03-08-2025
Le bonheur du nid vide
Ce ne sont pas tous les parents qui s'écroulent et pleurent le départ de la maison de leurs enfants devenus grands. Certains d'entre eux applaudissent et célèbrent ce nouveau chapitre. Le nid vide n'est alors pas triste : il est joyeux, et parfois même libérateur.
« Je n'ai pas vécu de deuil quand mes filles ont quitté la maison. J'ai eu le cœur gros quelques jours, mais j'étais heureuse de retrouver quelque chose d'important et mis un peu de côté à travers la maternité : moi ! »
Isabelle Fortin brise un tabou en s'exprimant librement sur sa joie de voir ses deux filles de 17 et 19 ans prendre leur envol. Non, elle n'est pas une mère ingrate ni indigne – au contraire.
PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE
Isabelle Fortin
« J'ai tout donné à mes filles et à ma vie de famille, confie-t-elle. J'ai abandonné ma carrière, je me suis investie à cent milles à l'heure et j'ai tout aimé. »
Mais là, je suis rendue ailleurs. J'ai repris le contrôle de ma vie, de mes horaires. J'ai plus de liberté… et j'aime ça !
Isabelle Fortin
La cadette de Mme Fortin fréquente un collège où elle est pensionnaire et l'aînée poursuit des études universitaires à Toronto. Dans les deux cas, la maman se sent toujours « très proche ».
« Le lien est fort et ce n'est pas la distance qui change cela, indique-t-elle. On se fait régulièrement des FaceTime, mais on ne se parle pas tous les jours. Et c'est bien correct. »
Charge mentale et financière
Autrice du livre Après les enfants qui traite du syndrome du nid vide, Karine Glorieux1 souligne qu'un sentiment de libération, presque euphorique, survient chez certains parents – et c'est normal.
« Pour plusieurs, c'est une période heureuse qui commence, dit celle qui a trois enfants de 16, 20 et 22 ans. Un tiers des parents ressentirait un grand vide, une tristesse, une sorte de déprime lorsque les enfants quittent le nid. Cela dit, les études démontrent que les gens les plus heureux ont entre 50 et 70 ans. »
Les facteurs de ce bonheur ? Une baisse de stress et de pression, une diminution de la charge mentale et financière, et un profond sentiment de satisfaction. « Il y a une sorte de sérénité qui vient avec une impression de devoir accompli », ajoute Mme Glorieux.
Des jugements
Dire tout haut qu'on embrasse le départ de ses enfants, ça demeure délicat. Les attentes sociales y sont pour quelque chose, avance l'autrice Karine Glorieux.
« On attend encore des mères que leurs enfants soient tout pour elles. Déclarer être heureuse que les enfants quittent le nid, ça vient presque systématiquement avec une sensation d'être ingrate… »
C'est mal vu, jugé. Je remarque cependant que de plus en plus de parents acceptent d'en parler.
Karine Glorieux, autrice d'Après les enfants
Le tabou d'éprouver de la joie en voyant le nid se vider vient aussi de notre ère de superproductivité et de superperformance, croit la psychologue Nadia Gagnier.
« Aujourd'hui, il est de bon augure de dire qu'on est très occupé, qu'on est débordé, note-t-elle. Dire qu'on est plutôt tranquille, relaxe, ce n'est pas valorisé. Il y a une question d'image. »
Suzie, elle, n'ose pas dire tout haut ce qu'elle pense tout bas : elle a accepté de parler de sa situation familiale sous le couvert de l'anonymat, de peur d'être reconnue par sa famille et ses proches.
À 49 ans, elle le dit sans ambages : elle a hâte que ses enfants partent « vivre leur vie ».
« J'ai hâte que mon mari et moi, on ait juste nous deux à s'occuper, à gâter, dit la mère de deux jeunes adultes début vingtaine. La cohabitation, à quatre adultes, c'est difficile. On s'entend que j'aime mes enfants, mais parfois, je me demande : on profite de la vie quand finalement ? »
Se préparer
Si Suzie se prépare déjà à cette transition, qu'elle attend avec impatience, plusieurs parents de jeunes adultes tombent de haut parce qu'ils ne sont pas prêts. Il existe quelques pistes pour se préparer en amont, souligne Nadia Gagnier.
« