
«Humainement, c'est extraordinaire» : ces Français ont décidé d'investir dans le vignoble bordelais pour le préserver
Quand elle a entendu parler de Terra Hominis (en latin, la Terre des Hommes, NDLR) pour la première fois, Caroline Comin a d'abord eu peur. La vigneronne, qui exploite avec son époux les 40 hectares du château Jaron à Landerrouat (Gironde), ne voyait pas en quoi vendre quelques hectares de vignes à plus d'une centaine d'associés lui rendrait service. «Ma crainte, c'était que ce projet de vignoble en copropriété m'oblige à m'adapter aux associés, qu'ils veuillent changer mes vins ou mes étiquettes», se remémore-t-elle. Quelle fut donc sa surprise en découvrant que la société à mission fondée par Ludovic Aventin prône l'exact inverse.
Son idée ? Proposer à des particuliers triés sur le volet et validés par le vigneron concerné d'acheter des parts de parcelles de vignes moyennant un investissement entre 1600 et 3000 euros. Les terres alors acquises sont confiées en fermage au vigneron, qui les exploite via un groupement foncier viticole - dont il demeure le plus souvent le propriétaire majoritaire. En échange de ces liquidités, le viticulteur rétrocède à ses partenaires des bouteilles de vin en fonction de la récolte. «Ce n'est pas un investissement financier, c'est un soutien de passionnés de vin à des vignerons afin que cet héritage se transmette à leur enfant et qu'eux aussi fassent la fête pour les vendanges le temps venu. Vous avez trois enfants, prenez trois ou six parts», explique Ludovic Aventin.
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Construire en dépit des banques
Rassurés par ce discours, Caroline et Philippe Comin ont d'abord vendu 4,5 hectares aux associés de Terra Hominis pour bâtir une extension de leur chai que les banques refusaient de financer. L'enveloppe leur a également permis d'acheter 18 amphores et de doubler leur capacité de production. Puis en juin 2024, à l'heure où le vignoble bordelais en crise arrachait ses vignes, le couple a préservé ses vignes centenaires en vendant 4,5 hectares supplémentaires. Le recrutement de ces nouveaux associés leur a permis de financer la plantation de nouveaux cépages.
«C'est intéressant financièrement [pour le vigneron, NDLR], mais la vraie richesse est humaine. Enfin ! Nous ne sommes plus tous seuls. Nos associés nous soutiennent parce qu'ils nous ont choisis pour le projet que nous leur avons proposé», analyse Caroline Comin. Philippe Delaunay, l'un de ses associés qui réside à Noirmoutier, abonde avec fierté : «Il s'agit d'aider des vignerons à conserver leur domaine sans emprunt bancaire. Financièrement, on n'y gagne rien sauf des bouteilles ; mais j'ai découvert le bon sens des vignerons, l'importance du savoir faire et du terroir.»
Cadre dans une grande entreprise aéronautique, Audrey Bernard, 45 ans, a investi dans quatre vignobles bordelais depuis 2019. Aux yeux de cette passionnée de la gastronomie française et des accords mets / vins, il s'agit d'un devoir : «C'est un acte citoyen et un plaisir, une façon saine et simple de prendre notre part. Nous sommes tous concernés car le vin fait partie du patrimoine français.» Cette mère de famille a été plusieurs fois révoltée par des générations de vignerons forcés de vendre leurs terres pour une bouchée de pain face à un acheteur, souvent étranger. Alors c'est aussi pour son fils de douze ans qu'elle agit. «Je l'embarque avec moi à la fête du vignoble, il est fou de joie à l'idée de savoir que mes parts seront à lui un jour. Investir chez Terra Hominis, c'est œuvrer à la transmission entre les générations.»
Ambassadeurs
Pour les vignerons qui embarquent dans l'aventure, les assemblées générales sont devenues l'occasion de dégustation, de fête et de faire bonne chère. Quant aux bouteilles rétrocédées, il s'agit peut-être de leurs meilleurs investissements tant leurs associés en sont fiers. «Nos vignerons deviennent des amis. On peut aller chez eux pour faire les vendanges et on devient les ambassadeurs de leur production», se félicite Pierre Sarrat. Ce septuagénaire, président de l'antenne du Secours populaire de Colomiers où il réside, a acheté des parts dans trois domaines viticoles français, dont un Bordelais. Une pour chacun de ses fils. «Chaque associé a le numéro de portable de son vigneron et quand, par abus de langage, l'associé commence à dire que c'est son vin en le posant sur sa table familiale... C'est gagné», complète Ludovic Aventin, le fondateur de Terra Hominis.
Des témoignages que Marion Reculet, la viticultrice du château Complat à Saint-Mariens confirme. «Terra Hominis m'a permis de trouver un réseau, dont j'avais besoin, auprès de passionnés de vin qui sont autant des ambassadeurs que des clients. Ils connaissent tous un caviste ou un restaurateur et ils sont plus crédibles que moi quand ils disent que mon vin est bon», explique-t-elle. Vigneronne pour la 2e génération, elle a reçu le soutien de son père lorsqu'elle a décidé de vendre 4 hectares. «Je pense que rare sont ceux qui mesurent l'ampleur de la crise qui frappe la viticulture française. Mais un viticulteur reste un terrien, c'est difficile de vendre les vignes que l'on exploite», précise-t-elle. Malgré le véritable coup de pouce qu'est pour elle Terra Hominis, elle n'envisage donc pas de vendre d'autres parties de son domaine.
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Quant aux associés, à en croire ceux qui se sont pressés pour partager leurs valeurs au Figaro, le ticket d'entrée est largement rentabilisé. «Humainement, c'est extraordinaire. Ce que l'on reçoit n'est pas monétisable, mais cela a un prix inestimable, insiste Jean-Marc Jay, autrefois banquier. Chez Terra Hominis, la préservation des valeurs humaines est encore plus précieuse que la contribution en vin qui nous est versé.» Quatorze ans après sa fondation officielle en 2011, la première société à mission du secteur viticole rassemble ainsi 3600 associés et amoureux du vignoble français.
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