« Je suis resté calme » : Jasper Philipsen, la force tranquille, Maillot Jaune du Tour après un début de saison moins clinquant
Il suffit de suivre le parcours de Jasper Philipsen depuis ses tout débuts pour comprendre le personnage. Né à Mol (Belgique) comme Tom Boonen, son idole qu'il a accompagnée à l'entraînement quelques fois lorsqu'il était jeune, il a ensuite connu la formation de son métier sous les ordres d'Axel Merckx dans l'équipe américaine Hagens Berman Axeon avant de rejoindre l'UAE, quasiment au même moment de l'éclosion de Tadej Pogacar, et donc de réaliser qu'il ne serait jamais une priorité dans cette structure des Émirats.
Mauro Gianetti, le manager du Slovène, n'avait jamais vraiment essayé de le garder, prétextant que son sprinteur belge « cherchait une équipe plus modeste que la nôtre » alors qu'en fait, c'est surtout d'un espace vital qu'il avait le plus besoin. Son arrivée en 2021 auprès des frères Roodhooft chez Alpecin qui n'était pas encore en World Tour correspondait plus à son tempérament. « Je voulais avoir ma place et être reconnu comme un enfant de la famille », expliqua-t-il un jour pour justifier ce choix étrange de préférer les risques d'une petite structure plutôt que d'être un équipier avec un salaire (presque) de leader chez UAE.
Le déroulement du final samedi et surtout la démonstration de puissance des équipiers de Mathieu Van der Poel au service de Philipsen (27 ans) dans les rues de Lille (ils étaient quatre autour de lui) pourraient servir de leçon aux sceptiques de cette époque pas si lointaine. « Ce qui s'est passé dans le dernier kilomètre aujourd'hui (samedi) est une expérience inouïe à vivre, avoua-t-il après l'arrivée. Vivre une victoire personnelle comme celle d'une équipe est très rare, je ne l'oublierai jamais. » Pour ça, il avait fallu aussi qu'il se blinde une personnalité auprès de Philip et Christoph Roodhooft qui avaient initialement monté leur équipe au service de leur leader de toujours Van der Poel qu'ils accompagnaient depuis déjà ses jeunes années en cyclo-cross.
Il y avait surtout déjà un sprinteur dans l'équipe belge, un certain Tim Merlier récupéré presque par hasard en 2019 alors qu'il venait du cyclo-cross et qu'il brillait sur certaines kermesses flamandes. Les deux hommes aux caractères tellement différents, Merlier l'introverti et Philipsen l'expressif, d'abord complémentaires sont devenus rivaux. Le premier s'est vite retrouvé isolé alors que le second avait déjà noué des liens très forts avec l'omnipotent Van der Poel.
Merlier fut ainsi prié d'oublier ses ambitions au sprint dès le lendemain de sa victoire au début du Tour de France 2021 à Pontivy (Morbihan), alors qu'il venait de battre ce même Philipsen. Si l'équipe tenta de noyer le poisson et de faire bonne figure devant les médias, la guerre entre les deux sprinteurs maison était déclarée et allait vite tourner à l'avantage de Philipsen qui avait obtenu de sa direction que Merlier se mette à son service. Seul aux commandes l'année suivante en 2022, il pouvait commencer sa vendange de victoires sur le Tour de France avec deux premiers succès dont le plus beau sur les Champs-Élysées royaume des sprinteurs.
Il s'est alors inspiré de Wout Van Aert pour travailler son physique et sortir de l'ordinaire du pur sprinteur. Il a compensé son manque de puissance à l'époque par un sens du placement et une confiance totale en ses équipiers lors des sprints, dont Van der Poel qui a pris l'habitude ces dernières années de se muer en poisson-pilote pour son pote après avoir dominé la saison des classiques. Le Néerlandais s'était même assis sur ses ambitions dans le final de Milan-San Remo l'an passé, replaçant son sprinteur avant la Via Roma. En retour le Belge lui avait rendu la monnaie sur Paris-Roubaix trois semaines plus tard, « parce que notre esprit d'équipe est au-dessus de tout, avait-il alors expliqué, Mathieu m'a aidé à gagner à San Remo, c'est normal que j'en fasse de même à Roubaix. »
« Si je n'ai pas été performant autant que je l'aurais souhaité depuis le début de la saison, je savais que ça n'aurait aucune influence sur le Tour. On a beaucoup travaillé sur ces premières étapes car on savait que ça serait très nerveux. »
Jasper Philipsen, vainqueur la première étape
Voilà donc comment l'équipe Alpecin-Deceuninck fonctionne en agençant ses pions avec une harmonie exemplaire. Si certains se demandaient encore avant le départ de ce Tour de France ce que venait faire dans l'édifice Philipsen-Van der Poel, l'Australien Kaden Groves néophyte sur la Grande Boucle, lui-même sprinteur mais confiné à briller seulement sur la Vuelta et sur le Giro (7 et 2 victoires depuis 2022), la réponse est tombée dès le premier jour. Lui aussi s'est fondu dans ce train intraitable des Alpecin mettant à mal les idées reçues sur l'égoïsme soi-disant exacerbé des purs sprinteurs.
