logo
Le surtourisme, évoqué « à tort et à travers », peut cacher du « mépris de classe »

Le surtourisme, évoqué « à tort et à travers », peut cacher du « mépris de classe »

TOURISME - Vacanciers « entassés » sur la côte espagnole, « embouteillage » au sommet de l'Everest et foule de touristes dans les rues du Mont-Saint-Michel : les cas de « surtourisme » épinglés dans les médias ou sur les réseaux sociaux ne manquent pas. La surfréquentation touristique est fréquemment dénoncée pour son impact sur l'environnement, sur les populations locales, mais aussi sur la qualité du séjour. Mais le terme « surtourisme » est-il toujours employé à bon escient ?
Non, estime Rémy Knafou, géographe spécialiste du tourisme interrogé par Le HuffPost. Auteur d'une note pour la Fondation Jean-Jaurès sur la « surmédiatisation du surtourisme », il ne nie pas l'impact indéniable de la surfréquentation sur certains espaces, notamment quand l'affluence empêche leur préservation ou quand l'acceptabilité du tourisme par les locaux est remise en question, par exemple dans des villes comme Barcelone ou Amsterdam.
Pour autant, le professeur émérite à l'université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) souligne l'usage peu scrupuleux qui est parfois fait du terme « surtourisme », pointant même une forme de mépris de classe et une instrumentalisation à des fins économiques.
Rémy Knafou : Le surtourisme peut avoir des effets négatifs quand il est caractérisé, mais le terme est souvent utilisé à tort et à travers. À l'origine, c'est un article scientifique de 2008 qui a parlé d' « overtourism », mais le mot est resté dans l'ombre jusqu'à sa diffusion en 2016 par Skift, une plateforme américaine sur le voyage. Depuis, il est très médiatisé, avec parfois beaucoup d'exagération dans l'usage qui en est fait.
Premièrement parce qu'il est difficile de quantifier l'excès de tourisme et de savoir précisément à partir de quel seuil il y a trop de monde. Ensuite parce qu'il faut se poser la question du type de lieu. Une station touristique créée par et pour le tourisme est par définition faite pour être remplie à 100 %, et c'est ce type de structure qui accueille le plus de visiteurs. En Méditerranée ou en Floride, par exemple, l'urbanisation de la côte avec de grandes tours a été pensée pour répondre aux besoins de vacances.
Parler de surtourisme pour ces lieux très fréquentés n'a pas de sens, quel que soit le jugement de valeur qu'on porte sur eux. Ces aménagements touristiques peuvent avoir un impact environnemental très fort, mais le concept de surtourisme n'est pas le plus adapté pour les décrire. Dans la littérature scientifique, on retrouve trois critères permettant de caractériser les situations où le nombre de touristes est jugé excessif.
On peut parler de surtourisme quand la préservation du lieu d'accueil en lui-même est mise en danger, lorsque l'affluence nuit à la qualité de la visite ou encore quand l'acceptabilité du tourisme par les populations locales est remise en cause. Je crois de moins en moins au second critère et je considère le dernier comme l'enjeu vraiment crucial, on le voit bien dans des villes très attractives comme Barcelone.
