7 days ago
« Le jour où j'ai écoeuré Laurent Jalabert sur une course de vélo ultradistance »
Spécialiste des BikingMan, ces courses de 1 000 km en autonomie, la championne du monde d'ultracyclisme Laurianne Plaçais, 40 ans, s'est imposée à plusieurs reprises devant les hommes. Parmi ses "victimes", un certain Laurent Jalabert, lors d'une manche au Maroc. Pas content, Jaja...
« En octobre 2023, en me rendant au BikingMan X, au Maroc, j'ai appris que Laurent Jalabert participait. Aujourd'hui, je m'intéresse aux courses professionnelles à la TV, mais, petite, je ne regardais pas trop le Tour de France, ou alors de très loin. Jalabert, ça ne me disait pas grand-chose. Le BikingMan, c'est une course de 1 000 km, autour de 20 000 m de dénivelé.
En autonomie, même si nous disposons de balises GPS et que des points de contrôles sont installés sur le parcours, les concurrents sont autonomes dans la gestion du sommeil, la nourriture, la réparation, leur paquetage. Je voyage de plus en plus léger : K-way, veste thermique, couverture de survie, rustines, pattes de dérailleur, dynamo, batterie externe. La limite pour accomplir les mille bornes est fixée à 120 heures. J'arrive à finir en 55-57 heures, parmi les meilleurs. Parfois, je gagne.
J'ai débuté dans l'ultracyclisme en 2022, à l'âge de 38 ans ; une façon de me dépasser et de me régénérer, couper le rythme du quotidien (Laurianne Plaçais est webdesigneuse à Annecy). Un bon reset perso, plus de contraintes. Et puis, il y a ce côté aventure qui me plaît : au Sri Lanka, après un orage, j'avais de l'eau jusqu'au moyeu quand un serpent de plus d'un mètre est passé dans ma roue. En pleine nuit, un crocodile a traversé juste devant moi. Je n'ai pas eu le temps d'avoir peur. Ça peut être méchant, un croco.
La folie de l'ultracyclisme
Donc, en arrivant au Maroc, j'étais bien placée pour remporter le classement général final après ma victoire sur la manche française, ma deuxième place au Pays basque. Mes chances de devenir la première femme à remporter le Championnat du monde depuis la création du BikingMan en 2016 étaient réelles. Laurent Jalabert a fait son apparition sur le site de départ. Il a dû se dire que le niveau n'était pas très relevé, puisque j'avais gagné une manche et que je suis une fille (sourire). Il venait clairement pour la victoire : quand il fait les choses, c'est pour performer.
Nous ne sommes que des amateurs, il devait nous prendre un peu pour des blaireaux. C'est vrai que le niveau global est assez faible, les très forts sont les cinq premiers, dont je fais partie. La veille du départ, on a dû faire un petit entraînement léger avec lui, dont je ne garde pas de souvenir particulier. Le soir, il s'est attablé avec les concurrents. J'ai eu le sentiment qu'il se joignait à nous par contrainte.
« Intérieurement, je n'attendais qu'une chose : qu'il pète »
Laurianne Plaçais au sujet de Laurent Jalabert
Sans être agressif à mon égard, il n'était pas spécialement sympathique. Surtout, il avait prévu de se faire suivre en 4X4 par sa compagne, qui s'occupe de tout, de ses réseaux sociaux, elle est un peu son agent. C'est contraire à l'esprit et au règlement du BikingMan. L'orga lui a dit, gentiment, qu'il n'avait pas à se faire suivre. Mais bon, politiquement, diplomatiquement, ce n'est pas évident de taper sur lui. C'est Laurent Jalabert, quand même.
N'empêche, si un mec lambda avait fait ça, il se serait fait virer direct. La course s'est élancée. Le premier point de contrôle était situé au km 200. J'y suis arrivée trois minutes après lui. Nous pédalions depuis dix heures environ, à ce stade de l'épreuve, rien n'est fait. Jaja a commandé à manger, enfin, sa compagne l'a fait pour lui. Quand il a vu que je repartais direct, sans prendre le temps de manger, il a abandonné son assiette et est reparti. Il se calait sur moi.
