5 days ago
Des sinistrés ciblés par de faux avis municipaux
Inondés pour la deuxième fois en moins d'un an, des dizaines de résidants d'Ahuntsic ont reçu ces derniers jours de faux « avis de travaux ». La lettre affirmant que la Ville préfère aménager des pistes cyclables plutôt que de réparer leurs égouts a soulevé la colère et l'inquiétude chez les résidants. Or, d'importantes nuances s'imposent.
« Nous vous informons que la Ville ne prévoit pas intervenir dans votre rue pour corriger la problématique récurrente de refoulement d'égout que vous subissez », lit-on dans le document distribué aux portes. On précise qu'aucun correctif ne sera mis en place au moins avant 2028.
La lettre poursuit en avançant que « cela étant dit, vous serez sans doute ravi d'apprendre que deux nouvelles pistes cyclables seront aménagées dès 2025 » dans le secteur.
Cet « avis de travaux » est faux. La lettre imite le style et la couleur des avis de chantiers que Montréal envoie habituellement aux résidants à la veille de travaux majeurs. Principale différence : le logo de Montréal, une rosace rouge, n'apparaît pas.
L'auteur, qui ne donne pas son identité, invite les citoyens à envoyer leurs « questions, plaintes, commentaires » à la mairesse de l'arrondissement, Émilie Thuillier.
L'élue, qui a reçu de nombreux messages à la suite de ce faux avis, a tenté de se faire rassurante. « En aucun cas la Ville n'a priorisé ces travaux au détriment de ceux concernant le système d'égout de votre rue. Il s'agit de travaux de nature très différente : la piste cyclable prévoit uniquement du marquage au sol et l'installation de bollards », a répondu Mme Thuillier à certains résidants.
PHOTO FOURNIE PAR UN CITOYEN
Le faux avis en question a été reçu par la poste par plusieurs résidants jeudi.
D'après nos informations, il est vrai qu'aucun chantier de voirie n'est prévu sur l'avenue De Chateaubriand d'ici 2028. Une inspection du système de canalisation et des puisards est toutefois prévue dans les prochains jours, mais la Ville estime que l'état de l'égout ne justifie pas d'intervention pour le moment. Quant aux deux pistes cyclables qui seront inaugurées prochainement, les travaux avaient été planifiés avant l'inondation de dimanche, et même avant la tempête Debby d'août 2024.
Coup marketing
Au cabinet de Valérie Plante, on rétorque qu'envoyer de faux avis est une pratique « inacceptable, d'autant plus qu'elle induit en erreur la population ».
« C'est 600 millions qui seront investis pour la gestion de l'eau seulement en 2025. Sans compter tous les efforts pour multiplier les aménagements éponges et les programmes comme RénoPlex qui visent à soutenir les propriétaires dans leurs travaux », estime l'attaché de presse de la mairesse, Simon Charron.
Pour la spécialiste de la politique municipale Justine McIntyre, « c'est une erreur d'associer égouts et pistes cyclables ».
Ça n'a rien à voir. Les pistes cyclables sont devenues un genre de fourre-tout où chaque fois que quelque chose ne va pas à la Ville, on les pointe. C'est un raccourci qu'on a adopté.
Justine McIntyre, spécialiste de la politique municipale
Vérification faite, la valeur de la seule soumission reçue pour l'aménagement de la piste cyclable de la rue de Louvain s'élève à 108 000 $. En comparaison, la facture du seul chantier dans une rue dans Ahuntsic qui prévoit la réfection des égouts, sur l'avenue Hamel, s'élève à 5,5 millions. C'est 50 fois plus.
« Les gens ont souvent cette perception que si on mettait plus d'argent dans les infrastructures, on pourrait régler les inondations. Mais ça aussi, c'est faux. Ça ne suffit pas, de changer un collecteur, puisque le réseau au complet est saturé. Et même avec le meilleur réseau au monde, ce serait impossible d'absorber de fortes pluies sur de si courtes périodes », ajoute Mme McIntyre.
N'empêche, « c'est un coup de marketing incroyable, le faux avis », ajoute la spécialiste. « Ça attire l'attention, c'est une manière de frapper un coup pour faire passer un message », note-t-elle.
Insatisfaction démontrée
Dans l'opposition, la candidate d'Ensemble Montréal à la mairie d'Ahuntsic-Cartierville, Maude Théroux-Séguin, déplore la distribution de faux documents, mais estime que « cela démontre malheureusement le niveau d'insatisfaction de plusieurs à l'égard du manque de prévisibilité de l'administration de Projet Montréal dans la gestion des travaux ».
Le faux avis dénonce par ailleurs que « la Ville a[it] choisi d'investir prioritairement en contrepartie plus de 200 millions dans des mandats confiés à des firmes externes de génie-conseil ».
Il s'agit ici d'une référence directe à une étude de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), qui révélait en mai que la valeur des contrats accordés aux firmes de génie-conseil a été multipliée par huit depuis 2012 à la Ville.
Questionné sur le sujet, le syndicat des ingénieurs assure ne pas être derrière ce faux avis. Sa leader juge que la situation démontre qu'il faudrait « investir plus dans la voirie et les infrastructures vieillissantes ».
« Le geyser de l'an passé dans Centre-Sud, ce n'était pas la première fois. On a eu plusieurs cas similaires dans les deux dernières années », explique la présidente de l'Association des scientifiques et ingénieurs de Montréal (ASIM), Gisella Gesuale. « En ce moment, la Ville de Montréal est vraiment concentrée sur ce qu'ils peuvent faire sur la surface de rue, mais pas assez en dessous », conclut-elle.