13-07-2025
Une tradition bouleversée
Avec des enfants, des vacances à la mer sont souvent réussies.
De nombreux Québécois ont décidé d'annuler leurs projets de vacances dans le Maine cet été. Et du même coup, ont rompu avec une tradition. Un historien revient aux sources des habitudes des touristes québécois sur les plages du Maine.
Sa grand-mère réservait chaque été une chambre dans un chic hôtel de Kennebunkport, tandis que ses parents louaient un chalet pendant un mois, à Ocean Park ou à Biddeford Pool.
« C'est une histoire de famille », dit Hélène Gratton, qui ne compte plus les étés passés sur les plages du Maine. Mais en février dernier, son conjoint et elle ont décidé d'annuler la réservation de la maison à Biddeford Pool où ils devaient passer leurs vacances cet été avec leur fils, leur belle-fille et leur petit-fils.
Nous n'étions plus à l'aise d'aller aux États-Unis. Je ne me souvenais pas de tensions aussi grandes envers le Canada.
Hélène Gratton
Heureusement, Hélène Gratton et son mari François ont pu récupérer leur dépôt – qu'ils étaient prêts à perdre – car d'autres gens ont loué la maison, mais ils perdront leur priorité de location. Leur plan B ? Un séjour dans la baie Georgienne, en Ontario.
Situé entre Kennebunkport et Old Orchard, Biddeford Pool aurait la plus belle plage du Maine, selon The New York Magazine. Il n'y a pas d'hôtel pour les touristes, mais des maisons à louer, notamment par l'agence Maine Seaside Rentals.
Lors de notre passage, l'employée Tasha Harper a indiqué avoir eu au total une quinzaine d'annulations de la part de Québécois au printemps dernier, notamment d'un groupe de plusieurs familles qui étaient des clients depuis des décennies. Elle a qualifié de « triste » la tournure des évènements. « On respecte totalement leur choix, mais on veut qu'ils reviennent. »
PHOTO ÉMILIE CÔTÉ, LA PRESSE
La terrasse du fameux dépanneur et casse-croûte Goldthwaite's à Biddeford Pool
Pour sa part, Michaël Renaud a annulé des vacances à Old Orchard et une réservation au camping Sunset Outdoors. La décision s'est aussi prise au début de février. Les vacances de l'été dernier, avec une autre famille de Repentigny, avaient été fort réussies, au point de vouloir en faire une tradition, mais personne n'aimait la « vibe », ni le taux de change.
Résultat : une plage d'eau douce et non salée. Celle de Sauble Beach, dans la péninsule Bruce, en Ontario. « Nous sommes très contents de notre décision. Les enfants comprennent et cela a suscité de belles discussions. »
Je pense que les vacances seront au Canada pour les prochaines années.
Michaël Renaud
Une tradition rompue ou remise ?
Selon l'historien Serge Dupuis, qui a fait des recherches sur l'historique des Québécois qui prennent leurs vacances l'été à Old Orchard, il y a une « possibilité de rupture durable » de cette tradition. Au cours des derniers mois, « quelque chose a changé dans la psyché canadienne, note-t-il. J'ai l'impression que les tensions avec les États-Unis ne sont pas qu'une parenthèse ».
Or, mettre une croix sur des vacances dans le Maine, ce n'est pas comme éviter des vacances en Italie. « Il y a une habitude de fréquentation depuis des générations. » Depuis les congés payés et la démocratisation de la voiture familiale de l'après-guerre, précise-t-il. « Avant, c'étaient des vacances réservées à l'élite. »
Pourquoi Old Orchard ou Ogunquit sont autant fréquentés par les Québécois ? « Les vacances, on veut que ce soit exotique et familier à la fois, répond Serge Dupuis. Surtout si on est francophone unilingue. »
PHOTO ÉMILIE CÔTÉ, LA PRESSE
Drapeau aperçu sur la route du Maine 26
Serge Dupuis nous a fait part des notes qu'il avait préparées pour l'émission de radio Aujourd'hui l'histoire. Cela fait des décennies, souligne-t-il, que des motels d'Old Orchard arborent des drapeaux du Québec avec un nom à connotation francophone : Beau Rivage, Mt Royal, Alouette…
L'héritage francophone
Si Serge Dupuis pense que le boycottage du Maine pourrait fort bien « s'inscrire dans le temps », nous avons constaté sur place que certains Américains chérissent davantage leur héritage francophone. Rappelons qu'entre 1850 et 1920, un million de Québécois se sont exilés en Nouvelle-Angleterre dans l'espoir d'une vie meilleure. Beaucoup ont trouvé un emploi dans les nombreuses usines textiles prospères.
PHOTO ÉMILIE CÔTÉ, LA PRESSE
Entre les villes de Biddeford et de Saco, où passe la rivière Saco – non loin d'Old Orchard –, on peut toujours voir les édifices des anciennes usines textiles qui ont employé des milliers de Québécois.
« Mon premier emploi était dans une banque et il fallait un employé qui puisse parler français », se souvient Becky Jacobson, directrice générale d'Hospitality Maine, qui représente 800 restaurateurs et hôteliers. Jeune, elle avait plusieurs amis dont les grands-parents parlaient français. Et à Augusta, le Club Calumet promeut toujours la culture franco-américaine, souligne-t-elle.
La gouverneure du Maine, Janet Mills, a par ailleurs étudié le français à l'université et elle s'est vu remettre en octobre dernier la Légion d'honneur par l'ambassadeur de France aux États-Unis, Laurent Bili.