
Comme le vélo
Écrire est ardu. Pour moi, en tous cas. Quand j'en parle, je me fais souvent répondre : « Ben voyons ! C'est quelque chose que tu aimes faire, c'est pas vraiment du travail. C'est comme le vélo. » Tadej Pogačar est devenu cycliste parce qu'il aime le vélo. Il vient de remporter son quatrième Tour de France. Demandez-lui si le Tour est un loisir.
Je ne compare pas l'écriture à faire le Tour. Je parle de quelque chose qui exige un engagement complet, qui vous prend tout et vous laisse vidé au bout du chemin. On s'interroge. Pourquoi s'imposer cela ? Quand j'ai fini un roman, comme Tadej, je lève les bras vers le ciel. Pareil. Dommage que ce ne soit pas aussi bon pour le tour de taille que le Tour de France.
Je dis ça, mais il y a autant de motivations et de manières d'écrire qu'il y a d'écrivaines ou d'écrivains. Dans mon cas, ça commence toujours par une idée. Je ne me soucie pas de ce que les gens ont envie de lire ou de ce qui est dans l'air du temps.
Je pratique le journalisme depuis longtemps et dans ce métier, l'intérêt du public prime sur tout. Dans un roman, seul compte ce dont moi j'ai envie de parler. Ça peut paraître égoïste. Mais si je vais consacrer autant de temps à un livre, il faut que je l'aime. Cela fait de l'écriture quelque chose de personnel et d'intime, même quand on parle des autres. Car on finit toujours par parler un peu de soi à travers eux.
Il y a le sujet, donc, puis la manière, l'histoire. J'y pense longtemps. Je la construis bloc par bloc dans ma tête, en roulant à vélo ou en auto dans le trafic. Je peux passer des heures assis sur le divan à cogiter, à construire des personnages, à créer des aventures, des points de tension, à tuer du monde parfois, en faire souffrir d'autres. Ne fréquentez jamais d'écrivains et fuyez quand ils paraissent perdus dans leurs pensées : ils sont peut-être en train d'imaginer les pires affaires.
Une chose que l'on sous-estime souvent, c'est le temps que ça prend. Dans mon cas, il me faut deux ans pour rédiger moins de 250 pages. Je m'attelle pourtant à mon portable tous les jours, partout, dans le métro, dans un parc, dans des cafés, dans ma cuisine. Il y aura plusieurs versions du manuscrit que je retravaillerai. Au début, je coupe à la tronçonneuse, des branches au complet de bois mort, et je finis ça en lissant avec le plus doux des papiers émeri.
Johanne, mon éditrice depuis toujours, lit, fait des suggestions. J'ajuste, précise, améliore. Puis, la réviseure stylistique prend le relais, décortique le texte, trouve des erreurs, des incongruités, des contradictions, des répétitions, inversions et autres imperfections. Peu à peu, la magie opère et le texte prend vie, il gagne en fluidité. Je me dis que ce n'est peut-être pas si mauvais, après tout. Quoique.
La réviseure linguistique donne la dernière couche. Il lui reste pas mal de travail. Le dyslexique que je suis étant loin d'être champion du monde des accords de verbe…
Se pose alors l'épineuse question de la couverture. Marike Paradis, une grande artiste, s'occupe des miennes depuis Kukum. Désormais directrice éditoriale de Libre Expression, elle le fait encore pour moi par amitié. C'est aussi ça, les livres. Pour mon nouveau roman, elle m'a proposé trois options, toutes magnifiques. Choisir n'a pas été facile, mais mon idée est pas mal faite.
Ce roman qui paraîtra en octobre est un projet pas comme les autres.
Inspiré d'un de mes livres préférés, Tsunamis, passé inaperçu à sa parution en 2017, on y suit l'histoire d'un journaliste abénaki qui, en 2005, va couvrir l'après-tsunami au Sri Lanka. Les Tamouls, un peuple autochtone qui a été victime d'injustices et d'exactions, ont pris les armes face au gouvernement central dirigé par la majorité cinghalaise. Les Tigres tamouls contrôlent en ce moment le nord du pays.