« Savoir qu'on fait partie d'un groupe pareil est reposant pour l'esprit », expliquait samedi Philipsen alors qu'on l'avait imaginé en manque de confiance avec seulement deux victoires cette saison, deux fois moins que les autres années avant le départ du Tour. « Je suis resté calme tout ce temps car on a appris à faire les choses sans se prendre la tête. Si je n'ai pas été performant autant que je l'aurais souhaité depuis le début de la saison, je savais que ça n'aurait aucune influence sur le Tour. On a beaucoup travaillé sur ces premières étapes car on savait que ça serait très nerveux. »
Il ne faut pas beaucoup d'explications au Belge pour assimiler toutes ces données, car derrière l'instinct agressif du sprinteur se cache un personnage ultrasensible attaché à son environnement, sa principale source de confiance. Avec le jaune sur le dos dimanche au départ de Lauwin-Planque, c'est toute son histoire avec le Tour de France qui s'en trouve bouleversée, « une dixième victoire c'est magnifique mais avec ce maillot en plus, c'est un rêve que je n'osais pas faire. »
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Habitué à jouer les équipiers sur le Tour, Van der Poel a retrouvé le jaune et sa juste place
Le plus souvent équipier sur le Tour lors des dernières saisons, et encore samedi pour la victoire inaugurale de Philipsen, le Néerlandais était favori dimanche. Il a brillamment assumé son statut pour remporter une deuxième étape et s'emparer du maillot jaune, quatre ans après. On partage tout chez Alpecin-Deceuninck, les succès et même les animaux. Alors que Mathieu Van der Poel gisait sur le bitume, séché par son sprint victorieux, sa mère Corinne savourait son bonheur devant le bus de l'équipe, en tenant dans ses bras le petit chien de Jasper Philipsen, qui avait vu son maître s'imposer la veille. Deux étapes, deux triomphes, le week-end des Belges est un chef-d'oeuvre collectif qui ravit leur patron, Philip Roodhooft. « La victoire de Jasper a donné un boost supplémentaire à notre esprit d'équipe, elle était plus inattendue que celle de Mathieu, confie le manager, plus habitué que grisé. Ce n'est pas une grande surprise qu'il soit au rendez-vous ici, et le fait qu'il soit toujours capable de conclure est une motivation supplémentaire pour ses partenaires. Il facilite aussi notre travail d'équipe car grâce à lui, chaque coureur sait qu'il faut donner pour recevoir. Si le plus grand donne l'exemple, comme il l'a fait à Lille, les autres veulent aussi montrer qu'ils peuvent apporter quelque chose. » Van der Poel est ce drôle de champion capable de jouer les équipiers sans le moindre état d'âme, et il s'agissait même de son rôle principal lors des dernières éditions du Tour. Il était permis de voir son statut de poisson-pilote de Philipsen comme une anomalie, voire un gâchis, mais son père n'est pas de cet avis. « Wout (Van Aert) fait pareil ! Ce sont des coureurs extraordinaires qui veulent que le soleil brille aussi pour les autres, sourit Adrie, qui rappelle que le mois de juillet ne sera jamais l'obsession de la famille Van der Poel. Pour moi comme pour lui, le Tour n'est pas la course la plus importante. Nous, on aime les Classiques. Le Tour est fait pour les grimpeurs. Si tu ne pèses pas 65 kg, tu ne peux pas le gagner. » « Ce parcours me donne des étapes où je peux vraiment exceller, ça fait la différence » Mathieu Van der Poel Les costauds peuvent quand même y passer quelques bons moments, comme en 2021, quand son fils avait fêté sa découverte de l'épreuve en l'emportant à Mûr-de-Bretagne, maillot jaune en prime, qu'il avait gardé six jours avant de quitter la course pour préparer son grand objectif, l'épreuve de VTT des Jeux de Tokyo. Le petit-fils de Raymond Poulidor écrit une autre histoire, moins française, et il a souvent eu mieux à faire après le Tour, avec le Championnat du monde 2023, qu'il a remporté, et les Jeux Olympiques 2024. Il faut dire que le parcours lui donnait peu de motifs de s'y intéresser davantage, ce qui n'est pas le cas cette année. Après s'en être éloigné jusqu'à avouer cet hiver que s'échiner sur trois semaines