29-07-2025
Une renaissance fulgurante
En 2004, Kodak arrête de fabriquer des appareils photo analogiques. Vingt ans plus tard, la même entreprise décide de fermer son usine. Faillite ? Banqueroute ? Non, il fallait moderniser l'usine afin de produire plus de pellicule. Une preuve du regain de popularité de cet art, également observé par les photographes montréalais.
Aurélie Lachapelle
La Presse
Pierre-Paolo Dori est propriétaire du Studio Argentique à Montréal, une des boutiques spécialisées en photographie analogique. Dans le magasin de la rue Rachel Est, on peut acheter de la pellicule, des appareils photo et faire développer ses rouleaux de film.
La photographie analogique consiste à prendre des photos sur une pellicule sensible à la lumière, contrairement aux appareils numériques où la photo est directement enregistrée sur une carte SD.
M. Dori a vu l'engouement pour ce type de photographie augmenter « de façon exponentielle » depuis la création du magasin, en 2015.
En dix ans, on double facilement chaque année les ventes.
Pierre-Paolo Dori, propriétaire du Studio Argentique
Il précise toutefois que ce niveau – élevé – stagne depuis deux ou trois ans. Le Studio Argentique traite des milliers de films par semaine, selon M. Dori.
Cette montée de popularité se reflète aussi dans sa clientèle. Bien qu'il existe des vétérans, des éternels passionnés, Pierre-Paolo Dori estime que 50 % de sa clientèle a moins de 30 ans. « C'est cette génération qui cause la résurgence du médium », ajoute-t-il.
PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE
Un magnificateur et des rouleaux de pellicule
Même constat du côté du laboratoire de photo Boréalis, qui développe des pellicules. La propriétaire, Rachel Labrèche, a remarqué une augmentation de la clientèle vers 2015-2016. « Avec la pandémie aussi, il y a eu un boom. Les gens n'avaient rien à faire, donc faisaient du ménage et ressortaient leurs vieux appareils. »
Chez Gosselin Photo, entre 2019 et 2023, les ventes de pellicule ont doublé chaque année, confirme la gestionnaire marketing Melina Pellicano. Même qu'entre 2017 et 2024, la moyenne d'augmentation de ventes de pellicule chaque année est de 165 %.
Perpétuer la tradition
Une fois que la photo est prise, quelles sont les options qui s'offrent à ces passionnés pour faire le développement ? La majorité des gens passent par les boutiques spécialisées qui offrent un service de laboratoire, comme Studio Argentique ou Gosselin Photo. Certains plus courageux décident de le faire eux-mêmes.
PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE
Développement des planches-contacts dans les bains de chimie
Le collectif d'artistes Trou Noir offre d'ailleurs des cours d'introduction à la photographie en chambre noire accessibles à tous. Le groupe accueille des photographes amateurs et professionnels, curieux de se familiariser avec le processus, dans sa chambre noire située dans Centre-Sud.
À l'ouverture des inscriptions pour les cours, « ç'a été un déferlement », affirme Stéphane Vermette, membre du collectif qui donne les leçons. « Ça n'a pas arrêté. On s'est dit : OK, il faudrait ouvrir une école », dit-il en riant. Trou Noir a dû refuser plusieurs personnes, pour s'assurer que la chambre noire soit disponible aux membres du collectif.
M. Vermette, photographe depuis 1982, a été aux premières loges du déclin, tout comme de la renaissance de la photographie sur pellicule.
PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE
Stéphane Vermette donne des ateliers sur la photo analogique.
Depuis six ou sept ans, les prix [des rouleaux de pellicule de la marque Ilford] ont été multipliés par 10.
Stéphane Vermette
Ce n'est pas que les rouleaux de pellicule qui ont vu leurs prix augmenter, ce sont les équipements de photographie aussi : appareil photo, cuve de développement, agrandisseurs photo, laveuse pour la pellicule, etc.
Recréer la chambre noire en achetant tous les équipements aujourd'hui serait impossible, assure M. Vermette, ou du moins, cela coûterait très cher. « Lors du déclin, j'ai acheté tellement de choses à des prix ridicules. »
Pour le photographe, donner ces cours est une « lutte contre le monde immatériel ». Il a côtoyé des finissants du baccalauréat en photographie à l'Université Concordia qui n'avaient presque aucune notion de base sur la photographie analogique, ce qu'il déplore. « Le savoir relié à l'épreuve photographique disparaît », et ça l'inquiète.
Donner ces leçons lui permet de maintenir en vie cet art. « La photo se dématérialise avec le numérique. Perpétuer le médium est au cœur de la mission du Trou Noir », conclut-il.