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Julia Ducournau : «On rêverait tous de pouvoir dire à sa mère 'c'est bon, tu as tout bien fait'»

Julia Ducournau : «On rêverait tous de pouvoir dire à sa mère 'c'est bon, tu as tout bien fait'»

Le Figaro9 hours ago
Avec Alpha, son quatrième long-métrage, la réalisatrice s'attaque à la figure maternelle, à la transmission des traumas comme à la façon dont on les combat. Son film le plus personnel à ce jour.
Que fait-on après un film choc ? Après un thriller horrifique et mutant vous inscrivant comme la nouvelle maîtresse du cinéma de genre ? En 2021, Julia Ducournau, 38 ans, déjà remarquée avec Grave en 2017, devient la deuxième femme, après Jane Campion, à décrocher une Palme d'or avec Titane au Festival de Cannes. Quatre ans plus tard, c'est à nouveau sur la Croisette qu'elle a présenté son Alpha aussi mystérieux qu'attendu. Du film, on savait tout juste qu'il mettait en scène Golshifteh Farahani et Tahar Rahim, émacié à faire peur après avoir perdu 22 kilos pour son rôle. À Cannes, on a découvert l'histoire d'Alpha, adolescente grincheuse et tourmentée (Melissa Boros), qui doit grandir entre une mère ultraprotectrice et un oncle junkie dans un monde où un virus transforme les malades en statues de marbre. Lyrique et ambitieux, confus et agaçant pour certains, moins «gore» que Grave ou Titane, Alpha exprime ouvertement, au gré de moments intimes (un repas de l'ado avec ses tantes algériennes, directement inspiré des souvenirs de famille Julia Ducournau) et de bangers connus de tous (du Let It Happen de Tame Impala à l'ultradramatique 2e mouvement de la 7e symphonie de Beethoven), des sentiments, tendresse et rédemption, que l'on ne faisait, jusqu'ici, que deviner dans les films de la réalisatrice. Qui s'est autorisée à toucher son public avec un frisson d'amour plus que d'horreur.
Madame Figaro.- Quelle a été la première idée, l'étincelle qui a donné naissance à Alpha ?
Julia Ducournau.- Il n'y a pas vraiment d'étincelle. C'est un sujet que j'avais en tête depuis très longtemps, mais que j'ai repoussé indéfiniment : j'imaginais qu'il fallait que je sois beaucoup plus vieille, plus mature, plus expérimentée pour le faire. À plein d'égards, c'était un film qui me mettait dans l'inconfort. Après Titane, j'ai commencé à développer un autre film, mais j'ai réalisé, en l'écrivant, que je me répétais, que j'étais dans une zone de confort. Ce qui est dit est dit, ce qui est fait n'est plus à faire et surtout, je pense que le confort est créativement stérile : j'ai donc tout mis à la poubelle. D'une certaine manière j'ai l'impression que de film en film, ce que je recherche est d'aller de plus en plus vers l'émotion, de m'exposer, de donner beaucoup plus de moi en retirant les couches. Cela ne veut pas dire que je m'éloigne du cinéma de genre puisque je fonctionne de manière très visuelle, par images, ma tête est faite comme ça. Mais laquelle est venue en premier pour Alpha ? Je ne peux vraiment pas le dire. En tout cas, j'avais en ligne de mire ce mouvement d'émotion final, un endroit où la catharsis ne se ferait pas par une réaction organique ou horrifique, mais par le trajet de mes personnages et leurs rapports entre eux.
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Alpha aborde de nombreux thèmes : la transmission, le trauma, la maladie, l'adolescence... Pourtant vous parlez d'un «sujet» au singulier. Duquel s'agit-il ?
Du rapport à la figure maternelle. Sur Grave et Titane, j'ai abordé l'émancipation du regard paternel. Mais quand il s'agit de s'émanciper de la figure maternelle, on parle de l'amputation d'une partie de soi, de la symbiose originelle, mais aussi de la fusion qui s'est poursuivie une fois qu'on est né. Autant on peut «tuer le père», mais on ne peut pas «tuer la mère» sans tuer aussi une partie de soi . Il faut donc se réinventer totalement. Qu'advient-il d'Alpha à la fin du film, de son mouvement d'émancipation ? Mes films se ferment toujours d'une manière à ce que le destin de mon personnage s'ouvre à ce moment-là.
