7 days ago
«S'il avait eu une arme à feu, il m'aurait tué avant de se suicider»
Dans son best-seller «Nightbird», Shavaun Scott raconte comment son époux s'est donné la mort pour la punir d'avoir demandé le divorce. Son expérience personnelle nourrit aujourd'hui son travail de psychothérapeute. Publié aujourd'hui à 14h02
«Pendant des années, j'ai eu honte d'avoir épousé quelqu'un comme lui», confie Shavaun Scott.
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Depuis plus de trente ans, Shavaun Scott accompagne des personnes en détresse en tant que psychothérapeute. Pourtant, elle porte elle-même les cicatrices d'un passé traumatique marqué par les abus et la violence. Dans son livre récemment paru, devenu un best-seller, elle aborde les questions de traumatisme, de transformation et de guérison. Elle explique notamment pourquoi tant de femmes peinent à sortir de relations toxiques.
Dans votre mémoire «Nightbird», vous décrivez votre enfance marquée par l'extrémisme religieux, puis évoquez plus tard les abus conjugaux que vous avez subis. Qu'est-ce qui vous a poussée à partager publiquement ces expériences?
Avec le temps, j'ai pris conscience du caractère exceptionnel de mon parcours et j'ai souhaité le partager dans l'espoir d'aider d'autres personnes ayant vécu une expérience similaire.
Votre mari s'est suicidé par vengeance. Pouvez-vous décrire ce qui s'est passé?
Mon mari Greg était sujet à de fréquents accès de colère. Ce n'était pas quelqu'un de foncièrement mauvais. Il se montrait souvent chaleureux et affectueux, mais il savait aussi être très manipulateur. Dès qu'il n'obtenait pas ce qu'il voulait ou face à une frustration, il donnait des coups de poing dans les murs ou proférait des menaces à mon encontre. S'il ne levait jamais la main sur moi, il n'en demeurait pas moins que ses comportements m'intimidaient et me terrorisaient.
Pourquoi l'avoir accepté?
Ce que j'ai vécu à l'époque, je le qualifierais aujourd'hui de relation traumatique. Au début, je me suis convaincue qu'il souffrait de troubles psychologiques et que je pouvais l'aider. C'est une erreur fréquente chez les femmes. Mais après dix-sept ans de mariage, j'ai fini par comprendre que ses problèmes étaient insolubles.
Vous avez décidé de le quitter?
Après une grosse dispute, j'ai décidé que j'en avais fini avec lui. Je voulais divorcer. Quand je le lui ai annoncé le lendemain matin, il est resté très calme, ce qui m'a un peu effrayée. Nous sommes partis chacun au travail et je me suis dit qu'il gardait sans doute ses émotions pour le soir. Je m'attendais à ce qu'il pleure peut-être, qu'il me supplie, qu'il me dise qu'il ne pouvait pas vivre sans moi.
Mais il en est allé autrement?
Il faisait déjà nuit quand je suis rentré chez moi ce soir-là. Aucune lumière n'était allumée à l'intérieur, bien que la camionnette de Greg soit garée dans l'allée. Dès que j'ai franchi le seuil, j'ai su que quelque chose clochait. L'atmosphère était vraiment étrange.
Où avez-vous trouvé votre mari?
Il s'était pendu dans la salle à manger. Il avait collé une affiche sur la porte spécialement pour moi, que j'aurais vue immédiatement si j'étais passé par la porte d'entrée plutôt que par celle du garage. Il m'attendait dans la salle à manger, disait la note.
«Chercher de l'aide n'est pas un aveu de faiblesse ! C'est une démarche courageuse et positive», affirme l'association Stopsuicide, dont la mission est de parler, faire parler, informer, sensibiliser et augmenter les possibilités de prévention.
N'hésitez pas à téléphoner, notamment aux structures suivantes : «La Main Tendue» (composer le 143), la «Ligne d'aide pour jeunes» (composer le 147), «Malatavie Ligne Ados» (HUG - Children Action), 022 372 42 42.
Qu'avez-vous pensé à ce moment-là?
Je ne sais pas. J'étais submergée, mon cerveau était en grève. J'ai dû lutter pour composer le numéro d'urgence. Je n'y suis parvenue qu'au bout d'un moment.
Vous parlez de «suicide par vengeance». Votre mari n'était-il pas tout simplement désespéré?
