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Le village de Léchelles se déchire autour de l'affaire Vipret
La controverse heurte les sensibilités dans le fief du guérisseur fribourgeois. Beaucoup défendent bec et ongles leur légende locale. D'autres se mettent à douter. Voire à l'éviter. Publié aujourd'hui à 08h30
Malgré le calme apparent, le village de Léchelles se déchire autour de sa figure locale. L'enquête de la RTS est sur toutes les lèvres.
Chantal Dervey/Tamedia
En bref:
Léchelles, dans l'arrière-pays de la Broye fribourgeoise. Son petit clocher, son terrain de football laissé en friche, ses balançoires vides depuis que les familles sont parties en vacances. Et surtout, sa légende locale, Denis Vipret. Ce mercredi 16 juillet, les rues sont figées dans la torpeur estivale. Le seul bruit provient de quelques pelleteuses, qui s'acharnent à offrir de nouveaux immeubles à ce village de 800 habitants. Ambiance un peu lourde.
Dans l'artère principale, un panneau indique le chemin vers la grande ferme familiale où Denis Vipret prodigue ses soins depuis plus de quarante ans. Certains regards se noircissent lorsque nous nous mettons à poser des questions sur sa probité. Les médias seraient des oiseaux de mauvais augure, attirés par l'odeur du scandale. «Où étiez-vous lorsque Vipret faisait les plus belles années du FC Léchelles?» fait remarquer un passant.
Au milieu du village, un panneau indique la direction de la ferme du guérisseur Denis Vipret.
Chantal Dervey Deux instructions en cours
Ici, tout le monde se connaît. Ou presque. Une bonne raison pour ne pas trop potiner avec les journalistes venus remuer les accusations qui touchent «leur» guérisseur depuis l'enquête de la RTS, sortie dix jours plus tôt. Celle-ci n'est plus en ligne. Les avocats de Denis Vipret ont obligé le service public à dépublier les deux volets de l'enquête, à coups de mesures superprovisionnelles, en attendant le verdict de la justice. Dans les troquets du village, certains y voient la preuve que «tout ceci ne tenait pas debout».
À ce jour, deux instructions pénales concernant Denis Vipret sont en cours. L'une à Berne, l'autre à Fribourg. La présomption d'innocence demeure dans les deux cas. Pour mémoire, le magnétiseur avait déjà été condamné en 2024 pour attouchements. Il clame son innocence dans un communiqué adressé cette semaine aux médias, même s'il refuse pour l'heure de leur parler directement. Depuis les révélations de la RTS, il a reçu plusieurs menaces de mort sur son portable privé, ce qui l'a poussé à réagir par voie de justice.
En marge du village, la ferme familiale où le guérisseur Denis Vipret prodigue ses soins depuis des dizaines d'années.
Chantal Dervey Fossé générationnel
Réactions contrastées dans le village. Si de nombreuses personnes âgées se scandalisent que la presse ose s'immiscer dans la «vie privée» de Denis Vipret «dans le seul but de détruire sa réputation», beaucoup de jeunes Léchellois applaudissent le «travail de prévention» des médias. Un petit groupe d'ados se confie: «Ici, beaucoup de gens se méfient de lui. Certains se sont mis à l'éviter. Ma cousine de 17 ans a reçu des messages ambigus de sa part sur Facebook, alors qu'il a plus du triple de son âge.»
Sa camarade approuve. «C'est l'un des meilleurs dans son domaine. Il m'a soignée quand j'étais plus jeune. Mais aujourd'hui, en tant que jeune fille, je n'oserais plus aller chez lui sans être accompagnée.» Plus loin, un garçon d'une dizaine d'années n'a pas la pudeur de ses aînés. «Si Vipret veut toucher des nénés, qu'il se trouve une femme», s'exclame-t-il avant de s'échapper à toute allure sur sa planche à roulettes.
Reste que beaucoup doutent de la crédibilité des témoignages l'accusant d'attouchements. Que vaut la parole d'une vingtaine de femmes, alors que Denis Vipret a soigné des milliers de personnes au cours de sa carrière? «Partout où il est allé, il a fait le bien. Comme par hasard, ces témoignages sont déballés juste après la sortie de son livre », maugrée un trio en sirotant son café. Les prétendues victimes seraient motivées par «la jalousie de son succès» ou «l'appât» de juteuses indemnités. «Il ne faut pas fermer les yeux»
D'accord, Denis Vipret est une «grande gueule» qui adore «être au centre de l'attention», estiment trois autres riverains. Peut-être bien qu'il a exagéré certains récits, comme le fait d'avoir soigné les joueurs du Real Madrid pendant trois ans. Mais «ça fait partie du personnage». Il ne mérite pas d'être «traîné dans la boue» pour autant.