Ce que l'Abénaki voit et constate le ramène à son propre peuple, aux choix qui ont été faits, ou pas. L'histoire se passe au Sri Lanka, mais elle parle du Québec et pose la question : quelle forme devrait prendre la résistance autochtone ?
J'ai commencé le travail sur ce livre il y a plus d'un an et demi. J'ai modifié plus de 50 % du texte original. J'ai ajouté des chapitres, j'en ai enlevé. C'est à peu près la même histoire. Mais c'est un nouveau livre, car beaucoup de choses ont changé depuis 2017 et l'actualité me rattrape encore.
Ainsi, ces dernières semaines, les Premières Nations ont dressé des barricades dans le bois pour bloquer les coupes et dénoncer la réforme du régime forestier. Une colère s'exprime. Pacifiquement, bien sûr. Mais elle gronde.
Écrire ce livre a été un long chemin éprouvant. Encore. J'ai l'impression que ça le devient de plus en plus avec le temps. Là, je commence à sentir approcher la ligne d'arrivée. Je me prépare pour le sprint. Est-ce que je vais avoir les jambes ?

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La Presse
a day ago
- La Presse
Comme le vélo
Je suis en train de terminer un nouveau roman qui paraîtra cet automne et vous n'avez pas idée à quel point je suis à bout. Écrire est ardu. Pour moi, en tous cas. Quand j'en parle, je me fais souvent répondre : « Ben voyons ! C'est quelque chose que tu aimes faire, c'est pas vraiment du travail. C'est comme le vélo. » Tadej Pogačar est devenu cycliste parce qu'il aime le vélo. Il vient de remporter son quatrième Tour de France. Demandez-lui si le Tour est un loisir. Je ne compare pas l'écriture à faire le Tour. Je parle de quelque chose qui exige un engagement complet, qui vous prend tout et vous laisse vidé au bout du chemin. On s'interroge. Pourquoi s'imposer cela ? Quand j'ai fini un roman, comme Tadej, je lève les bras vers le ciel. Pareil. Dommage que ce ne soit pas aussi bon pour le tour de taille que le Tour de France. Je dis ça, mais il y a autant de motivations et de manières d'écrire qu'il y a d'écrivaines ou d'écrivains. Dans mon cas, ça commence toujours par une idée. Je ne me soucie pas de ce que les gens ont envie de lire ou de ce qui est dans l'air du temps. Je pratique le journalisme depuis longtemps et dans ce métier, l'intérêt du public prime sur tout. Dans un roman, seul compte ce dont moi j'ai envie de parler. Ça peut paraître égoïste. Mais si je vais consacrer autant de temps à un livre, il faut que je l'aime. Cela fait de l'écriture quelque chose de personnel et d'intime, même quand on parle des autres. Car on finit toujours par parler un peu de soi à travers eux. Il y a le sujet, donc, puis la manière, l'histoire. J'y pense longtemps. Je la construis bloc par bloc dans ma tête, en roulant à vélo ou en auto dans le trafic. Je peux passer des heures assis sur le divan à cogiter, à construire des personnages, à créer des aventures, des points de tension, à tuer du monde parfois, en faire souffrir d'autres. Ne fréquentez jamais d'écrivains et fuyez quand ils paraissent perdus dans leurs pensées : ils sont peut-être en train d'imaginer les pires affaires. Une chose que l'on sous-estime souvent, c'est le temps que ça prend. Dans mon cas, il me faut deux ans pour rédiger moins de 250 pages. Je m'attelle pourtant à mon portable tous les jours, partout, dans le métro, dans un parc, dans des cafés, dans ma cuisine. Il y aura plusieurs versions du manuscrit que je retravaillerai. Au début, je coupe à la tronçonneuse, des branches au complet de bois mort, et je finis ça en lissant avec le plus doux des papiers émeri. Johanne, mon éditrice depuis toujours, lit, fait des suggestions. J'ajuste, précise, améliore. Puis, la réviseure stylistique prend le relais, décortique le texte, trouve des erreurs, des incongruités, des contradictions, des répétitions, inversions et autres imperfections. Peu à peu, la magie opère