On pense généralement que les personnes qui se suicident souffrent forcément de dépression. Mes recherches montrent que c'est effectivement le cas pour environ la moitié d'entre elles. Mais il existe différents profils: certaines personnes sont atteintes d'une maladie incurable ou endurent des souffrances intenses. D'autres sont victimes de délires et d'hallucinations qui motivent leur geste. Il y a enfin une dernière catégorie: celle de personnes en colère contre leur entourage, qui cherchent à se venger. Dans ce cas, l'objectif est de laisser le partenaire avec des traumatismes psychologiques durables. C'est dans cette catégorie que s'inscrit le suicide de mon mari.
Avec votre formation en psychologie, avez-vous pensé qu'il aurait pu être très dangereux de quitter votre partenaire – y compris pour vous?
Je ne m'attendais pas à ça. Je pensais qu'il me bousculerait, qu'il essaierait de m'intimider. Aujourd'hui, je vois les choses autrement. S'il avait eu une arme à feu, il aurait très probablement commis un suicide élargi: il m'aurait d'abord tuée avant de se donner la mort. Malheureusement, ce scénario n'est pas rare.
Vous avez grandi dans un environnement très religieux. Comment ce contexte a-t-il joué un rôle?
On m'a enseigné que le sacrifice de soi était une vertu. Cette croyance m'a poussée à tolérer l'intolérable. Quand quelqu'un se montrait en colère ou contrarié, j'endossais automatiquement la responsabilité. Il m'a fallu comprendre que j'avais le droit de poser des limites et que je méritais de vivre ma propre existence.
Comment s'est déroulé le processus d'écriture sur ces traumatismes? Y a-t-il eu des moments où vous avez hésité à être aussi ouverte?
Il y a encore une dizaine d'années, au moment de ce suicide, j'avais honte d'avoir épousé quelqu'un comme lui. Je pensais que j'y étais pour quelque chose. Mais avec l'âge et la maturité, j'ai réalisé combien d'autres femmes traversaient des épreuves similaires, des choses terribles. J'ai appris à me pardonner. L'écriture m'y a également aidée.
Il s'agissait d'une forme d'écriture thérapeutique?
D'un côté, oui, mais je veux aussi rendre cette expérience accessible à d'autres. Depuis, je reçois énormément de messages, parfois de femmes qui ont vécu cela elles-mêmes, mais aussi de sœurs et d'amies. Elles racontent souvent des cas où la femme n'a pas survécu. Nous devons faire plus pour ces femmes.
Comment vos expériences vous ont-elles influencée quant à vos relations futures?
J'ai décidé de ne plus jamais être avec quelqu'un qui crie. C'était toujours le début d'un incident: il se mettait à crier. Celui qui élève la voix et ressent le besoin de crier n'est pas forcément une personne violente. Mais pour moi, ce n'est pas possible. C'est ma limite.
En tant que thérapeute, traitez-vous maintenant des personnes qui ont vécu des expériences similaires?
Mon expérience me donne un accès privilégié aux personnes ayant subi des violences – souvent des femmes, mais aussi des hommes. Car la violence peut toucher les deux sexes. J'ai développé une solide intuition pour identifier les relations qui peuvent encore être sauvées ou améliorées et celles où la seule solution est la rupture.
À quel moment la rupture devient-elle l'unique solution?
Bien sûr, tout le monde peut avoir une mauvaise journée, mais quand ces épisodes se répètent selon un schéma récurrent, il faut creuser davantage. Parfois, certaines difficultés échappent aux possibilités de la thérapie. Pourtant, les thérapeutes croient souvent pouvoir aider n'importe qui, que tout peut se réparer. C'est loin d'être le cas. Il existe de nombreuses situations, de nombreuses personnes qui ne changeront pas. Nous n'avons pas le pouvoir de les transformer.
Vous avez évoqué les différences entre les sexes. Existe-t-il une forme de violence à laquelle les femmes recourent plus volontiers?
Chez les femmes, on observe d'autres types de personnalité plus fréquents. Les hommes qui deviennent agresseurs présentent souvent des traits antisociaux et narcissiques, avec des comportements psychopathiques et manipulateurs. Bien sûr, certaines femmes développent aussi ce type de personnalité, mais c'est moins courant dans ma pratique.
Quel type de personnalité est-il plus répandu chez les femmes?
Chez les femmes, on observe plutôt le trouble de la personnalité borderline, caractérisé par une forte instabilité émotionnelle. Il est rare de voir une femme tenter de contrôler et de manipuler un homme par la force. Je n'ai observé cela que dans des cas isolés.
Le suicide par vengeance, tel que vous le décrivez, précède souvent ce qu'on appelle le suicide élargi: l'homme tue sa partenaire ou toute sa famille avant de mettre fin à ses jours. Quels sont les signaux d'alarme?