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La maternité, et ce qui se transmet à travers elle, est un motif que l'on retrouve dans vos trois films… Avez-vous le sentiment d'avancer sur le sujet, où d'y revenir sans cesse ?
Les deux. L'idée de reproduire les mêmes recettes est complètement stérile pour moi. Je pense qu'il faut creuser, mais dans des endroits inconnus. C'est là que c'est difficile : il faut aller plus loin dans le fait de se dévoiler, au monde mais d'abord à soi. Évidemment, il y a quelque chose d'infiniment psychanalytique dans le fait de faire des films, de la peinture ou quoi que ce soit. Je cite toujours cette phrase d'un réalisateur : «faire des films, c'est regarder le même diamant à chaque fois à travers une facette différente».
Tahar Rahim, Julia Ducournau et Melissa Boros au Festival de Cannes 2025. (Cannes, le 20 mai 2025)
Stephane Cardinale - Corbis / Corbis via Getty Images
Vous avez déclaré, dans une interview, avoir encore un pied dans l'adolescence. Comment cela se traduit-il ?
L'adolescence, pour moi, est un endroit de non-définition, de transition, et je me sens en transition perpétuelle. Si je devais me définir, je suis quelque part entre un enfant de 5 ans et une dame de 86 ans. Je suis un mix des 2, ce qui doit correspondre, quand on fait la moyenne, à quelque chose autour de 13, 14 ans. Je crois qu'on est en mutation permanente, que l'on continue à décider chaque jour de qui l'on est. Cette idée d'un espace transitionnel me paraît être un terreau hyperintéressant pour les personnages, dans la mesure où dans tous mes films, ils partent d'un point A qui va se transformer totalement pour arriver, non pas à un point B, mais à l'infini, à une étendue de possibilités. À la liberté, tout simplement.
Le film évoque l'épidémie du Sida, mais aussi la crise climatique, le harcèlement… Que dit-il de ce que l'on s'apprête à laisser aux générations futures ?
À mon sens, tant que les traumas ou les situations de crises ne font pas l'objet d'une réparation, d'un deuil, on ne peut que les transmettre. Tant que la souffrance n'est pas nommée, vécue et acceptée, cela provoquera un effet domino qui ne s'arrêtera jamais. Il fallait donc que je confronte mes personnages, ainsi que moi-même à la parole. Ce qui n'était pas le cas sur mes autres films, par pudeur : j'ai toujours peur que les mots soient trop explicatifs, qu'ils viennent atténuer une émotion. Dans Titane, quand les personnages se disent «Je t'aime», ce sont des phrases que j'ai enlevées, remises, enlevées, remises… C'est un tel poncif, si difficile à utiliser, mais j'ai compris que prononcer ces mots participait à l'héroïsme de mes personnages. Dans Alpha, c'est un peu pareil : à la fin, quand la petite dit à sa mère «c'est bon, c'est passé, tu as tout bien fait», c'est difficile, mais je pense qu'on rêverait tous de pouvoir le dire sa mère.
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Votre mère a-t-elle vu le film ?
Ma mère lit tous mes scénarios, elle voit mes films avant tout le monde. Je l'implique énormément parce que je ne veux pas qu'il y ait de malentendu, ni de sentiment d'agression par rapport aux émotions, aux souvenirs que je convoque. Alpha est un film très personnel à plein d'égards, mais qui s'est fait dans le respect de chacun, tant envers ma famille que les acteurs. Je demande énormément à ces derniers : leurs blessures, leur passé... Je souhaite que l'on communie autour de nos souffrances communes. Je veux qu'il n'y ait de mauvaises surprises pour personne mais qu'on soit tous dans la même catharsis. Et qu'au fond, on accouche de nous-mêmes.
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