À partir de ce moment-là, intérieurement, je n'attendais qu'une chose : qu'il pète. Après le check-point, nous avons abordé une partie gravel. Il m'a doublée sans un mot. Je suis restée concentrée sur mon effort : un BikingMan, c'est long. Jalabert a commencé à faiblir durant la deuxième journée, sur le coup de 13 heures. Il occupait alors la deuxième position, derrière Maxime Prieur. J'étais troisième, et le tracker GPS m'indiquait clairement que j'étais en train de refaire mon retard sur Jalabert.
Nous étions dans l'ascension d'un long col. Sa copine était branchée sur le téléphone et lui communiquait les écarts. Je revenais. Il devait douter : il était arrivé en se disant que nous étions tous des branlos. Et puis, il ne parvient pas à larguer un mec qui a du poil aux pattes (Maxime Prieur), et il est sur le point de se faire reprendre par une fille ! Clairement, il avait senti le vent tourner.
J'allais l'avoir. Au détour d'un lacet, quelqu'un de l'organisation me lance : "Laurianne, Jaja a abandonné." Il s'est arrêté au sommet du col, au km 600, la distance à compter de laquelle la course commence vraiment. Sur un ultra, c'est la bascule. Il a prétexté un incident technique, le bris de son dérailleur. Sauf que sur les données Strava, lorsque l'on arrive en haut du col, il y a comme une sorte de grand toboggan qui remonte à 12 %. Il a quand même réussi à remonter cette pente avec son dérailleur cassé... Il a les watts. Ou alors, il l'a cassé après. J'ai poursuivi ma route, terminée deuxième. Suffisant pour remporter le Championnat.
« Il a pris un coup dans l'ego »
J'ai revu Jalabert le soir de mon succès. Il venait rendre son tracker. Il m'a félicité à moitié, de travers, sans me regarder. Juste "bravo" et il a tourné les talons. Nous n'avons pas eu l'occasion de nous reparler. Je ne l'ai jamais revu sur un BikingMan. Il est fier, je pense. Il a pris un coup dans l'ego. Il pensait s'imposer et a pris une pilule. Des gars qui partent comme des balles pour exploser ensuite, j'en ai vu. Ça montre que les pros ne sont pas forcément performants dans des formats comme ça.
Ce n'est pas du tout la même discipline : le pro, s'il a besoin de quelque chose, il n'a qu'à tendre la main pour un bidon, une musette. Quand j'ai un souci mécanique (comme ce fut le cas lors d'une manche au Sri Lanka), il faut bien que je mette les mains dedans. Sur 80 concurrents au départ d'un BikingMan, 5 à 10 % sont des filles. Je suis la seule à performer, jouer la gagne. Ça ne plaît pas à tous les mecs. J'ai trouvé un surnom pour mes détracteurs : les petits rageux. Ceux qui laissent des commentaires acerbes sur les réseaux ou adressent des messages pas classe du tout, et pas assumés.
Message Personnel : Maxime Lami, le basketteur qui brise le tabou de l'addiction aux paris sportifs.
Mais il y en a de moins en moins, ça s'est bien calmé : les deux plus virulents ont fini par présenter leurs excuses, indirectement, via des connaissances. Si j'étais un homme de 30-35 ans, ce que je fais ne serait pas perçu comme extraordinaire, ça paraîtrait logique. Mais je suis une fille et je parviens à être régulière, performer sur toutes les courses.
Cette régularité montre qu'il n'y a rien à soupçonner, pas de dopage. Je ne fais pas ça pour la gloire. C'est une démarche personnelle. Si elle dérange, tant mieux. Cette année, après trois saisons intenses, je calme un peu le jeu, pour des raisons familiales. Mais je me suis alignée dimanche 20 juillet au BikingMan Aura (Laurianne Plaçais est arrivée 5e et première femme de l'épreuve en 43 h 25''). J'ai raté pour l'occasion un bout de Tour de France commenté par Laurent Jalabert. »