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Entretien sur les taxes douanières: «Donald Trump n'y connaît rien aux droits de douane»
Entretien sur les taxes douanières: «Donald Trump n'y connaît rien aux droits de douane»

24 Heures

timea day ago

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Entretien sur les taxes douanières: «Donald Trump n'y connaît rien aux droits de douane»

Le marteau douanier de Trump marque une césure dans l'histoire de l'après-guerre, explique l'historien Jakob Tanner. Décryptage des conséquences sur l'économie suisse. Publié aujourd'hui à 09h26 «La pression sur la Suisse ne doit pas être uniquement négative»: Jakob Tanner s'exprime sur les droits de douane punitifs de Trump. FLORIAN BACHMANN En bref: Depuis la Seconde Guerre mondiale, la Suisse s'est toujours sentie mise sous pression par les États-Unis, explique Jakob Tanner. Le trumpisme marque toutefois une césure dans l'histoire de l'après-guerre. Il est une sorte de nouveau régime politique qui rêve de toute-puissance. Il signe le triomphe du nihilisme jubilatoire. Toutefois, les droits de douane imposés par les États-Unis pourraient aussi avoir des retombées positives pour la Suisse, ajoute l'historien spécialisé en économie. Après le récent coup de marteau douanier, la Suisse subit une pression économique et politique sans précédent. Une situation unique dans l'histoire suisse? Depuis la Seconde Guerre mondiale, la pression exercée par les États-Unis constitue un élément central des liens qui unissent les deux pays. « Friendship under Stress » est le titre d'une étude publiée en 1970 par Heinz K. Meier sur les relations entre Washington et Berne. Y a-t-il déjà eu des moments de tension dans les relations entre les États-Unis et la Suisse? Oui, des représentants des autorités suisses ont dû se rendre à Washington en 1946 pour s'expliquer sur les transactions d'or volé qu'elles avaient menées avec l'Allemagne nazie. Au final, la Reichsbank allemande n'a pas eu à rembourser l'intégralité de ses achats d'or, contrairement à ce qu'avaient annoncé les Alliés. La position américaine avait alors profondément choqué la Suisse. Même après la fin de la guerre froide, les États-Unis ont semblé exercer une pression excessive sur la Suisse et mener une véritable guerre économique, notamment au début de l'année 1997, dans le contexte du débat sur les fonds en déshérence. À l'époque, on a évoqué un chantage. À juste titre? Non, il ne s'agissait pas d'un chantage, mais d'une demande légitime de clarification et de restitution des biens spoliés à la période nazie. La situation de l'époque n'est pas comparable à celle d'aujourd'hui. Donald Trump brandit le marteau douanier contre l'ensemble de l'économie suisse. Cette situation est historiquement inédite et reflète l'imprévisibilité du président américain. Il mise sur la loi du plus fort. Il rompt ainsi avec la doctrine du libre-échange, qui a favorisé le développement du commerce international et a permis la prospérité depuis la Seconde Guerre mondiale. D'après l'historien Jakob Tanner, «c'est une situation historiquement nouvelle, qui est aussi l'expression de l'imprévisibilité de Donald Trump». TIL BÜRGY/KEYSTONE Dans quelle mesure? Trump pratique une sorte de jeu perdant-perdant à grande échelle. Il admet lui-même que les Américains seront perdants, du moins à court terme. Mais les autres pays devraient pâtir davantage des droits de douane, ce qui placerait alors les États-Unis en position de force, notamment face à la Chine. C'est du moins ce que l'on espère outre-Atlantique. Dans l'après-guerre, une vision radicalement différente prévalait avec la division internationale du travail. Elle correspond à la répartition mondiale des productions en fonction des avantages comparatifs et spécialisations de chaque pays industrialisé. Existait-il un jeu de pouvoir économique avant Trump? Il ne faut pas idéaliser la doctrine du libre-échange. L'impérialisme et les rapports d'exploitation, notamment envers le Sud global, ne datent pas d'hier. Mais la croissance économique d'après-guerre n'a été possible qu'en partant du principe de la pensée libérale. Selon cette doctrine, l'interaction économique entre les individus crée de la valeur, et donc entraîne un jeu à somme positive. Le jeu perdant-perdant de Trump s'inscrit dans une longue tradition protectionniste américaine aux conséquences désastreuses, que l'on a abandonnée à juste titre