6 days ago
Il y a plus d'une forme de justice
Jeudi, cinq hockeyeurs professionnels, Michael McLeod, Carter Hart, Alex Formenton, Cal Foote et Dillon Dubé, ont été acquittés des accusations criminelles d'agression sexuelle qui pesaient sur eux, au terme de l'un des procès les plus médiatisés de la décennie au Canada.
La juge de la Cour supérieure de l'Ontario a conclu que le témoignage de la plaignante n'était « ni crédible ni fiable », qu'il y a eu de la part de la plaignante « un consentement réel non vicié par la peur » et que la Couronne n'a prouvé aucune des accusations hors de tout doute raisonnable.
Les cinq hockeyeurs d'Équipe Canada Junior 2018, qui étaient passibles de 10 ans de prison, sont donc libres.
Ils ne retrouveront pas pour autant leur vie d'il y a 18 mois, avant le dépôt des accusations en janvier 2024.
ILLUSTRATION ALEXANDRA NEWBOULD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE
Croquis d'audience des cinq anciens membres de l'équipe canadienne de hockey junior regardant la juge Maria Carroccia rendre sa décision dans leur procès pour agression sexuelle
Il faut comprendre que l'objectif du droit criminel est d'interdire « les gestes qui vont contre les valeurs fondamentales de notre société1 ». C'est la Couronne qui poursuit, au nom de la société.
Si les balises du droit criminel sont extrêmement strictes, si les Canadiens ont droit à la présomption d'innocence et à une défense pleine et entière aussi vigoureuse, c'est parce que la société peut vous enlever votre liberté.
Nous vivons dans un État de droit. C'est extraordinairement précieux.
Mais le droit et la justice ne se résument plus seulement à la justice criminelle.
Il y a aussi la justice civile, où une personne peut poursuivre ceux qui l'ont lésée. Le plus souvent, elle obtient une indemnisation financière pour les dommages subis.
Dans le dossier des hockeyeurs d'Équipe Canada Junior 2018, la victime alléguée a poursuivi Hockey Canada et huit joueurs anonymes pour 3,5 millions de dollars. Ce litige a rapidement été réglé à l'amiable (les joueurs impliqués n'ont pas été consultés dans la décision de Hockey Canada de régler, et les détails de ce règlement sont confidentiels).
Il y a finalement la justice disciplinaire et le droit du travail. Un employé peut être sanctionné ou perdre son emploi pour un geste répréhensible qui n'est pas de nature criminelle. Dans leur contrat, les joueurs de la LNH ont une clause générale de bonne conduite sur la patinoire et hors de la patinoire. Selon leur contrat, ils doivent « suivre les normes les plus élevées d'honnêteté, de moralité » et « s'abstenir de tout comportement préjudiciable aux intérêts2 » de la LNH. C'est beaucoup plus exigeant que de simplement respecter le Code criminel, et avec raison.
Aussitôt que ce règlement à l'amiable a été révélé au grand public par le journaliste de TSN Rick Westhead, en mai 2022, la LNH a lancé une enquête disciplinaire pour savoir si les joueurs en question avaient enfreint la clause de bonne conduite de leur contrat. (Les joueurs étaient sous contrat avec une équipe de la LNH au moment des faits allégués, à l'été 2018.)
L'enquête de la LNH est terminée depuis longtemps. Avec sagesse, la ligue a choisi d'attendre la fin du processus criminel avant d'en dévoiler les conclusions.
La LNH a toutefois donné un indice jeudi, déclarant que « les allégations formulées dans cette affaire, même si elles n'ont pas été jugées criminelles, étaient très troublantes et le comportement en question était inacceptable3 ». Pendant qu'elle étudie le jugement de la Cour supérieure de l'Ontario, les joueurs restent inadmissibles à jouer dans la LNH. On en saura sans doute plus à la fin août, après le délai d'appel de la Couronne.
Les conclusions de l'enquête disciplinaire de la LNH pourraient être différentes de celle du tribunal criminel pour trois raisons :
1. On ne juge pas la même chose. En droit criminel, la juge tranche si une infraction d'agression sexuelle a été commise. En matière de discipline, la LNH tranche si les joueurs ont eu « les normes les plus élevées d'honnêteté, de moralité » ou un « comportement préjudiciable aux intérêts » de la LNH. La barre est beaucoup plus basse dans la cour de justice du commissaire de la LNH, Gary Bettman.
