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« Je suis resté calme » : Jasper Philipsen, la force tranquille, Maillot Jaune du Tour après un début de saison moins clinquant
Le Belge Jasper Philipsen, vainqueur samedi à Lille et premier Maillot Jaune du Tour, ne laisse rien au hasard pour atteindre ses objectifs. Celui-ci était inscrit depuis longtemps, quitte à s'asseoir sur un début de saison moins réussi qu'espéré.
Il suffit de suivre le parcours de Jasper Philipsen depuis ses tout débuts pour comprendre le personnage. Né à Mol (Belgique) comme Tom Boonen, son idole qu'il a accompagnée à l'entraînement quelques fois lorsqu'il était jeune, il a ensuite connu la formation de son métier sous les ordres d'Axel Merckx dans l'équipe américaine Hagens Berman Axeon avant de rejoindre l'UAE, quasiment au même moment de l'éclosion de Tadej Pogacar, et donc de réaliser qu'il ne serait jamais une priorité dans cette structure des Émirats.
Mauro Gianetti, le manager du Slovène, n'avait jamais vraiment essayé de le garder, prétextant que son sprinteur belge « cherchait une équipe plus modeste que la nôtre » alors qu'en fait, c'est surtout d'un espace vital qu'il avait le plus besoin. Son arrivée en 2021 auprès des frères Roodhooft chez Alpecin qui n'était pas encore en World Tour correspondait plus à son tempérament. « Je voulais avoir ma place et être reconnu comme un enfant de la famille », expliqua-t-il un jour pour justifier ce choix étrange de préférer les risques d'une petite structure plutôt que d'être un équipier avec un salaire (presque) de leader chez UAE.
Le déroulement du final samedi et surtout la démonstration de puissance des équipiers de Mathieu Van der Poel au service de Philipsen (27 ans) dans les rues de Lille (ils étaient quatre autour de lui) pourraient servir de leçon aux sceptiques de cette époque pas si lointaine. « Ce qui s'est passé dans le dernier kilomètre aujourd'hui (samedi) est une expérience inouïe à vivre, avoua-t-il après l'arrivée. Vivre une victoire personnelle comme celle d'une équipe est très rare, je ne l'oublierai jamais. » Pour ça, il avait fallu aussi qu'il se blinde une personnalité auprès de Philip et Christoph Roodhooft qui avaient initialement monté leur équipe au service de leur leader de toujours Van der Poel qu'ils accompagnaient depuis déjà ses jeunes années en cyclo-cross.
Il y avait surtout déjà un sprinteur dans l'équipe belge, un certain Tim Merlier récupéré presque par hasard en 2019 alors qu'il venait du cyclo-cross et qu'il brillait sur certaines kermesses flamandes. Les deux hommes aux caractères tellement différents, Merlier l'introverti et Philipsen l'expressif, d'abord complémentaires sont devenus rivaux. Le premier s'est vite retrouvé isolé alors que le second avait déjà noué des liens très forts avec l'omnipotent Van der Poel.
Merlier fut ainsi prié d'oublier ses ambitions au sprint dès le lendemain de sa victoire au début du Tour de France 2021 à Pontivy (Morbihan), alors qu'il venait de battre ce même Philipsen. Si l'équipe tenta de noyer le poisson et de faire bonne figure devant les médias, la guerre entre les deux sprinteurs maison était déclarée et allait vite tourner à l'avantage de Philipsen qui avait obtenu de sa direction que Merlier se mette à son service. Seul aux commandes l'année suivante en 2022, il pouvait commencer sa vendange de victoires sur le Tour de France avec deux premiers succès dont le plus beau sur les Champs-Élysées royaume des sprinteurs.
Il s'est alors inspiré de Wout Van Aert pour travailler son physique et sortir de l'ordinaire du pur sprinteur. Il a compensé son manque de puissance à l'époque par un sens du placement et une confiance totale en ses équipiers lors des sprints, dont Van der Poel qui a pris l'habitude ces dernières années de se muer en poisson-pilote pour son pote après avoir dominé la saison des classiques. Le Néerlandais s'était même assis sur ses ambitions dans le final de Milan-San Remo l'an passé, replaçant son sprinteur avant la Via Roma. En retour le Belge lui avait rendu la monnaie sur Paris-Roubaix trois semaines plus tard, « parce que notre esprit d'équipe est au-dessus de tout, avait-il alors expliqué, Mathieu m'a aidé à gagner à San Remo, c'est normal que j'en fasse de même à Roubaix. »
« Si je n'ai pas été performant autant que je l'aurais souhaité depuis le début de la saison, je savais que ça n'aurait aucune influence sur le Tour. On a beaucoup travaillé sur ces premières étapes car on savait que ça serait très nerveux. »
Jasper Philipsen, vainqueur la première étape
Voilà donc comment l'équipe Alpecin-Deceuninck fonctionne en agençant ses pions avec une harmonie exemplaire. Si certains se demandaient encore avant le départ de ce Tour de France ce que venait faire dans l'édifice Philipsen-Van der Poel, l'Australien Kaden Groves néophyte sur la Grande Boucle, lui-même sprinteur mais confiné à briller seulement sur la Vuelta et sur le Giro (7 et 2 victoires depuis 2022), la réponse est tombée dès le premier jour. Lui aussi s'est fondu dans ce train intraitable des Alpecin mettant à mal les idées reçues sur l'égoïsme soi-disant exacerbé des purs sprinteurs.
« Savoir qu'on fait partie d'un groupe pareil est reposant pour l'esprit », expliquait samedi Philipsen alors qu'on l'avait imaginé en manque de confiance avec seulement deux victoires cette saison, deux fois moins que les autres années avant le départ du Tour. « Je suis resté calme tout ce temps car on a appris à faire les choses sans se prendre la tête. Si je n'ai pas été performant autant que je l'aurais souhaité depuis le début de la saison, je savais que ça n'aurait aucune influence sur le Tour. On a beaucoup travaillé sur ces premières étapes car on savait que ça serait très nerveux. »
Il ne faut pas beaucoup d'explications au Belge pour assimiler toutes ces données, car derrière l'instinct agressif du sprinteur se cache un personnage ultrasensible attaché à son environnement, sa principale source de confiance. Avec le jaune sur le dos dimanche au départ de Lauwin-Planque, c'est toute son histoire avec le Tour de France qui s'en trouve bouleversée, « une dixième victoire c'est magnifique mais avec ce maillot en plus, c'est un rêve que je n'osais pas faire. »
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