contre le trafic de fentanyl et démanteler les cartels.
En réponse, la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, a lancé une offensive contre le cartel de Sinaloa en particulier. Des milliers de soldats ont été envoyés dans l'État de Sinaloa. Ils ont arrêté des dizaines de membres haut placés, saisi de grandes quantités de fentanyl et d'autres drogues et démantelé des dizaines de laboratoires clandestins.
PHOTO ADRIANA ZEHBRAUSKAS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES
Le gouvernement du Mexique a envoyé des milliers de soldats dans l'État de Sinaloa, portant un coup dur au cartel du même nom.
L'administration Trump a aussi pris des mesures. Elle a désigné le cartel de Sinaloa et d'autres groupes comme organisations terroristes étrangères, imposé des sanctions sévères aux dirigeants du cartel et étendu les vols secrets de drones de la CIA au-dessus du Mexique afin de localiser les laboratoires de fentanyl, selon des responsables américains.
Cependant, il est extrêmement difficile de mettre fin à la domination du cartel étant donné de ses ressources considérables.
Le fentanyl est facile à produire, même dans un laboratoire rudimentaire, et la demande américaine est insatiable, notent des experts. Cela rend la crise extrêmement difficile à contenir.
Qui est en train de gagner la guerre ?
Ce n'est pas clair et rien n'indique que les combats vont cesser prochainement, disent les analystes. Mais il y a consensus sur les avancées du gouvernement mexicain : il a porté un coup dur aux Chapitos en arrêtant des dizaines de membres de haut rang.
PHOTO MERIDITH KOHUT, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES
Membre du cartel de Sinaloa mélangeant du colorant bleu à du fentanyl, à Culiacán, au Mexique, en décembre
L'alliance inattendue des Chapitos avec le CJNG laisse penser qu'ils sont désespérés. Selon Vanda Felbab-Brown, experte en groupes armés non étatiques à la Brookings Institution, cette guerre a des implications mondiales sur « la manière dont les marchés criminels vont se réorganiser ».
Quelle que soit la faction qui l'emportera, ajoute-t-elle, cette guerre signifie probablement la fin du cartel de Sinaloa tel qu'on le connaît.
« Restera-t-il quelque chose du cartel ou de la faction Mayo ? Seront-ils vaincus, dépecés et détruits par le CJNG ? Ça reste à voir », conclut-elle.
Cet article a été publié dans le New York Times.
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