Vous évoquez un « jugement de valeur » porté sur certains lieux touristiques. Que voulez-vous dire ?
La dénonciation complaisante du surtourisme par un certain nombre d'acteurs touristiques s'inscrit dans un registre du mépris de classe. On pointe du doigt les vacances populaires, souvent à la mer, avec des gens qui « s'entassent » dans des lieux qui sont en réalité pensés pour les accueillir. Il y a encore 40 ans, des chercheurs s'étonnaient même que des touristes quittent la densité de la ville pour aller dans d'autres lieux urbains ultra-fréquentés.
Pourtant, ça a toujours été le mouvement dominant, avec des lieux touristiques urbains pensés par et pour des urbains. Je ne dis pas que les touristes qui cherchent des lieux dans la nature ou isolés n'existent pas, mais la majorité ne fait pas ce choix, et pour cause : elle cherche des lieux avec une bonne capacité d'accueil et des prix compétitifs. La plupart des touristes sont même à la recherche de densité sociale et de lieux où ils sont sûrs de rencontrer d'autres personnes pas toujours issues de la population locale.
Vous expliquez aussi que le discours sur les excès du tourisme peut servir des intérêts commerciaux. Comment ?
Certains acteurs touristiques s'appuient sur l'écho médiatique du surtourisme et déploient des trésors de marketing pour toucher des clientèles à hauts revenus en leur vendant une offre qui se détache du gros de la troupe. Ces voyages coûteux « hors des sentiers battus » tendent à promouvoir des destinations de plus en plus éloignées avec des conséquences sur l'environnement mondial.
Il peut aussi y avoir un étalement des flux touristiques dans l'espace pour trouver de nouveaux endroits moins fréquentés. Si on parle de la France, déjà équipée en routes, en voies ferrées et en infrastructures, cet étalement peut se faire sans dommage excessif apporté à la biodiversité. Mais si on parle d'espaces moins aménagés, où il faut construire des hébergements, des routes et des aérodromes, les conséquences sont plus lourdes.
La crainte du surtourisme alimente-t-elle une touristophobie chez les vacanciers eux-mêmes ?
La tourismophobie est vieille comme le tourisme. Dès le début du XIXe siècle, certains touristes en montraient déjà des signes : on a des témoignages où ils se plaignent que leurs congénères soient trop nombreux. Il a notamment un texte de Victor Hugo daté de 1843 et que j'aime beaucoup où il disait déjà que Biarritz évoluait mal à cause du nombre excessif de touristes, avertissant que bientôt Biarritz ne serait plus Biarritz.
Évidemment, la fréquentation touristique sur place a continué d'augmenter et ceux qui viennent aujourd'hui n'ont aucune idée de ce qu'était la ville telle que Victor Hugo l'a connue. Plus généralement, la nostalgie du « c'était mieux avant » ne concerne qu'une minorité de personnes qui ont l'histoire longue du lieu touristique en tête et vivent la hausse de la fréquentation comme une forme de surtourisme.
Ce discours est souvent celui d'une classe privilégiée et d'une partie dominante de la population qui ne tolère pas l'évolution contemporaine des lieux touristiques et a du mal à accepter de les partager avec d'autres, plus nombreux et issus de catégories sociales plus populaires.
Orange background