ne le passionnait pas, il a eu envie de s'en rapprocher en constatant que le parcours 2025 lui donnait beaucoup plus d'occasions de s'exprimer. « C'est logique, non ? C'est un coureur qui veut gagner et c'est complètement différent de regarder le parcours en se disant "merde, aucune étape ne me convient", souffle Adrie. Des étapes comme ce week-end, c'est pour ce spectacle que je veux me mettre devant la télé. » Elles rappellent les rendez-vous pavés du printemps et il n'y a rien de tel pour réveiller la bête, qui a changé son approche pour enfin arracher une deuxième étape, quatre ans après son baptême, une petite éternité à son échelle. « J'ai disputé le Dauphiné cette année et c'était un bon choix, estime le triple vainqueur du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix. On apprend chaque année comment arriver dans la meilleure forme, et on a essayé de reproduire ce qu'on fait avant les Classiques, avec le Dauphiné comme équivalent de Tirreno-Adriatico, et un séjour en altitude ensuite. Mais ce parcours me donne bien sûr des étapes où je peux vraiment exceller, ça fait la différence. » Même en jaune, il amènera le sprint à Philipsen ce lundi Il y avait Boulogne-sur-Mer dimanche, il y aura Rouen mardi, Vire jeudi et Mûr-de-Bretagne vendredi, largement de quoi regarder le Tour d'un autre oeil. Et pourquoi pas tomber amoureux ? Il ne faut pas exagérer. « Cela ne va pas changer énormément ma relation avec le Tour, annonce Van der Poel. J'y ai beaucoup lutté ces dernières années et les circonstances me donnent cette fois une course que je connais. La première semaine correspond à ce que je sais faire, et la journée a ressemblé à une Classique. Il a fallu se battre sans cesse pour se positionner, on maîtrise ça en tant qu'équipe mais il est toujours très difficile de gagner ici. » Quand il évolue à ce niveau, c'est surtout compliqué pour la concurrence et il reste le seul à pouvoir contrôler Tadej Pogacar dans ce type de final, où sa puissance le rend invincible ou presque. Il avait en outre parfaitement préparé son coup et s'est placé en tête au bon moment, avant de porter son accélération au meilleur endroit, dans le dernier virage. C'est ainsi que les favoris assument leur rang, et son maillot jaune ne va pas faire de lui un roi sans devoirs. Ce lundi, il sera encore chargé d'amener le sprint de Philipsen. « Évidemment qu'on peut imaginer le voir faire ce travail en jaune, il faut être fier et heureux que ce soit possible dans notre équipe, apprécie Roodhooft. Il l'a déjà fait il y a quatre ans, pour faire gagner Tim Merlier. » Le Belge est désormais un rival, chez Soudal Quick-Step, et il a des raisons de penser que son Tour serait plus simple s'il pouvait toujours compter sur Van der Poel pour lui déblayer le passage. À lire aussi Van der Poel et le Tour, de chaudes retrouvailles Vauquelin doit s'adapter à son nouveau statut Les puncheurs français ont joué les premiers rôles Evenepoel et Merlier piégés, entame ratée pour la Soudal Quick-Step

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4 hours ago
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Van der Poel et le Tour de France : de chaudes retrouvailles et une idylle qui pourrait se prolonger
Mathieu Van der Poel a renoué avec la victoire et le maillot jaune dans le Tour de France en s'imposant en maîtrise dans le sprint pentu de Boulogne-sur-Mer, où il a résisté à Tadej Pogacar, plutôt sur la défensive par ailleurs. Et avec sa forme et le profil des étapes de la semaine, le Néerlandais n'a peut-être pas fini de briller. Quatre ans qu'il n'avait pas goûté au baiser chaud du Tour de France, à son étourdissement, quatre ans d'une relation contrariée, ambiguë, une période au cours de laquelle Mathieu Van der Poel a grandi hors des lumières du mois de juillet et est devenu l'un des plus grands coureurs du monde sans avoir besoin de la plus grande course du monde. En 2021, quand il avait levé les bras à Mûr-de-Bretagne, il n'avait alors remporté qu'un Tour des Flandres. Depuis, il a conquis sept autres Monuments et un Mondial. Il n'a pas hésité à piétiner le prestige de