après la Seconde Guerre mondiale. En Suisse, un sentiment d'injustice prévaut. Est-ce justifié? Il n'est pas juste d'isoler un pays en lui imposant des droits de douane exorbitants. Cependant, si la Suisse est aussi seule, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Mais vouloir contrer Trump avec la raison, c'est tomber dans son piège et sous-estimer son imprévisibilité. Je ne suis pas partisan du «jeu des reproches» auquel on assiste, selon lequel certains secteurs d'entreprises suisses ou personnes seraient responsables du fait que le marteau douanier de Trump nous frappe si durement. Les critiques envers l'industrie pharmaceutique suisse sont certes justifiées. Cette division génère d'importants bénéfices aux États-Unis et son directeur général perçoit 19 millions de francs par an, soit plus que Sergio Ermotti chez UBS. Toutefois, ces griefs ne justifient pas ce qui se passe actuellement. Les prix des médicaments des entreprises pharmaceutiques suisses sont-ils trop élevés aux États-Unis? Pas seulement ceux des fabricants suisses. Le problème du prix des médicaments aux États-Unis est plus général. Il a commencé sous Ronald Reagan, qui a favorisé l' industrie pharmaceutique , enterrant l'image de la free American enterprise . La crise des opioïdes illustre également les dysfonctionnements du système de santé américain. À une époque, plus de 100'000 personnes mouraient chaque année à cause de prescriptions d'analgésiques inappropriés et d'abus de ces médicaments. Cela n'a rien à voir avec les droits de douane. Lorsque la Suisse a mené les négociations avec les États-Unis sur les droits de douane, il a été question d'une «relation privilégiée». Était-ce de la naïveté? Oui. L'idée d'une relation particulière entre les «républiques sœurs», comme on désigne les États-Unis et la Suisse, remonte au siècle des Lumières. En réalité, ces deux pays si différents se sont toujours mutuellement inspirés. Prenons l'exemple du système bicaméral, que la Suisse a adopté des États-Unis en 1848, avec le Conseil des États et le Conseil national, ou encore la démocratie directe, qui a fortement influencé les États-Unis après 1874. Mais Trump n'est pas comme ses prédécesseurs. Avant les élections de 2016, j'avais déjà écrit que, s'il arrivait au pouvoir, la Suisse pourrait enterrer sa philosophie des «républiques sœurs». Pourquoi? Trump impose l'arbitraire, se moque de tout et prend plaisir à être sous les feux de la rampe. Quand le conseiller fédéral Albert Rösti a déclaré en 2024 qu'il préférait Trump à Kamala Harris, j'ai été surpris qu'il ne saisisse toujours pas l'orientation que les États-Unis prendraient sous l'ère du candidat républicain. J'ai également été étonné des propos de Karin Keller-Sutter à propos des mots du vice-président américain J. D. Vance: «C'était un discours libéral, dans un certain sens très suisse.» Jakob Tanner est professeur émérite à l'Université de Zurich. Son ouvrage «Histoire de la Suisse au XXe siècle» est une référence. FLORIAN BACHMANN En agissant ainsi, vous tombez dans ce fameux «jeu des reproches» que vous critiquez pourtant. Non, je critique les positions de Karin Keller-Sutter et d' Albert Rösti , qui se sont trompés sur les intérêts de la Suisse. Par blame game , j'entends les accusations à court terme qui visent à faire endosser à d'autres la responsabilité des décisions arbitraires de Trump. Les droits de douane record ne sont pas imputables à l'industrie pharmaceutique suisse, ni aux exportations d'or , ni même au coup de téléphone raté de la présidente de la Confédération. La politique commerciale de Trump se place sous le signe de l'arbitraire et de la sanction. Les déclarations de complaisance ne permettront pas de rallier un dirigeant comme Trump à leur cause, bien au contraire. Durant sa campagne électorale, Trump a répété à plusieurs reprises qu'il augmenterait les droits de douane. La Suisse ne s'y est-elle pas suffisamment préparée? Trump s'est toujours présenté comme un partisan des droits de douane et a qualifié ces derniers de plus beau concept de l'économie politique. Mais si l'on examine de plus près ce qu'il entend par droits de douane, c'est totalement incohérent. Il les utilise comme moyen de pression politique. Il veut remplir les caisses de l'État et relocaliser la production aux États-Unis. Tout cela ne tient pas debout. Si Trump parvenait effectivement à rapatrier des entreprises sur le sol américain, les