Essayez nos fonctionnalités IA

Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :

Commentaires

Aucun commentaire pour le moment...

Articles connexes

Turquie: la sécheresse prive les habitants d'eau, mais pas les touristes
Turquie: la sécheresse prive les habitants d'eau, mais pas les touristes

Le Figaro

time9 hours ago

  • Le Figaro

Turquie: la sécheresse prive les habitants d'eau, mais pas les touristes

En pleine saison touristique, Izmir multiplie les coupures d'eau pour ses habitants. Une mesure jugée inéquitable, alors que les hôtels continuent de fonctionner à plein régime. Destination appréciée des Français, la région d'Izmir, en Turquie, affronte une sécheresse inédite qui pousse les habitants à creuser toujours plus profondément pour puiser de l'eau. «Nos parents puisaient à 8-9 mètres de profondeur, désormais il faut aller à 170 mètres», affirme à l'AFP Ali Alyanak, 39 ans, maire du village de Germiyan où les habitants tirent tous leur eau des nappes phréatiques. Dans cette région du littoral égéen, autrefois fertile, la sécheresse a pris une tournure dramatique. Le barrage qui alimentait autrefois la station balnéaire voisine de Çesme affiche un niveau d'eau à peine croyable : 3%. Une grave sécheresse qui a poussé la municipalité de la station balnéaire, dont la population explose en été, à priver ses habitants d'eau potable dix heures par jour. Izmir, troisième plus grande ville du pays, suit avec six heures de restrictions quotidiennes. «Eau 24h/24» Non loin sur la côte, les piscines des centaines d'hôtels débordent, une consommation sans retenue qui choque de plus en plus : «Les hôtels sont le principal problème: l'eau des piscines s'évapore, les serviettes sont lavées tous les jours et les gens prennent trois à cinq douches par jour, dès qu'ils se baignent ou reviennent de l'extérieur. C'est du gaspillage», peste Ali Alyanak, qui recueille, lui, chaque goutte de pluie. Publicité À la tête d'un établissement de luxe de 253 chambres avec vue imprenable sur les eaux turquoise de la mer Égée, Orhan Belge s'agace du battage médiatique autour du sujet. «Les grands hôtels 4 ou 5 étoiles comme le nôtre avons des réservoirs d'eau de 200 à 250 tonnes. Nous avons de l'eau 24h/24», assure l'homme, également président de l'Union des hôteliers de la ville. Pour lui, la solution passe notamment par le dessalement de l'eau de mer, un processus coûteux et énergivore déjà utilisé par certains hôtels de la région. L'abondance dont bénéficient les gros hébergeurs contraste avec la réalité des petits hôtels et des locaux. Le responsable d'un petit hôtel de la ville confie que «le manque d'eau est un vrai problème» mais s'inquiète surtout de l'effet des restrictions d'eau sur la fréquentation touristique. «L'été dernier aux mêmes dates nous étions complets. Et nous l'étions encore il y a deux semaines. Là, l'hôtel est à 80% vide et nous n'avons pas de réservations pour août», confie-t-il. Et pour les habitants comme Sabiha Yurtsever, retraitée de 80 ans, qui passe ses étés à Çesme depuis 25 ans, le constat est amer. «Quand les forêts brûlent, ils construisent des hôtels au lieu de replanter», affirme l'octogénaire. Or, poursuit-elle, «moins vous avez d'arbres, moins vous aurez de pluie». Des prières pour la pluie Le déficit de précipitations depuis l'automne est le grand responsable de la crise actuelle. La semaine passée, des prières pour faire venir la pluie ont résonné dans les haut-parleurs des 90.000 mosquées du pays. Mais au-delà du climat, c'est bien la gestion des ressources et l'impact du tourisme qui alertent les experts. «Les pertes en eau doivent être réduites autant que possible, en particulier dans le secteur du tourisme», exhorte Selma Akdogan, de la Chambre des ingénieurs en environnement d'Izmir, qui affirme qu'un touriste consomme en moyenne «deux à trois fois» plus d'eau qu'un habitant. «Les niveaux d'eau diminuent en été mais aussi en hiver», pointe l'experte qui note que «les précipitations sont moins régulières mais plus intenses, rendant plus difficile l'absorption des pluies par les sols». Face aux sécheresses répétées, l'ingénieure appelle collectivités et particuliers à abandonner les pelouses au profit de sols moins gourmands en eau et suggère que les hôtels remplissent leurs piscines d'eau de mer. D'autres experts réclament une tarification différenciée de l'eau afin de contraindre les hôtels à la sobriété. Une crise globale Ce déséquilibre ne concerne pas uniquement la Turquie. Le problème se pose dans d'autres pays du pourtour méditerranéen, qui concentrent 30% du tourisme mondial et connaîtront selon les climatologues une chute des précipitations au cours des prochaines décennies. Selon un rapport des Nations Unies, 88% du territoire turc est menacé de désertification.