et le texte prend vie, il gagne en fluidité. Je me dis que ce n'est peut-être pas si mauvais, après tout. Quoique. La réviseure linguistique donne la dernière couche. Il lui reste pas mal de travail. Le dyslexique que je suis étant loin d'être champion du monde des accords de verbe… Se pose alors l'épineuse question de la couverture. Marike Paradis, une grande artiste, s'occupe des miennes depuis Kukum. Désormais directrice éditoriale de Libre Expression, elle le fait encore pour moi par amitié. C'est aussi ça, les livres. Pour mon nouveau roman, elle m'a proposé trois options, toutes magnifiques. Choisir n'a pas été facile, mais mon idée est pas mal faite. Ce roman qui paraîtra en octobre est un projet pas comme les autres. Inspiré d'un de mes livres préférés, Tsunamis, passé inaperçu à sa parution en 2017, on y suit l'histoire d'un journaliste abénaki qui, en 2005, va couvrir l'après-tsunami au Sri Lanka. Les Tamouls, un peuple autochtone qui a été victime d'injustices et d'exactions, ont pris les armes face au gouvernement central dirigé par la majorité cinghalaise. Les Tigres tamouls contrôlent en ce moment le nord du pays. Ce que l'Abénaki voit et constate le ramène à son propre peuple, aux choix qui ont été faits, ou pas. L'histoire se passe au Sri Lanka, mais elle parle du Québec et pose la question : quelle forme devrait prendre la résistance autochtone ? J'ai commencé le travail sur ce livre il y a plus d'un an et demi. J'ai modifié plus de 50 % du texte original. J'ai ajouté des chapitres, j'en ai enlevé. C'est à peu près la même histoire. Mais c'est un nouveau livre, car beaucoup de choses ont changé depuis 2017 et l'actualité me rattrape encore. Ainsi, ces dernières semaines, les Premières Nations ont dressé des barricades dans le bois pour bloquer les coupes et dénoncer la réforme du régime forestier. Une colère s'exprime. Pacifiquement, bien sûr. Mais elle gronde. Écrire ce livre a été un long chemin éprouvant. Encore. J'ai l'impression que ça le devient de plus en plus avec le temps. Là, je commence à sentir approcher la ligne d'arrivée. Je me prépare pour le sprint. Est-ce que je vais avoir les jambes ?


La Presse
2 days ago
- La Presse
À bicyclette ! Les clowns sont tristes
Synopsis : Un an après le suicide de son fils, un homme et son grand ami refont à vélo le voyage ayant mené le défunt de La Rochelle à Istanbul. Durant cinq semaines, en compagnie d'une équipe de cinq techniciens, l'acteur et réalisateur Mathias Mlekuz (Mine de rien) et son meilleur ami Philippe Rebbot, formidable acteur trop souvent relégué aux seconds rôles, ont accompli un exploit extraordinaire. À vélo, en train et en camion, tous deux ont refait la route que Youri Mlekuz, artiste de rue, clown et musicien, avait parcourue à bicyclette durant 13 mois avant de se donner la mort à 28 ans. Le défi était de taille, puisque ni Mlekuz, en surpoids, ni Rebbot, qui fume comme un pompier, n'avaient suivi d'entraînement durant l'année suivant le drame. Modeste croisement entre le documentaire et la fiction, À bicyclette ! a séduit le public dans divers festivals, dont celui d'Angoulême et de l'Alpe d'Huez. Il est vrai que le deuil est un sujet universel qui touche droit au cœur. Qui plus est lorsqu'il s'agit de la perte d'un enfant. Or, si la douleur du père éprouvé est bien tangible à l'écran, de même que l'empathie et le chagrin de son grand ami, le résultat, sympathique et bordélique, suscite plus souvent l'agacement que l'émotion. Des 180 heures d'images de ce voyage entre La Rochelle et Istanbul, Mathias Mlekuz et la monteuse Céline Cloarec ont gardé des scènes où les deux acteurs reproduisent, tantôt en rigolant, tantôt au bord des larmes, des photos tirées du livre de Youri Mlekuz, offrent des spectacles de clowns, assez médiocres, voire embarrassants, dans des écoles et se livrent à des élucubrations sur la vie, la mort et la