importations chuteraient mécaniquement et les droits de douane perdraient leur utilité comme source de revenus fiscaux. Le chantage politique que Trump exerce contre le Brésil relève aussi de l'aberration économique. Il ne comprend manifestement rien aux droits de douane. La Suisse a toujours su s'adapter. Cette fois, elle semble peiner à y parvenir. En effet. Certaines entreprises, notamment les PME, n'auront d'autre choix que la faillite . Elles seront remplacées par des concurrents qui bénéficient de droits de douane plus avantageux, notamment ceux provenant de l'espace européen. Le sud de l'Allemagne compte notamment de nombreuses PME spécialisées dans la mécanique de précision. Si ces entreprises parviennent à livrer aux États-Unis à des prix nettement plus bas, leurs concurrentes suisses risquent d'être dépassées. Les conséquences seront multiples. Mais l'histoire récente montre que la pression exercée sur la Suisse n'est pas forcément négative. À quoi faites-vous allusion? Lorsque la Banque nationale suisse a abandonné le taux plancher du franc à 1,20 face à l'euro en 2015, la monnaie helvétique s'est envolée. Cette décision a durement touché de nombreuses entreprises. Mais la décimation que certains craignaient pour l'industrie d'exportation suisse ne s'est pas produite. La Suisse s'engage désormais dans une dynamique d'investissement pour accroître sa productivité, sous la pression conjuguée des droits de douane et de la dépréciation monétaire. On s'attend à ce que des dizaines de milliers d'emplois soient supprimés à cause des droits de douane de Trump. C'est un drame, surtout pour les petites et moyennes entreprises qui misent sur la Suisse comme site de production et qui, contrairement aux grands groupes, ne peuvent pas délocaliser leurs chaînes d'approvisionnement vers l'Union européenne. Mais les exportateurs qui survivront auront de bonnes perspectives. La Suisse pourrait connaître un élan positif quelques années après l'entrée en vigueur des droits de douane, tandis que les États-Unis auront du mal à relancer la construction de machines et l'industrie automobile dans la Rust Belt («Ceinture de rouille), région industrielle du nord-est des USA. Vraiment? Les emplois de la Rust Belt ont disparu car le pays n'était plus compétitif dans ces secteurs. Selon certaines études, la désindustrialisation aux États-Unis s'explique aux deux tiers par des facteurs internes, et seulement pour un tiers par la concurrence des importations étrangères. En réalité, les États-Unis font face à un problème lié à la technologie et aux infrastructures. «La Suisse devra se tourner davantage vers l'Union européenne», selon Jakob Tanner. AFP Quelle solution pour la Suisse? Se rapprocher davantage de l'UE, développer ses relations avec la Chine ou, comme le préconisent notamment les représentants de l'UDC, continuer à miser sur Trump et cultiver les meilleures relations possibles avec les États-Unis? La Suisse ne pourra pas faire grand-chose face à la politique américaine, qui échappe à tout concept. Elle y investit déjà douze fois plus par habitant que les pays de l'UE, sans que cela lui serve à grand-chose. En soutenant Trump, les représentants de l' UDC , motivés avant tout par des considérations de politique intérieure, tentent de rendre acceptable en Suisse le modèle autoritaire qu'il incarne. L'objectif est de réduire les acquis sociaux, d'afficher de bonnes relations avec Washington et de légitimer son modèle autoritaire dans notre pays. Qu'en est-il de la Chine? Une orientation vers la Chine soulève de sérieuses inquiétudes en raison des violations des droits humains qui y ont lieu. Reste l'UE. Concernant les valeurs fondamentales, l'affinité avec la Suisse est forte. En termes d'échanges commerciaux, la Suisse est depuis des décennies déjà plus intégrée économiquement à l'UE que de nombreux pays fondateurs. La Suisse devra donc se tourner davantage vers l'Union européenne. Lors de la prochaine votation sur les Bilatérales III, elle a l'occasion de poser les jalons pour l'avenir. Traduit de l'allemand par Emmanuelle Stevan À propos des droits de douane Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Andreas Tobler est journaliste. Il a étudié à Berne et à Berlin. En 2021, il a été élu journaliste culturel suisse de l'année. Plus d'infos @tobler_andreas Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.

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