
Dans la ville assiégée
« Pis, m'a demandé mon chauffeur mohawk, quand tu vas revenir ici, à Kahnawake, avec ta gang, allez-vous tous nous tuer ou seulement les Warriors ? »
Il avait mission de me ramener au barrage, où deux heures plus tôt, j'avais réussi à pénétrer sur la réserve de Kahnawake.
Pas si étanche qu'on m'avait dit, leur blocus. Quelque part dans le nord de Châteaugay, une rue sans issue dans un nouveau développement, un petit bois à traverser entre deux bungalows, cinq minutes de marche dans un champ, une voie ferrée et voilà, pas plus difficile que ça, les Warriors étaient là. Coucou, les guerriers, c'est moi…
Un peu étonnés tout de même de me voir arriver. Ma carte de presse ne les a qu'à moitié rassurés. Ils m'ont aussitôt assigné un jeune garde un peu speedé qui m'a interdit de prendre des notes… Ils étaient une douzaine autour d'un campement de fortune. Dont deux femmes et plusieurs adolescents en tenue de combat. Certains cassaient la croûte, un autre était en train de creuser une tranchée, plusieurs surveillaient à la jumelle le barrage des policiers, droit devant, au bout de la voie ferrée. Les armes, des fusils mitrailleurs à ce que j'en ai vu, étaient dissimulées sous les des boîtes en carton et sous des guenilles. Presque tous étaient masqués du fameux foulard troué. Pas un qui ne parlât français.
J'ai attendu là un quart d'heure avant qu'on vienne me chercher. Deux gardes taciturnes dans une grosse voiture m'ont finalement conduit à une sorte de permanence de guerre au centre de Kahnawake… Je dis permanence de guerre, mais cela ressemblait plutôt à une mini salle de rédaction, joyeusement animée par des jeunes gens un peu cyniques qui semblaient tout droit sortis du campus de Dawson ou peut-être même de McGill. On m'a demandé quel genre d'entrevue je souhaitais…
– Je ne veux pas d'entrevue, j'aimerais seulement me promener librement dans le village…
Faveur accordée. Et je suis parti à la découverte de Kahnawake l'assiégée. Ici il faut que je vous fasse un aveu. C'est la première fois que j'allais à Kahnawake. Et je ne sais pas à quoi je m'attendais, à quelque chose d'un peu désespérant, de très drabe et de très chauve, je ne sais pas exactement vous dis-je, mais certainement pas ce à village ordinaire, « normal », à la fois beau et laid, en tous points semblable, avec sa grosse église et ses deux épiceries, aux villages que j'avais traversés pour venir jusqu'ici, comme Saint-Édouard ou Saint-Michel…
Un peu plus désert forcément puisque personne ne peut entrer à Kahnawake. Trafic presque inexistant : les résidents ménagent l'essence. À la station où je me suis renseigné on ne servait que les Warriors…
À la radio mohawk locale, l'animateur soulignait justement comme étaient sereines ces fins d'après-midis sans trafic, sans tous ces Blancs qui, à cette heure-là, déboulent en fou la rue principale pour couper au plus court vers Châteauguay…
À l'épicerie Lafleur, la plus grosse du village, les étagères sont encore assez bien fournies. Le marchand de lait de Sainte-Catherine venait justement de passer en courbant le dos sous les insultes de quelques idiots à la barrière de la police…
– C'est la viande qui manque le plus, m'a dit le maître des lieux, Skip Lafleur. Mes sept congélateurs sont vides. La viande, les légumes, les fruits. Et parfois le pain… J'ai en reçu 500 hier, je l'ai fait annoncer à la radio, c'est parti comme ça…
– J'ai entendu dire que vous en avez donné autant que vous en avez vendu…
– Ouais, c'est pas le temps de fourrer le monde, c'est le temps d'être solidaire. Il y a beaucoup de vieilles personnes ici qui ont peur de manquer, il faut les rassurer…
– Il n'y a vraiment aucun ravitaillement qui passe ?
– Si. Par le fleuve. Et par quelques routes secrètes. Et même par les barricades. Vers cinq heures du matin par exemple, quand les excités blancs sont allés se coucher…
Au poste de police voisin régnait un calme total. « Le grand repos se félicitait le chef Joseph Montour. Presque pas de trafic, pas d'accidents, pas d'incidents. Ma prison n'est même pas pleine ! »
– Pourtant avec tous ces étrangers armés jusqu'aux dents…
– Quels étrangers ?
Devant l'église une jeune fille sur une grosse moto me regardait passer en souriant…
– Excusez-moi monsieur, comment êtes-vous entré ?
– Pourquoi ?
– Moi il faut que je sorte. Je suis une Blanche de Châteauguay, mon ami est mohawk et je me suis retrouvée coincée ici. La police provinciale ne veut pas me laisser sortir. Il faut pourtant. Je commence à travailler jeudi dans un bureau d'avocats…
Elle m'a fait faire le tour du village sur sa moto. C'est comme ça que j'ai remarqué les drapeaux. Tout Kahnawake est pavoisée de bleu : le drapeau des Six Nations. Et de rouge : le drapeau mohawk…
On est allé revirer sous la structure inutile du pont Mercier… On est passé devant une piscine pleine de monde. On a doublé des jeunes filles à bicyclette. Des gens tondaient leur gazon autour de leur cottage. On se serait cru à Laval ou à Brossard. C'était une magnifique fin d'après-midi d'été…
J'ai dit à la jeune fille à la moto de me laisser près de l'hôpital. J'avais repéré tout près de là une vieille femme qui prenait le frais sur son perron. J'ai dit bonsoir madame, excusez-moi, je voudrais vous poser une question.
– Êtes-vous d'accord avec ce qui se passe ici ?
– Non et oui, m'a répondu la vieille Mohawk… Des fois, a-t-elle poursuivi, il faut faire des choses qui ont l'air trop grandes, trop fortes, mais c'est la seule façon pour que ça change…
Dans l'auto des Warriors qui me ramenait à mon point de départ, je notais ça : « C'est la seule façon pour que ça change » … et je me disais, c'est drôle mais ça me rappelle quelque chose, un truc que j'ai déjà su par cœur parce que je trouvais ça beau, c'était du Claude Gauvreau et ça disait… attends je l'ai… ça disait : « Il faut parfois poser des actes d'une audace si complète que même ceux qui les réprimeront devront admettre qu'un pouce de délivrance a été conquis pour TOUS » …
C'est d'actualité non ?

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