vie après la mort. De ces dialogues improvisés entre ces deux hommes, qui se connaissent depuis une vingtaine d'années, rien de bien édifiant ni de mémorable n'en ressort. À Vienne, les deux larrons feront une escale chez une jeune femme psychorigide (Adriane Gradziel). D'emblée rigolote, la scène, dont plusieurs dialogues se font avec l'aide de Google Translate, s'étire inutilement. Plus tard, ils croiseront Jo (Josef Mlekuz), fils de Mathias, et Marzi (Marziyeh Rezaei), petite amie de Youri, ce qui donnera lieu à des échanges larmoyants. Alors que Mathias Mlekuz et Philippe Rebbot picolent, chialent et ressassent les mêmes propos à chaque station, une fort désagréable sensation de voyeurisme s'empare du spectateur. Ces moments d'intimité entre endeuillés devaient-ils s'étaler sur grand écran ? Une bonne thérapie n'aurait-elle pas été plus efficace ? En salle Consultez l'horaire du film


La Presse
2 days ago
- La Presse
Un homme presque parfait
Synopsis : Afin d'éviter d'être démasquée par un groupe de militantes féministes qu'elle infiltre, une policière accuse un innocent de l'avoir violée. Avec sa femme – la scénariste Baya Kasmi –, le réalisateur Michel Leclerc a le don de concocter de charmantes comédies qui, sans toujours faire preuve d'une grande subtilité, ont le mérite de véhiculer des réflexions sur les frictions sociales (La lutte des classes), politiques (Télé Gaucho) et culturelles (Le nom des gens). Le mélange des genres, qui puise sa source dans les répercussions du mouvement #metoo, n'y fait pas exception. Policière aux idées conservatrices, Simone (Léa Drucker, toujours parfaite) infiltre les Hardies, groupe de militantes féministes, qu'elle soupçonne d'avoir aidé une femme à tuer son mari violent. Confrontée aux propos de la radicale Marianne (Judith Chemia) et à la triste situation familiale de la gaffeuse Sofia (touchante Melha Bedia, sœur de Ramzy), Simone compose de plus en plus difficilement avec le machisme de ses collègues, parmi lesquels se trouve aussi son mari (Vincent Elbaz). Seul son jeune confrère (Félix Moati) paraît sensible à la cause des femmes. PHOTO STÉPHANIE BRANCHU, FOURNIE PAR AXIA FILMS Melha Bedia, Léa Drucker et Judith Chemia dans Le mélange des genres, de Michel Leclerc À la suite d'une manifestation avortée, les Hardies soupçonnent que Simone soit une taupe. Afin de les convaincre du contraire, elle leur raconte avoir été victime de viol. Au hasard, elle accuse alors Paul (Benjamin Lavernhe, attachant clown lunaire), acteur raté qu'elle croise à l'école que fréquentent leurs enfants. Père au foyer dévoué et mari fidèle d'une célèbre actrice (Julia Piaton), Paul est l'antithèse du mâle toxique. Baya Kasmi et Michel Leclerc se moquent allègrement des wokistes, des féministes, des masculinistes et des défenseurs du patriarcat à travers une pléthore de personnages unidimensionnels, incarnés avec aplomb par une distribution au diapason. Bref, qu'ils soient de gauche, de droite ou du centre, tous y passent un mauvais quart d'heure, les scénaristes s'amusant à pointer les contradictions de chaque courant de pensée. Sous le couvert de la légèreté, les auteurs y abordent des thèmes graves, comme la violence conjugale, les féminicides et l'indifférence policière face à la condition féminine. Comédie dramatique débridée au rythme primesautier, Le mélange des genres comporte quelques moments déroutants, certains délicieusement décalés, où le cinéaste décroche du récit comme s'il souhaitait établir une connexion directe avec le spectateur. Ainsi balance-t-il une rencontre nocturne entre Virginie Despentes (qui semble prendre plaisir à jouer son propre rôle) et Paul, complètement bourré, ainsi que quelques plages musicales avec le suave Vincent Delerm, qui signe également la musique de ce film plutôt plaisant malgré une finale qui laisse perplexe. En salle Consultez l'horaire du film