la Grande Boucle, à l'utiliser comme un marchepied vers d'autres horizons, quand il ne mettait pas son talent au service de Jasper Philipsen. Cet hiver, il avait poussé jusqu'à dire aux médias belges que le Tour de France ne le passionnait pas, un sacrilège, mais une réserve qu'on comprend, lui ne met un dossard que pour gagner, insensible à un format long qu'il juge anachronique et dans lequel il dilue ses forces. Le revoilà dans l'orbite du Tour de France Surtout, Van der Poel a été aspiré malgré lui dans le tourbillon du Tour en raison d'une histoire familiale dont il voulait se détacher. Si le Maillot Jaune, il y a quatre ans, avait fait couler des larmes en Bretagne, elles témoignaient simplement de la tristesse d'un petit-fils qui venait de perdre son grand-père, moins d'une émotion sportive, une tristesse qu'il aurait d'ailleurs voulu purger dans l'intimité plutôt que devant tout le monde, alors qu'il se livre si rarement. Cette victoire nous avait davantage donné l'impression d'un soulagement que d'un accomplissement, qu'il avait porté le jaune qui s'était toujours refusé à Raymond Poulidor et qu'on ne lui en parlerait plus. Et pourtant, le revoilà dans l'orbite du Tour de France, pris dans l'attraction naturelle de la plus grosse planète du cyclisme, et il suffit qu'il s'y mette pour qu'il en devienne en un week-end le personnage central. Avec ces jambes-là et le profil des étapes qui l'attendent dans la semaine, l'idylle pourrait d'ailleurs se prolonger. Dimanche, après sa victoire et le maillot jaune qui l'accompagnait et que lui passait son équipier Philipsen, trop juste dans cet épilogue punchy, le Néerlandais a explosé d'une joie simple qui ne racontait pas une autre histoire, juste la sienne. En quatre ans, il a acquis une maîtrise et une confiance qui le rendent injouable les jours qu'il a cochés sur le calendrier. On pensait le voir faire le ménage dans une des côtes qui menaient à Boulogne, notamment celle de Saint-Étienne-au-Mont à moins de 10 bornes, où ils n'étaient plus que six au sommet, avec Tadej Pogacar, Jonas Vingegaard, Matteo Jorgenson, Remco Evenepoel et Romain Grégoire, mais il a préféré prendre le risque de laisser du monde revenir et attendre les 400 derniers mètres de ce final en bosse, tellement sûr de lui, prêt à se frotter à tous ceux qui oseraient encore le contester. Une forme de maturité, à 30 ans, qu'on devinait également chez son dauphin du jour, Pogacar, qui a couru sur la défensive une étape qu'il aurait pu s'employer à gagner, mais dont il n'est pas reparti bredouille, presque malgré lui, puisqu'il a endossé le maillot à pois du classement de la montagne et chipé deux secondes de bonifications à l'arrivée à Vingegaard. Le leader de l'équipe UAE Emirates - XGR avait fait rouler très fort Tim Wellens dans la côte du Haut-Pichot, à 30 km du terme, mais c'était davantage une manière de contrôler, d'empêcher les attaques que de préparer le terrain. Les Frelons sur courant alternatif Un signe de sagesse alors que le champion du monde nous avait habitués à en mettre partout, sans se soucier du lendemain, voire de la consigne de son encadrement de ne pas taper dans les réserves les jours inutiles, car la griserie est un des pièges sur la route d'une quatrième victoire. Les Visma de Vingegaard ont continué à asticoter leur rival, mais avec moins de conviction que samedi et sans Wout Van Aert, totalement hors-jeu (60e à 4'18''). Le Danois a allumé un pétard à 5 km de la ligne, mais il a aussi refusé des relais et le meilleur indicateur que ses jambes tournent très bien reste sa 3e place dans le sprint. Les Frelons étaient sur courant alternatif, et on comprit le grognement de Kévin Vauquelin quand il constata que Jorgenson ne collaborait pas dans un contre qu'il avait lancé, alors que l'Américain avait lui-même attaqué un peu plus tôt. Peu importe, le Normand a été inarrêtable dans les derniers kilomètres, quatre fois il a sorti les couteaux, et il ne pouvait pas faire mieux face à cette concurrence (8e à l'arrivée). Il a récupéré le maillot blanc, désormais 4e du général, mais surtout on le sent libéré par ses