Trop facile de parler de mains baladeuses dans un métier aussi tactile, nous dit-on. «Il a peut-être serré quelques femmes d'un peu trop près, et cela a été mal interprété, voilà tout», raisonne un couple sur le point de s'attabler sur une terrasse pour le repas de midi. Denis Vipret serait «l'énième célébrité» emportée par la vague #MeToo, ce qui agace. «Moi, si j'ai un problème avec quelqu'un, on règle ça entre quatre yeux. Ou bien je vais voir la police, juge un autre client. Je n'attends pas des dizaines d'années avant de régler anonymement mes comptes dans la presse.»
La gare du village de Léchelles, dans la Broye fribourgeoise.
Chantal Dervey/Tamedia
Pour une trentenaire croisée à la gare de Léchelles, ce genre de raisonnements participerait justement à la culture du viol: «La parole des victimes doit être écoutée. Dans le coin, beaucoup ont du mal à désacraliser la figure de Denis Vipret… Mais il ne faut pas fermer les yeux sur ses agissements au seul prétexte qu'il a guéri de nombreuses personnes.»
Denis Vipret aurait profité de son statut d'homme providentiel pour agir en toute impunité pendant des décennies. Et quand une minorité essaie de faire éclater une vérité dérangeante, sa version est «immédiatement décrédibilisée», dénonce la jeune femme. Un «schéma typique» de la violence patriarcale. «Je n'y crois pas une seule seconde»
À l'Auberge Communale, où Denis Vipret a ses habitudes, le sentiment d'injustice est particulièrement fort. Son patron, Olivier Quirici, est un ami de longue date du célèbre guérisseur. Lui aussi dénonce une cabale médiatique: «Je ne crois pas une seule seconde à ces accusations! Jamais je n'ai connu quelqu'un d'aussi généreux. Il amène d'immenses sacs de viennoiseries le matin, paie les repas de toute la clientèle le soir, inonde mon fils de cadeaux. C'est un homme d'une grande bonté.» S'il est «profondément convaincu» de l'innocence de Denis Vipret, ce n'est pas par loyauté pour son ami, mais car «ça se voit dans son regard».
Le tenancier embraie sur les dons prodigieux du magnétiseur: «Une fois, je l'ai appelé pour une brûlure. Sans aucune précision de ma part, il a immédiatement deviné qu'il s'agissait de mon pouce gauche alors que ça aurait très bien pu être un autre doigt à la main droite.» Une autre dame prend la défense de Denis Vipret depuis la terrasse de son jardin: «Il a guéri mon fils qui avait de graves problèmes intestinaux. Je lui en serai à jamais reconnaissante. Je n'ai jamais constaté le moindre comportement abusif de sa part. Il ne faut pas le juger sur des rumeurs.»
À l'autre bout du village, une femme arrose ses plantes: «J'ai vu l'enquête de la RTS. Les témoignages sont concordants et cohérents. Ces victimes n'ont aucune raison de mentir. Vipret devrait s'excuser auprès d'elles.» Cela dit, elle déplore l'emballement autour de la fortune et la personnalité du guérisseur. «Ce sont des questions complètement secondaires. Tant mieux pour lui s'il a réussi son business. Malheureusement, certains profitent du scandale pour discréditer tout le milieu des médecines parallèles.» Histoire de gros sous au FC Léchelles
Dans les années 2000, le guérisseur était le président – mécène – du FC Léchelles. Pendant des années, il a dépensé sans compter – nos confrères de «La Liberté» évoquent une saison ayant coûté jusqu'à 300'000 francs – pour amener le petit club broyard au sommet du football fribourgeois (2e ligue), pillant les clubs adverses de leurs meilleurs éléments.
Le FC Léchelles a été arrosé pendant des années par Denis Vipret. Le club n'a pas survécu au retrait de son mécène en 2013. Il fera faillite dix ans plus tard.
Chantal Dervey/Tamedia
La folle trajectoire du FC Léchelles s'attire d'abord les foudres de la concurrence, puis la curiosité du fisc. Une bisbille avec son associé de l'époque met brutalement fin au rêve en 2013. Le robinet se ferme. Après le retrait brutal de son mécène, le club vivote tant bien que mal pendant dix ans avant d'être définitivement dissous fin 2023 .
Aujourd'hui, seuls quelques panneaux publicitaires survivent à l'ère Vipret. Les buts sont toujours en place aux extrémités du terrain. Mais les mailles des filets se détendent. Et la pelouse cabossée ne sert plus qu'aux enfants du village. Quant à la buvette, elle a été transformée en salle de fêtes.
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Thibault Nieuwe Weme a rejoint la rubrique vaudoise en octobre 2022. Après un Bachelor en science politique, il a obtenu son Master à l'Académie du journalisme et des médias (AJM) de l'Université de Neuchâtel. Il est également passé par la rédaction du Temps. Depuis juin 2025, il couvre l'actualité fribourgeoise. Plus d'infos
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