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Guerre froide musicale
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La Presse

time12-07-2025

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Guerre froide musicale

Le 12 juin dernier, à 100 jours de l'Intervision, une cérémonie pour lancer le compte à rebours a eu lieu, avec des spectateurs qui ont agité les drapeaux des pays participants. En plaquant le défibrillateur sur un concours qui était dans le coma depuis 45 ans, la Russie est en train de créer une véritable guerre froide musicale. Voici l'histoire fascinante et burlesque d'une compétition qui va renaître de ses cendres en septembre prochain. Depuis 2022, la Russie est exclue du célèbre concours Eurovision en raison de la guerre menée contre l'Ukraine. En guise de riposte, Vladimir Poutine a décidé de ressusciter Intervision, un vieux concours de chanson qui a surtout contribué à la gloire d'artistes de l'ancien bloc de l'Est. La compétition Intervision a vu le jour en 1965 avant de connaître une première interruption en 1968. Les pays de l'Union soviétique, de même que des nations non européennes, comme Cuba, le Nigeria ou la Mongolie ont délégué des participants à Sopot, station balnéaire de la Pologne, où avait lieu l'évènement. Le concours soviétique s'inspirait du modèle de son rival européen. Toutefois, le système de vote était ahurissant. Les téléspectateurs étaient invités à regarder l'émission dans l'obscurité de leur foyer. S'ils appréciaient la performance d'un artiste, ils devaient allumer leurs lumières. Des autorités mesuraient ensuite la consommation d'énergie afin de désigner le gagnant. Et dire que Jean-Marc Parent nous a fait faire la même chose des décennies plus tard. Toujours à Sopot, il y avait au même moment un grand festival consacré à la chanson. Le Canada y a d'ailleurs brillé à quelques reprises. Monique Leyrac (Mon pays, 1965) et Robert Charlebois (Ordinaire, 1970) y ont raflé les honneurs. En 1977, on a décidé de remplacer le Festival de Sopot par le concours Intervision. Une confusion s'est alors installée. Certains pays participants n'ont pas su faire la distinction entre les deux évènements. Mais ils ont rapidement noté de gros changements dans l'organisation. Ce fut le cas de Louise Forestier lorsqu'elle s'y est rendue en 1978. Choisie pour représenter le Canada, elle a décidé de défendre les couleurs de notre pays avec deux chansons faites de béton armé : Pourquoi chanter, de Luc Granger et Jacques Perron, et La saisie, d'elle-même et François Dompierre. PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE Louise Forestier, en 1978, quelques mois avant qu'elle ne s'envole pour Sopot défendre les couleurs du Canada au concours Intervision. Les médias québécois fondaient beaucoup d'espoirs sur elle lorsqu'elle s'est envolée pour Sopot le 18 août en compagnie du pianiste Charles Barbeau. Dès son arrivée sur place, la perspicace artiste s'est rendu compte qu'une curieuse ambiance régnait. « Il y a d'abord eu cette chanteuse américaine qui a débarqué dans ma chambre dans l'espoir d'y trouver un système d'écoute, se souvient-elle. Elle a fouillé ma chambre de fond en comble. Elle était complètement parano. C'était quelque chose. » Et puis, il y avait la participante russe, Alla Pougatcheva. Une attention très particulière était apportée à sa sécurité. « Elle se promenait constamment avec quatre gardes du corps, même à la cafétéria », ajoute Louise Forestier. PHOTO TIRÉE DU SITE DE WIKIPEDIA COMMONS La chanteuse Alla Pougatcheva en 1976 Puis, est arrivé le soir de la finale. Louise Forestier s'est exécutée avec un orchestre de 58 musiciens. Tout s'est très bien déroulé. La chanteuse québécoise avait bon espoir de gagner, d'autant plus que lors de la générale, les musiciens s'étaient levés en scandant trois fois « Sopot 78 ! » après sa prestation. À l'issue du concours, les participants ont été conviés dans la salle de bal de l'hôtel où ils logeaient. Une longue période d'attente a eu lieu. L'interprète de Louise Forestier, qui parlait aussi le finnois, a été réclamé auprès d'un membre du jury. Il a donc tout entendu des délibérations. « Il est revenu me voir et m'a glissé à l'oreille que je gagnais », dit-elle. Tout à coup, vers 3 h du matin, une grande porte s'est ouverte. « La chanteuse russe est arrivée flanquée de ses gardes du corps, décrit Louise Forestier. Elle s'est dirigée vers moi, m'a remis un bouquet de roses et une bouteille de champagne. Elle m'a serré la main et est allée sur scène recevoir le premier prix. Je ne comprenais plus rien. » Louise Forestier a su plus tard qu'après le premier tour de vote des jurés, elle était la gagnante. Mais le président du jury a dit : « Maintenant, soyons sérieux. » Il est clair que le but était de favoriser Alla Pougatcheva. Cette dernière est ensuite devenue une énorme vedette de la chanson en Russie. Elle a enregistré de nombreux disques et fait des tournées aux États-Unis, en Allemagne, en Suisse, en Inde, en France, en Italie et au Japon. Sa vie personnelle (elle s'est mariée cinq fois) a fait couler beaucoup d'encre. Aujourd'hui âgée de 76 ans, elle est mariée à Maxim Galkin, de 27 ans son cadet. Ce dernier a été déclaré « agent étranger » par les autorités après avoir dénoncé l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Il est maintenant appuyé par sa femme. Cette prise de position a eu l'effet d'une bombe en Russie. La superstar a déclaré à ses 3,7 millions d'abonnés sur Instagram qu'elle considérait la guerre en Ukraine comme inutile. Elle prend ainsi le risque d'écourter sa carrière ou de se retrouver en prison. PHOTO ALEXEI DRUZHININ, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS Alla Pougatcheva en compagnie de Vladimir Poutine, en 2014. La superstar russe s'oppose aujourd'hui à la guerre en Ukraine. Le retour du concours Intervision aura finalement lieu le 20 septembre prochain à la Live Arena de Moscou. Les organisateurs affirment qu'une vingtaine de pays vont y participer, dont la Chine, le Brésil, Cuba, l'Inde, la Biélorussie, la Serbie, le Venezuela et le Kirghizistan. Selon les médias russes, les États-Unis y sont invités. Il ne fait aucun doute que le Kremlin donnera un caractère très politique à ce concours dont les rênes ont été confiées au vice-premier ministre russe, Dmitri Tchernychenko. Rappelons que lors de la victoire de la drag queen autrichienne Conchita Wurst à l'Eurovision en 2014, les autorités russes avaient dénoncé la décadence de l'Occident sous l'influence des militants LGBTQ+. Pour toutes ces raisons, il sera intéressant de suivre ce concours. Il ne faut pas espérer y voir de la diversité, de l'audace et des coups d'éclat. Mais on peut s'attendre à une grande mascarade.

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