Les crises de colère constituent toujours un signal d'alarme, qu'elles s'accompagnent ou non de violence. La colère n'est pas une émotion malsaine en soi. Ce qui importe, c'est la façon dont chacun l'exprime. Les personnes qui le font de manière très agressive ou abusive présentent un système nerveux mal régulé.
Quels sont les autres signaux d'alerte?
Comportement de contrôle. Quand l'homme veut décider de la façon dont une personne s'habille, des films qu'elle regarde, de ce qu'elle mange. Ou qu'il la culpabilise de passer du temps avec sa famille ou ses amis. Ou encore qu'il lui reproche de mal vivre sa journée. Cela inclut évidemment toute forme de menace, le fait de bousculer ou de retenir une personne qui veut quitter la pièce. Mon mari l'a souvent fait. Dans le domaine de la sexualité, c'est quand il veut la contraindre à des actes sexuels qu'elle refuse. Même quand elle l'exprime clairement et qu'il ne respecte pas ce refus.
Quand les hommes veulent reproduire ce qu'ils ont vu dans des films pornographiques?
Exactement. Certains prétendent que c'est inoffensif ou purement imaginaire. Mais je constate beaucoup d'abus dans la pratique, et cela commence presque toujours par la pornographie consommée par l'homme avec qui elles sont en couple. Je pense que ce sont autant d'éléments auxquels je ferais attention.
C'était également au cœur du procès de Sean Diddy Combs . La défense a soutenu que les femmes agissaient par amour ou par intérêt financier. Si les femmes l'admettent parfois, elles précisent aussi qu'elles ont souvent dit non, sans que cela soit respecté.
J'ai travaillé dans un centre de crise contre le viol en Californie. J'y ai vu des femmes victimes de viols collectifs, parfois orchestrés par leur propre partenaire. Ces derniers les droguaient et invitaient d'autres hommes à participer. Des histoires terribles.
Pourquoi de nombreuses femmes ont-elles tant de mal à reconnaître ces signes et à y réagir?
L'idée que l'amour fait mal est largement répandue. Quand on grandit dans une famille aimante, mais où l'on a parfois subi des maltraitances, on finit par accepter intérieurement – peut-être sans jamais y réfléchir consciemment – que l'amour peut faire souffrir. Les proches se mettent en colère, commettent des actes terribles, puis se sentent mieux, s'excusent, et tout semble rentrer dans l'ordre. Pourtant, l'amour ne devrait jamais faire mal.
Comment se défaire de ces schémas profondément enracinés?
Les recherches neurobiologiques ont beaucoup exploré les mécanismes de l'attachement. Pour de nombreuses personnes, l'amour ou l'attachement profond ressemble à une dépendance. Cela éclaire peut-être le cas Diddy: Cassie Ventura, la femme qu'il a maltraitée, entretenait avec lui un lien très intense, qu'elle décrivait à l'époque comme un lien amoureux. Il flattait son ego, lui disait qu'elle était la plus belle femme du monde, qu'il ne pouvait pas vivre sans elle. Ce type de discours est très séduisant et provoque, au niveau biologique, la libération d'opioïdes endogènes, soit des analgésiques naturellement produits par l'organisme.
Les personnes prises dans une relation toxique ne s'en aperçoivent pas toujours. Comment leur entourage peut-il les aider?
C'est très délicat. En effet, si la femme reste encore très attachée à la relation, cela peut avoir un effet contre-productif: elle risque de défendre son partenaire et de lui trouver des excuses.
Comment peut-on exercer une influence?
De manière générale, tout commence par l'éducation. Il faut apprendre aux filles qu'elles ne doivent jamais tolérer le manque de respect. Personne ne mérite d'être poussé ou frappé. Il faut arrêter de romancer les relations amoureuses violentes et insister plutôt sur l'importance du respect et des limites.
Est-ce que ce serait aussi une tâche pour l'école?
Dès le lycée au plus tard, il faudrait aborder la violence conjugale et les abus domestiques. Par exemple en expliquant les schémas typiques: la phase de réconciliation qui suit un incident, quand l'homme redevient charmant et attentionné, souvent très repentant. Les femmes se disent alors souvent: «Cela ne se reproduira certainement pas.» Jusqu'à ce que cela recommence.
Shavaun Scott: «Nightbird – a Memoir», Pierian Springs Press, avril 2025.
Traduit de l'allemand par Olivia Beuchat.
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Autres newsletters Michèle Binswanger écrit sur les gens, leurs histoires et fait des recherches approfondies. Elle a été élue journaliste de société de l'année en 2016, 2017 et 2018. Aujourd'hui, elle dirige avec Philippe Zweifel la rubrique Culture-Savoirs-Service de la Sonntagszeitung. Plus d'infos @mbinswanger
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