18-07-2025
Soyons intolérants envers l'itinérance
Depuis le début de l'été, les avocats se succèdent devant les tribunaux pour repousser le moment du démantèlement du campement d'itinérants rue Notre-Dame. Ils y seront encore ce vendredi.
Cette situation vous rappelle-t-elle quelque chose ?
D'été en été, on joue dans le même film. Un film où les perdants sont toujours les mêmes.
Je pourrais écrire : attend-on que quelqu'un meure pour agir ? Pour faire de la lutte contre l'itinérance une priorité ? Mais quelqu'un est déjà mort – plusieurs personnes, même, au cours des dernières années –, et cela n'a pas changé grand-chose.
Je ne dis pas qu'il ne se fait rien.
Il y a beaucoup d'organismes communautaires sur le terrain qui tentent de créer des petits miracles avec peu de moyens.
La Ville de Montréal et le gouvernement du Québec ne se croisent pas les bras non plus, mais ils n'en font pas assez. Surtout, ils le font sans ligne directrice.
Malgré les nombreuses initiatives et les différentes tables de concertation créées au fil des ans, il n'y a toujours pas de chef d'orchestre qui coordonne et détermine les priorités dans ce dossier. Et ce, même si on le réclame depuis plusieurs années. Il y a encore trop de travail en silo.
Ces observations figurent dans le rapport de l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM) dévoilé le 10 juillet dernier.
Dans ce rapport, l'OCPM recommande de mettre fin aux démantèlements, ce à quoi la Ville de Montréal s'oppose. C'est surtout cette recommandation qui a attiré l'attention.
Mais ce volumineux document de 298 pages comporte beaucoup d'autres observations qui méritent notre attention. On y souligne entre autres le manque de leadership des différents gouvernements face à la crise de l'itinérance. Les auteurs observent « un déficit majeur sur le plan de la gouvernance, à Montréal et au Québec ». Ils notent aussi « un manque de clarté et d'imputabilité quant aux rôles et responsabilités des acteurs impliqués ».
Or, ajoutent-ils, « cette lacune dans la gouvernance limite la capacité d'intervention, entraîne une gestion inefficace des ressources et provoque un désengagement et un épuisement professionnel chez le personnel œuvrant en itinérance ».
C'est assez grave comme constat.
On reproche également à la Ville de Montréal de mettre l'accent sur la sécurité des personnes logées aux dépens de celle des Montréalaises et Montréalais en situation d'itinérance. Or, rappellent les auteurs du rapport, nous avons tous les mêmes droits dans cette ville, que nous soyons logés ou pas.
On recommande à la Ville de subventionner davantage les organismes communautaires, d'agir de façon plus marquée contre la crise du logement, de « créer les conditions propices à une cohabitation harmonieuse sur son territoire » et de redéfinir le mandat du commissaire à l'itinérance.
Il n'existe pas de formule magique pour s'attaquer à l'itinérance. C'est un problème complexe, exacerbé par d'autres crises : celle du logement, de la dépendance aux substances et de santé mentale.
Il n'y a pas de formule magique, mais il y a quand même des approches qui ont fait leurs preuves. À commencer par l'établissement d'un vrai leadership. On pourrait certainement arriver à de meilleurs résultats si les trois ordres de gouvernement – municipal, provincial et fédéral – mettaient en place une gouvernance claire, et que Québec prenait la direction de ce dossier. C'est l'une des 22 recommandations de l'OCPM.
J'ai parlé des conclusions de ce rapport avec le responsable du dossier de l'itinérance au comité exécutif de la Ville de Montréal, Robert Beaudry. Il ne s'en cache pas, certaines conclusions du rapport l'ont heurté. « Quand je lis que la Ville de Montréal manque de leadership, personnellement, j'ai pris un coup, me confie-t-il. Depuis la pandémie, on a fait une réflexion profonde, on a créé le service d'habitation, on a mis sur pied l'Équipe mobile de médiation et d'intervention sociale (EMMIS). »
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE
Robert Beaudry
On trouve ça moche de se faire dire qu'on n'en fait pas assez, mais on met notre orgueil de côté. On va arrêter d'être toujours sur le volet des compétences et arriver avec des actions qui dépendent de 'nos' compétences.
Robert Beaudry, responsable du dossier de l'itinérance au comité exécutif de la Ville de Montréal
Les conclusions de l'OCPM quant à l'absence de leadership de Québec devraient intéresser toutes les villes québécoises. Depuis le sommet sur la question organisé par l'Union des municipalités du Québec (UMQ) en septembre 2023, les villes demandent justement au gouvernement provincial d'en faire plus.
L'objectif de départ de cette consultation était de se pencher sur la question de la cohabitation sociale entre personnes logées et personnes en situation d'itinérance sur le territoire montréalais. L'OCPM a vite réalisé qu'il était impossible de parler de cohabitation sans prendre un pas de recul et considérer l'ensemble de la situation. C'est ce qui fait de ce rapport un document précieux auquel on pourra se référer à l'avenir.
Dans leur conclusion, les commissaires expriment le souhait que l'intolérance de certains face aux personnes en situation d'itinérance puisse devenir une intolérance collective face à l'itinérance. On ne saurait mieux dire.
Un mot sur les femmes
Les Autochtones, la communauté LGBTQ+ et les femmes ne vivent pas l'itinérance de la même façon qu'un homme blanc d'âge moyen. Les femmes sont particulièrement vulnérables face à l'itinérance. Elles sont moins visibles et ont tendance à éviter les refuges mixtes et les haltes-chaleur. Harcèlement, violence, viols… voilà la dure réalité des femmes qui vivent dans la rue, d'où les besoins urgents de développer des ressources qui leur sont destinées, notent les commissaires de l'OCPM. À quand des haltes-chaleur – et des haltes-fraîcheur – pour femmes seulement ?
Lisez le rapport de l'OCPM
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