performances récentes, plein de panache et d'audace, une excellente nouvelle alors que se profilent d'autres journées, par chez lui, où il aura de nouvelles occasions de se montrer. Grégoire ne s'est pas agité autant que son compatriote, mais sa performance n'est pas moins impressionnante, 4e du sprint derrière les trois monstres, sans s'éparpiller, en attendant dans les roues le bon moment. Le Bisontin a obtenu le meilleur résultat d'un escadron français bien fourni dans le haut du classement d'une étape exigeante, avec Julian Alaphilippe (5e), qui s'est rassuré après une 1re étape compliquée et qui a montré un niveau pas vu depuis un bon moment, Aurélien Paret-Peintre, 7e malgré sa chute plus tôt dans l'étape, ou Alexandre Delettre (11e). La démonstration que même si les ogres bouchent le paysage de ce Tour de France, il y a bien des manières d'y exister. À lire aussi Vauquelin doit s'adapter à son nouveau statut Les puncheurs français ont joué les premiers rôles Evenepoel et Merlier piégés, entame ratée pour la Soudal Quick-Step Luc Dardenne : «Un cycliste, c'est un brin d'herbe très fragile»

L'Équipe
4 hours ago
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«Il a changé de statut» : Kévin Vauquelin offensif mais désormais surveillé par les plus grands
De nouveau sous les projecteurs dans un final animé de la 2e étape, le coureur d'Arkéa-B & BHôtels a compris qu'il était marqué et que les favoris ne le laisseront plus en liberté. Souvent, après une course qui n'est pas allée dans son sens, il ronchonne, souffle son dépit bruyamment, avec ses lèvres, et déverse sans filtre tout ce qu'il a dans le bide, en supposant qu'il en avait encore, dimanche, après avoir essayé d'atomiser la fin de course. Face à Emmanuel Hubert, le patron d'Arkéa-B & BHôtels, Kévin Vauquelin a d'abord râlé contre « les grandes équipes qui ne savent pas courir », contre Matteo Jorgenson qui « n'a pas collaboré alors que c'est un très bon rouleur et qu'on aurait pu aller à la gagne et ne pas le regretter. » Finalement 8e de l'étape, à la sortie de cette succession de toboggans jusqu'à Boulogne-sur-Mer, le Normand a ensuite appuyé sur l'interrupteur, retrouvé sa légèreté et sa bonhomie : « vous voulez un mot, j'imagine ? » La nuée de micros et d'enregistreurs dit sa notoriété nouvelle depuis le dernier Tour de Suisse dont il fut le leader presque jusqu'au bout, jusqu'à ce que João Almeida l'aligne dans le dernier contre-la-montre. Mais c'est sur la route qu'il a vu changer son statut, ses équipiers aussi, à commencer par Clément Venturini : « Il fait partie des grands du peloton, c'est légitime qu'ils aillent le chercher. C'est comme ça qu'on fait partie de l'élite. Avec nos moyens, on essaie de le placer le mieux possible, de le protéger. Ensuite, c'est une histoire de grand homme quand tu es devant et c'est son cas. » « Plus on attaque, plus on est regardé et c'est sûr qu'à un moment, ils se sont dit que je bougeais beaucoup trop » Kévin Vauquelin Mais il ne peut plus bouger sa boucle d'oreille sans qu'on lui saute sur le râble, son lot quotidien depuis des années, sauf que le casting a évolué et, ce dimanche, lors de ses quatre tentatives, le leader d'Arkéa-B & BHôtels a vu Mathieu Van der Poel, Oscar Onley, Matteo Jorgenson puis Tadej Pogacar le harponner sur les six kilomètres où, de son propre aveu, il en a mis « un peu partout et c'est probablement ce qui me coûte la victoire ou un meilleur résultat. C'est dommage. J'étais mal placé dans la première ascension, je suis remonté et c'est là que j'ai senti que j'étais bien. Plus on attaque, plus on est regardé et c'est sûr qu'à un moment, ils se sont dit que je bougeais beaucoup trop. Ils ont pensé qu'ils n'auraient pas la gagne. » Vainqueur à Bologne, l'an passé, de la deuxième étape, où les principaux leaders s'étaient expliqués deux minutes derrière lui, Vauquelin a perdu en liberté ce qu'il a gagné en crédit et la pancarte sur ses épaules clignote beaucoup trop. « La rançon de la gloire », estime-t-il sans s'en formaliser : « C'est normal que je sois marqué après ce que j'ai fait, on m'a beaucoup vu. » « Quelle