3 days ago
Créateurs du quotidien
Plus les espaces médiatiques se multiplient et se personnalisent, moins nos diètes médiatiques se ressemblent. On peut donc avoir l'impression d'évoluer en vase clos. Pour tâter le pouls du web québécois, notre collaboratrice est allée à la rencontre de trois citoyens qui peuplent sa bulle algorithmique.
Un cri du cœur
Stephanie Gauthier, 46 ans
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On publie parfois une première vidéo comme on lance une bouteille à la mer. « Si je fais ce message, c'est pour tous les gens dans la même situation que moi, et ça a l'air qu'il y en a de plus en plus », lance Stephanie Gauthier dans une vidéo qu'elle publie sur son compte TikTok. Celle qui est aussi veuve et qui élève seule deux enfants continue : « J'ai 46 ans et j'ai fait deux AVC le 13 avril dernier. »
Stephanie faisait des crêpes quand elle a perdu la vue du côté droit. Une douche froide plus tard, son visage s'affaissait et un de ses bras ne levait plus. Elle a donc composé le 911. À l'hôpital, on lui a fait passer une IRM et on a diagnostiqué un accident vasculaire cérébral. Elle en a fait un deuxième sur place.
Sur son compte, elle documente son processus de réadaptation. « Plus vite t'es prise en charge, moins les séquelles sont grandes », m'explique-t-elle. Selon la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC, 1,9 million de cellules cérébrales meurent toutes les minutes après ce type d'accident.
« Le lendemain, je pensais que je retournais travailler. »
Stephanie sous-estimait la gravité de sa situation. Deux mois et demi après son accident, elle réapprend encore à vivre. Son horaire est rempli de rendez-vous chez le médecin, en physiothérapie, en ergothérapie, en orthophonie et même en ophtalmologie.
Mais comment s'y rendre ?
Pendant plus d'un mois, le permis de conduire de Stephanie a été suspendu. Et puisque peu de gens autour d'elle étaient en mesure de l'aider, la maman a tenté d'accéder au transport adapté de Saint-Jérôme. Or, ces services lui ont été refusés en raison de son jeune âge : « Je n'ai pas 65 ans et mon cognitif n'a pas été touché. Je n'entre dans aucune case. »
Stephanie fait partie des victimes d'AVC de moins de 60 ans, un groupe que Maryse Bégin, de la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC, me dit pourtant être en hausse. Dans le communiqué de presse que la Fondation a publié en juin à l'occasion du mois de l'AVC, on avance qu'« un AVC sur 20 au Canada survient chez une personne de moins de 45 ans ». Aujourd'hui, Stephanie souhaite une meilleure prise en charge pour les victimes d'AVC de son âge, surtout dans les trois mois qui suivent l'accident, car cette période est cruciale dans leur processus de réadaptation.
Un autre défi ? Apprendre à ralentir. « Je suis quelqu'un qui avait la pédale dans le plancher depuis longtemps. […] Aujourd'hui, je réapprends à vivre, à profiter du moment présent. Ça m'a pris 46 ans à comprendre. »
Consultez le compte TikTok de Stephanie Gauthier
Histoires immobilières
Kristian Gravenor, 62 ans
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Je rencontre Kristian Gravenor à l'Orange Julep sur Décarie. Il m'avertit : selon lui, la grosse boule orange est vouée à disparaître. « Avec la valeur du terrain, c'est presque certain qu'elle sera démolie. »
Ce Montréalais diplômé en histoire passe son temps libre à filmer des capsules (en anglais) sur les bâtiments de Montréal et à documenter leur transformation. Depuis environ un an, il publie ses historiettes sur TikTok sous le pseudonyme de Coolopolis.
Ses vidéos injectent de la vie et du sens dans l'environnement, mettent en récit le paysage. Et si certaines des constructions dont il parle n'existent plus aujourd'hui, leurs histoires demeurent et ne demandent qu'à être racontées.