Ryanair: une importante grève menace vos vols vers l'Espagne à partir du 15 août
Ryanair: une importante grève menace vos vols vers l'Espagne à partir du 15 août

Le Figaro

timea day ago

  • Le Figaro

Ryanair: une importante grève menace vos vols vers l'Espagne à partir du 15 août

Un mouvement social d'ampleur chez Azul Handling, filiale de Ryanair, risque de provoquer retards et annulation dans 12 aéroports espagnols. Si vous avez prévu de voyager avec Ryanair en Espagne cet été, prudence : un mouvement de grève pourrait sérieusement perturber vos plans. Le syndicat UGT (Union générale des travailleurs) a annoncé qu'il mobilisera l'ensemble des bases de la compagnie dans le pays à partir du 15 août. Douze aéroports sont concernés, dont Barcelone-El Prat et Gérone, très fréquentés par les voyageurs français. En cause : les conditions de travail au sein d'Azul Handling, filiale de Ryanair dédiée à l'assistance au sol. L'UGT dénonce «la précarité et les abus de l'entreprise envers ses employés», pointant «les sanctions infligées par Azul Handling aux travailleurs qui refusent de travailler des heures supplémentaires sans travail ni salaire. Ces sanctions peuvent aller jusqu'à 36 jours de suspension, ce qu'elle juge disproportionné», rapporte le site d'information espagnol Publicité Retards, annulations La grève se déroulera en deux phases. D'abord, trois jours de débrayages du 15 au 17 août, selon des créneaux précis : 5 h-9 h, 12 h-15 h et 21 h-23 h 59. Ensuite, si les négociations échouent, le mouvement sera reconduit tous les mercredis, vendredis, samedis et dimanches, et ce, jusqu'au 31 décembre 2025. Le mouvement social pourrait donc se prolonger sur six mois. Outre Barcelone et Gérone, les aéroports de Madrid, Valence, Séville, Malaga, Ibiza, Palma de Majorque, Tenerife Sud, Santiago, Lanzarote et Alicante sont concernés. Des milliers de vols pourraient ainsi être concernés par des retards et des annulations. Les passagers ayant réservé un vol sont invités à vérifier le statut de leur trajet sur le site ou l'application de la compagnie. Ryanair doit prévenir par SMS ou e-mail en cas de modification. Pour l'heure, l'UGT prévient : sans amélioration rapide des conditions de travail, la grève pourrait durer jusqu'aux fêtes de fin d'année.

Baisse du PIB, moins de rendements agricoles... Quand les pénuries d'eau en Europe menacent l'ensemble de l'économie
Baisse du PIB, moins de rendements agricoles... Quand les pénuries d'eau en Europe menacent l'ensemble de l'économie

Le Figaro

time2 days ago

  • Le Figaro

Baisse du PIB, moins de rendements agricoles... Quand les pénuries d'eau en Europe menacent l'ensemble de l'économie

Réservé aux abonnés DÉCRYPTAGE - L'agriculture, secteur qui puise les deux tiers de la ressource, est bien sûr très vulnérable. Mais la sécheresse et la surconsommation menacent l'industrie et l'énergie et même le secteur financier, s'inquiète la BCE. À Busturialdea, la vie a changé. Le Pays basque espagnol a beau être une région plutôt arrosée, l'eau manque souvent dans cet arrondissement. L'eau potable n'arrive parfois qu'en camions-citernes, où les habitants viennent remplir leurs bidons, les piscines restent vides et les jardins potagers désespérément secs. Les pluies sont insuffisantes, les sources s'épuisent et les réseaux vieillissants ou insuffisants ne permettent pas aux petites communes de s'approvisionner plus loin, dans les localités plus grandes et mieux équipées. Partout en Europe, entre les canicules et la hausse de la consommation d'eau, le stress hydrique augmente. En juin, plus de 40 % du territoire européen connaissait une forme ou une autre de sécheresse, à Chypre, en Espagne, mais aussi dans le nord de l'Europe. L'Angleterre a « connu son printemps le plus sec depuis plus de cent ans », a indiqué l'agence météorologique Met Office. En Grèce, certaines régions n'ont pas connu de précipitations pendant des mois et le…

TÉLÉCHARGER L'APPLICATION

Commencez dès maintenant : Téléchargez l'application

Prêt à plonger dans un monde de contenu mondial aux saveurs locales? Téléchargez l'application Daily8 dès aujourd'hui sur votre app store préféré et commencez à explorer.
app-storeplay-store