que soit sa place au général ou dans l'étape, quand c'est Van der Poel qui bouge ses fesses, c'est que Kévin n'est pas loin d'être classé parmi les champions, qu'ils savent qui il est », constate Hubert. Deuxième de la Flèche Wallonne les deux dernières années -en avril dernier derrière Tadej Pogacar-, le coureur de 24 ans, en fin de contrat en décembre, est sur les radars des managers des plus grosses formations du peloton et, donc, de leurs leaders qui ont raccourci la laisse de ce chien fou, ce qu'il est moins en dehors de la course depuis un an. Mais sur la route, il doit encore maîtriser sa fougue sans se renier non plus, estime Laurent Pichon, son directeur sportif : « Il a changé de statut, cela fait bizarre et il doit en prendre conscience. Il fait partie de ces champions, ils ne vont plus le laisser partir comme ça. Il était très fort aujourd'hui (dimanche), il a beaucoup tenté, à mon avis, trop. Quand on est super fort comme lui, il faut en mettre qu'une mais une bonne. La forme est là, on va rectifier ça et je pense qu'il va nous entendre. On est très heureux de le voir en forme, il a les jambes pour en gagner une. » Pichon assume son exigence, « car je crois en lui. Ce ne sont plus des courses amateurs où tu vas plier les meilleurs mondiaux. Au-delà d'être fort, il faut être plus filou. » La bonne surprise du maillot blanc Sur ce plan, on lui devine un certain potentiel, à exploiter maintenant au coeur du peloton, en ne grillant pas toutes les cartouches planquées dans sa musette. C'est pourtant ainsi qu'Emmanuel Hubert l'aime, « dans l'esprit de l'équipe. Ralentir, cogiter trop de choses... Il faut laisser le naturel s'exprimer même s'il est surveillé. Cela l'énerve un peu car il a envie de gagner. » Combien de temps ses jambes de feu vont-elles le porter alors qu'après un stage en altitude avec Ewen Costiou, juste avant l'épreuve helvétique, il a vu son pic de forme arriver plus tôt que prévu ? Dans quelques jours, on arrive chez lui, à Bayeux, où ses parents Bruno et Valérie l'attendent avec la boîte de mouchoirs si ça veut bien sourire, mais dans sa quête d'une deuxième étape du Tour Vauquelin veut bien oublier sa géographie émotionnelle (« en Normandie ou pas, une étape est une étape ») et se tourner vers des forces invisibles s'il le faut (« aujourd'hui (dimanche) je me suis dit qu'il y avait peut-être un signe à voir, la deuxième étape, Boulogne-Bologne, c'est presque pareil, mais cela n'a pas marché »). À vouloir arroser à l'extincteur toute la fin d'étape de dimanche, le vainqueur de l'Étoile de Bessèges en février a tout de même gagné un truc, ce qu'il ignorait encore en arrivant devant son car. « Hein, j'ai le maillot blanc ? » demanda-t-il à son patron qu'on soupçonne de vouloir le teindre d'une autre couleur, un peu plus jaune, puisque Vauquelin furète à la quatrième place du général, à dix secondes de Mathieu Van der Poel et juste derrière Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard. Une fois l'information confirmée qu'il était bien le meilleur jeune de la Grande Boucle, il a semblé interdit devant le poids de cette tunique symbolique : « Je ne peux pas dire encore ce que je ressens, cela fait bizarre. Être porteur d'un maillot distinctif sur le Tour, c'est quand même beau. C'est cool. » Cool et peut-être utile à son équipe dont les deux sponsors ont confirmé qu'ils ne prolongeront pas l'aventure : « C'est valorisant, c'est pour cela qu'on ne peut que plaire à quelqu'un, prie Emmanuel Hubert. Je suis optimiste. Qu'il reste ou qu'il s'en aille, on a montré qu'on sait faire, qu'il a été formé chez nous. Mais je ne veux pas le mettre dans un piège, je veux qu'il ait l'esprit libre. » Pour qu'il aille encore secouer tout le peloton, jusqu'à ses huiles, et que lorsqu'il fendra la foule, comme dimanche, ce sera la sienne et pas celle des supporters néerlandais postés devant le car d'Alpecin-Deceuninck. À lire aussi Les puncheurs français ont joué les premiers rôles Evenepoel et Merlier piégés, entame ratée pour la Soudal Quick-Step Luc Dardenne : «Un cycliste, c'est un brin d'herbe très fragile» Premières décharges