2. Le fardeau de preuve n'est pas le même. En droit criminel, il faut prouver une accusation hors de tout doute raisonnable. En droit disciplinaire, c'est la règle de la prépondérance de la preuve (la preuve 50 % + 1) qui permet de trancher. On choisit la version la plus probable entre celles des deux parties.
3. Il y aura davantage d'éléments de preuve dans l'enquête disciplinaire. Pour protéger les droits constitutionnels des accusés, le tribunal criminel a exclu certains éléments de preuve. Comme un texto troublant d'un témoin (Brett Howden, l'un de leurs coéquipiers) entré brièvement dans la chambre. M. Howden a aussi dit à l'enquêtrice de Hockey Canada avoir vu la plaignante pleurer pendant l'un des actes sexuels4. Au procès, M. Howden a dit ne pas s'en souvenir.
Si l'enquête de la LNH conclut que certains des hockeyeurs ont agi de façon déplacée et ont enfreint leur contrat, la LNH pourra leur imposer des sanctions, par exemple une suspension. Le cas échéant, il faut espérer qu'elle impose une sanction sévère et proportionnelle à la gravité des gestes posés. Et que la sanction commence après le verdict, et non lors du dépôt des accusations en janvier 2024. (Toute sanction imposée par la LNH pourra être contestée devant un arbitre en vertu de la convention collective.)
Ça enverrait un puissant message à toutes les sphères de la société que de tels comportements sont choquants et inacceptables.
Jouer dans la LNH n'est pas un métier normal. Elle fait de vous un modèle pour les jeunes, avec des responsabilités sociales, vous gagnez des millions de dollars. Les joueurs sont tenus à un standard plus élevé que le simple respect du Code criminel.
D'autres ligues de sport professionnel ont suspendu des athlètes pour des inconduites sexuelles, même si ceux-ci n'ont pas été condamnés au criminel.
Au baseball majeur, le lanceur vedette des Dodgers Trevor Bauer a été suspendu sans solde un peu plus d'une saison (184 matchs) en 2022 pour des allégations d'agression sexuelle et de violence conjugale. Il avait enfreint la clause de bonne conduite de son contrat. Après sa suspension, les Dodgers ont libéré cet ancien gagnant du trophée Cy Young. Il n'a plus jamais joué dans le baseball majeur et a poursuivi sa carrière au Japon et au Mexique.
Au football, le quart de la NFL Deshaun Watson a été suspendu 11 matchs (deux tiers d'une saison) et a payé 5 millions de dollars d'amende pour des inconduites sexuelles. Watson a réglé à l'amiable avec 23 des 24 femmes ayant intenté des poursuites civiles contre lui. Il est revenu au jeu pour Cleveland en 2023 après sa suspension.
Dans les cas de Bauer et Watson, la poursuite n'avait pas déposé d'accusations criminelles, après avoir étudié les dossiers.
Si un joueur de la LNH commet des inconduites sexuelles qui enfreignent son contrat, une suspension sévère (d'au moins une saison) serait appropriée. Elle faciliterait même la réhabilitation de la personne visée dans la société.
Si un geste répréhensible est sanctionné adéquatement, la plupart des citoyens estiment que la personne a payé sa dette morale et qu'elle peut continuer sa vie.
Évidemment, aucune équipe de hockey n'est obligée de l'engager.
Aucun des cinq hockeyeurs acquittés n'est sous contrat avec une équipe de la LNH actuellement.
Au moment du dépôt des accusations, quatre des cinq hockeyeurs acquittés étaient soit des joueurs de soutien dans la LNH, soit des joueurs qui faisaient la navette entre la LNH et la Ligue américaine. Ne soyez pas étonnés s'ils ont disputé leur dernier match dans la LNH et qu'ils terminent leur carrière en Russie ou en Europe.
Le procès criminel des cinq hockeyeurs d'Équipe Canada Junior 2018 a suscité une discussion nationale sur le consentement en matière de rapports sexuels. Une discussion nécessaire et qui sera bénéfique à toute la société. Il faut toutefois espérer que ce verdict ne décourage pas les victimes d'agression sexuelle de porter plainte.
À moins que la Couronne ne fasse appel du verdict, ce procès criminel est clos.
Mais l'histoire n'est pas terminée.
Elle se transporte dans le bureau de Gary Bettman.
1. Consultez l'article « Le droit criminel, c'est quoi ? » sur le site d'Éducaloi
2. Lisez l'article du Globe and Mail (en anglais ; abonnement requis)
3. Lisez la déclaration de la LNH (en anglais)
4. Lisez la chronique « Les trous de mémoire du témoin Howden » sur le site de Radio-Canada