4 days ago
Place Vendôme, la terrasse estivale du Ritz divise : comment dynamiser sans dénaturer ce site classé ?
Depuis le 1er juillet, les promeneurs peuvent découvrir un nouveau venu
sur les pavés centenaires de la place Vendôme
(Ier arrondissement) : une terrasse éphémère appartenant au célèbre hôtel cinq étoiles Ritz. « Une première dans l'histoire de la place », se réjouit le célèbre établissement de luxe parisien, mais qui semble ne pas faire l'unanimité.
Panneaux verts fleuris de jasmin, mobilier en rotin et fer forgé, parasols crème… Les 200 m2 de cette
terrasse
aux inspirations balnéaires tranchent avec le décor minéral de la place royale. « L'objectif, c'était notamment d'apporter de la fraîcheur et un peu de verdure », dit-on au sein du service de communication du Ritz.
Au cœur de ce haut lieu de la joaillerie, dominé par l'imposante colonne Vendôme, la terrasse ouvre tous les jours de 16 heures à 21 heures, et disparaîtra le 10 août. En attendant, l'installation suscite les interrogations, sur une place où une partie des façades et la colonne sont classées monuments historiques.
Faut-il s'inquiéter d'une absence d'autorisation ? Une polémique sans fondement, selon la direction du Ritz, qui tient à rassurer. « Nous avons effectivement obtenu toutes les autorisations nécessaires. Cette action s'inscrit dans notre volonté de mettre en valeur Paris et la place Vendôme. Nous avons veillé à ce que ce projet soit en parfaite harmonie avec l'esthétique de la place, respectant ainsi son caractère unique. »
La mairie de Paris Centre confirme que la Ville a bien accédé à la demande du Ritz, soutenue par l'association des commerçants de la place. Mais elle précise aussi que l'avis des mairies d'arrondissement sur ce sujet reste purement consultatif… Idem pour la préfecture de police.
« Nous avons rendu aux services de la Ville un premier avis négatif qui a contribué à réviser largement à la baisse le cadre autorisé, dans le temps et en termes d'horaires », souligne la mairie de Paris Centre, qui rappelle qu'aucun habitant ne réside sur la place.
L'ambition affichée des commerçants est claire : insuffler une nouvelle dynamique à cette place historique. Renaud Lestringant, président du Comité Vendôme, qui réunit une centaine de membres représentatifs des activités majeures du quartier, abonde en ce sens : « La place Vendôme est un lieu qui doit être maintenu, avec mesure, vivant et dynamique. »
Selon le comité, c'est dans cet esprit que la place accueille régulièrement des événements éphémères, tels que des rallyes automobiles, des expositions, des concerts ou encore des illuminations à la période de Noël.
Mais le comité rappelle son rôle de « gardien de la place ». Son président assure que l'association veille « à la préservation de son patrimoine architectural, culturel, et contribue à maintenir un équilibre harmonieux entre les différentes activités qui s'y déroulent ».
Une vision que conteste Christine Nédélec, présidente de l'association de défense du patrimoine SOS Paris : « Si la place est délaissée par les Parisiens, c'est justement à cause de sa
touristification
qui fait fuir la vie locale. Ces installations font venir du monde qui ne fait que passer et des clients pour les joailliers. »
Selon le Ritz, la terrasse rencontre au contraire son lot de succès depuis l'ouverture et accueille entre ses palissades aussi bien des touristes que des Parisiens. Pour la mairie de Paris Centre, il s'agit également de lutter contre le stationnement sauvage dont souffre le site.
Marius, septuagénaire et habitant de Paris depuis plus de vingt ans, croisé alors qu'il se promenait dans le quartier, y voit là un argument justifié : « J'ai toujours trouvé cette place froide. Je préfère qu'on y mette une terrasse élégante plutôt que d'y voir une étendue de pavés gris ou des taxis et camionnettes garés n'importe comment. »
Derrière ses imposantes lunettes de soleil, Svetlana, touriste slave de passage à Paris, se montre aussi enthousiaste : « Je ne trouve pas ça choquant, au contraire. Le Ritz est un emblème de ce lieu. Et puis, c'est aussi ce qui fait le charme de Paris, pouvoir prendre un verre dans des cadres magnifiques, à deux pas des monuments. »
Un point de vue que ne partage pas forcément cette famille allemande venue tout droit de Basse-Saxe, pour qui la terrasse « cache en partie les façades et gâche un peu l'ensemble de cette place super symétrique ».
Les tarifs pratiqués font également grimacer : cocktail signature et coupe de champagne à 38 euros, glace à emporter à partir de 14 euros ou encore bouteille d'eau minérale de 33 cl à 13 euros. « C'est abusé, lance dans un rire jaune Alix, une jeune Parisienne de 23 ans, après avoir jeté un œil à la carte. D'accord, ça reste le Ritz, mais ils auraient pu adapter leurs prix. »
À sa droite, son amie Victoria s'interroge même sur la cohérence du projet : « Si tu viens au Ritz, ce n'est pas pour t'asseoir sur une terrasse qui ressemble à toutes celles que tu vois dans Paris… »
Sur les réseaux sociaux, les critiques acerbes vont aussi bon train : « Imagine-t-on le Crillon installer sa terrasse estivale au pied de l'obélisque ? Non, bien sûr que non », s'indigne Baptiste Gianeselli, défenseur du patrimoine de la capitale.
Le débat se complique encore lorsqu'on aborde les aspects réglementaires. En effet, selon la municipalité,
les architectes des Bâtiments de France (ABF)
n'ont pas été consultés, « car il s'agit d'une autorisation de courte durée, de moins de trois mois ».
La direction régionale des affaires culturelles (Drac) d'Île-de-France indique également que sa compétence est limitée aux terrasses fermées, non aux terrasses ouvertes, dans le contexte des abords de monuments historiques ou de sites patrimoniaux. « L'autorisation concernant la terrasse du Ritz relève ainsi de la compétence exclusive de la Ville de Paris », précise le ministère de la Culture. Ville de Paris qui n'a pas répondu à nos sollicitations
Pour Christine Nédélec, cette installation s'inscrit dans une tendance plus large et inquiétante : « On observe une invasion de l'espace public par diverses marques. On ne voit aucune limite posée par la Ville, et à force on va transformer Paris en une coquille vide. Tout le monde s'approprie la marque Paris comme pour en faire une carte postale. »