14-07-2025
« As-tu vu mon courriel ? »
La pression provient des attentes, rappelle la professeure Julie Dextras-Gauthier, celles de répondre rapidement, d'être toujours prêt, à l'affût.
Ce n'est pas une urgence et pourtant, votre collègue vous envoie un message sur Teams puis un texto pour vérifier si vous avez bien reçu son courriel. La multiplication des plateformes de communication crée un stress auquel personne n'échappe. Comment mieux gérer ses courriels et tous ces canaux ?
En moyenne, un travailleur reçoit 117 courriels par jour, selon une étude réalisée dans 130 pays et publiée en juin par Microsoft1. En comptant les 153 messages reçus sur Teams, les appels imprévus et les notifications provenant d'autres plateformes, un employé est interrompu en moyenne toutes les deux minutes – soit 275 fois par jour !
Comment rester concentré dans pareilles circonstances – et surtout comment ne pas devenir agacé, frustré, dépassé ?
« Il faut savoir que ça prend entre 12 et 23 minutes pour revenir à son niveau optimal de concentration et reprendre sa tâche principale, souligne François Courcy, psychologue et professeur titulaire en psychologie organisationnelle à l'Université de Sherbrooke. Les interruptions, c'est coûteux. »
Déconnexion et repos
La gestion des fameux courriels, rendue possible en tout temps grâce (ou à cause) de l'hyperconnectivité, est la pierre angulaire des journées de travail des employés et des gestionnaires. Une saine gestion peut éviter non seulement des conflits, mais des problèmes de santé mentale.
« Si on n'arrive pas à se détacher psychologiquement du travail, on ne repose pas son cerveau, on ne se donne pas de chances de récupérer, explique Julie Dextras-Gauthier, professeure titulaire au département de management de l'Université Laval. Cela mène à une fatigue qui peut mener à des problèmes de santé mentale, voire à un burn-out. »
Répondre en tout temps à ses courriels, dans des délais acceptables, semble impossible pour bien des travailleurs : la quantité est astronomique et le temps, restreint.
« Je considère qu'il faut répondre en maximum 24 heures, raconte Maggie Lambert, rédactrice web et adjointe virtuelle. C'est une question de respect et de politesse. Ça me met hors de moi, quelqu'un qui ne répond pas ! »
Charte d'équipe
Selon François Courcy, un peu d'autodiscipline est à la base d'une meilleure hygiène de vie au travail. Il suggère de regrouper les moments où on lit ses courriels et on y répond.
« On peut le faire le matin, puis après la pause du lunch et avant de finir de travailler, disons 30 minutes chaque fois, dit-il. C'est bien mieux que de le faire au fur et à mesure. »
Selon lui, mettre en place une charte d'équipe est un bon début. Par exemple, un élément urgent nécessitera un coup de fil ; mais si c'est non urgent, alors on s'accorde un délai de 24 heures pour répondre au courriel en excluant les soirs et les week-ends.
« Idéalement, entre 18 h et 6 h du matin, on ne répond pas et on ne s'attend pas à une réponse, précise-t-il.
PHOTO MAXIME PICARD, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE
Le psychologue et professeur titulaire en psychologie organisationnelle à l'Université de Sherbrooke, François Courcy
On peut décider, en équipe, que s'il y a urgence, on se rend physiquement au bureau de l'autre, en deuxième recours, on appelle, et en dernier recours, on envoie un courriel. En établissant un mode de fonctionnement, on s'enlève de la pression.
François Courcy, psychologue et professeur titulaire en psychologie organisationnelle à l'Université de Sherbrooke
La pression provient des attentes, rappelle Julie Dextras-Gauthier, celles de répondre rapidement, d'être toujours prêt, à l'affût. « On se sent submergé et on se sent surchargé, glisse-t-elle. On aime dire qu'on a droit à la déconnexion, mais il y a de grandes attentes de disponibilité. »
Des pistes pour mieux gérer
Ralentir et atteindre un bien-être numérique, c'est une responsabilité partagée entre l'employé et le gestionnaire, signale-t-elle.
Elle propose quatre pistes de solution et de réflexion pour mieux gérer sa boîte de courriels – et ses divers canaux de communication. D'abord, se questionner quant à « la culture du cc » soit le fait de copier plusieurs personnes de l'équipe pour « faire circuler et donner de l'information ».
Ensuite, réfléchir aux normes sociales : comment les membres de l'équipe souhaitent communiquer entre eux ? « On peut dire à nos collègues et à notre patron : 'Je considère que je reçois trop de courriels et ça me génère du stress.' Ça prend du courage, mais cela se dit ! »
Aussi, il est très important, croit Mme Dextras-Gauthier, de s'entendre sur ce qui constitue une urgence et sur la façon d'y répondre. « On peut s'entendre alors sur un délai de réponse et on peut même y accoler des mots-clés, afin que tous puissent reconnaître l'urgence. »
Changer ses habitudes
Finalement, le gestionnaire a un rôle à jouer. Si celui-ci a participé à l'élaboration d'une politique de déconnexion, mais qu'il envoie des courriels à 6 h du matin, l'incohérence risque de créer des frustrations. Il y a des exceptions toutefois, souligne la professeure Julie Dextras-Gauthier.
« Peut-être que dans sa façon de gérer son équilibre vie personnelle et travail, cela a du sens d'envoyer des courriels à l'aube, illustre-t-elle, mais alors, il doit le dire clairement : 'Je ne m'attends pas à ce que vous répondiez.' Ça prend une conversation franche. »
Une bonne nouvelle ? Les organisations parlent de plus en plus de déconnexion et de bien-être numérique. Des solutions se mettent tranquillement en place, avance l'experte.
« Il faut développer un consensus autour des normes sociales et se remettre en question comme individu pour réussir à modifier nos habitudes. Ce n'est pas gagné, mais je suis optimiste. »
1. Consultez l'étude de Microsoft (en anglais)