Grâce à Kristian, j'ai par exemple appris l'existence d'un Palais des Nains rue Rachel Est. À l'intérieur de cet édifice anciennement flanqué de deux lions de pierre a vécu un illustre couple de petite taille, Philippe Nicol et Rose Dufresne. Pendant des années, le « palais » dans lequel ils vivaient a été fréquenté par des touristes qui pouvaient le visiter et y acheter des cartes postales.
Dans une autre de ses vignettes, Kristian Gravenor filme un immeuble d'appartements quelconque sur le boulevard Bouchard, à Dorval. Il affirme, coupure de journal à l'appui, que dans les années 1970, seuls les célibataires ouverts à l'échangisme pouvaient y emménager. On l'appelait alors le « Swingle Building ».
PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE
Kristian Gravenor (Coolopolis) devant l'Orange Julep à Montréal
Aujourd'hui, le tiktokeur travaille comme journaliste pour CoStar News, une immense plateforme américaine qui fournit des renseignements et des analyses sur le secteur de l'immobilier commercial. Ce n'est d'ailleurs pas la première personne que je rencontre qui travaille pour cette entreprise. Et ce n'est pas étonnant, à l'heure où la spéculation immobilière bat son plein.
A-t-il des plans pour l'avenir ? L'auteur de deux livres me dit qu'il peaufine actuellement un troisième ouvrage sur le Gang de l'Ouest, une mafia irlandaise fondée à Montréal.
Consultez le compte TikTok de Kristian Gravenor
PDG en herbe
Logan, 13 ans*
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Que font les jeunes sur Instagram ? Logan, 13 ans, produit du contenu humoristique sur les parfums. « Je m'en vais au dépanneur pour acheter un paquet de gomme balloune, il faut que je sente bon, ça fait que appliquez un parfum avec moi », lance-t-il à la caméra avant de se vaporiser une cinquantaine de fois.
Logan fabrique d'ailleurs des parfums à la main chez lui. L'entrepreneur en herbe a nommé son projet Evolux Fragrances. « Je prends des huiles essentielles, je les mets dans un pot Mason, j'ajoute de l'alcool, et quand l'odeur me plaît, je laisse ça macérer pendant un mois dans un endroit sombre et frais », m'explique-t-il en entrevue.
Le garçon a à son actif deux créations, Épinette et Vanoria, en vente sur son site web. Je passe une commande, qui arrive par la poste, avec un échantillon, un petit mot et un autocollant.
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE
Les deux créations de Logan, 13 ans
Quand Logan a commencé à publier sur Instagram, en mars dernier, il encourageait les internautes à suivre sa quête : il disait vouloir démarrer sa propre entreprise, lock in (un anglicisme qui pointe vers une soif de discipline et de rigueur) et se remettre en forme.
L'adolescent s'inscrit ainsi dans la culture entrepreneuriale très présente sur le web, une culture qui va souvent de pair avec une éthique de perfectionnement de soi. S'il affirme vouloir devenir millionnaire à 13 ans dans certaines vidéos, « c'est surtout pour capter l'attention des gens », dit-il.
Il dit avoir été influencé par son cousin de 15 ans qui vendait sa propre pommade capillaire en ligne. Il tire aussi son inspiration d'autres créateurs québécois, comme les jeunes derrière le compte VCM Fragrance, qui décortiquent les odeurs sur TikTok, mais aussi TheCologneBoy, un Canadien de 19 ans qui est suivi par des millions d'internautes et qui consacre son temps à parler de parfums. Tout porte donc à croire que le parfum cartonne auprès des jeunes garçons… du moins dans un coin de l'internet.
Et pourquoi se parfumer ?
« Honnêtement, je pense que c'est pour attirer les filles. Et pas puer », répond Logan.
Depuis le début de son projet, le jeune débrouillard a développé un intérêt pour la science et l'informatique. Il travaille à créer un nouveau parfum, en plus d'économiser pour se procurer de nouveaux outils.
Son message : « Si quelque chose t'inspire, fais-le ! »
* Le nom de famille de Logan n'est pas dévoilé à la demande de sa mère
Consultez le compte Instagram de Logan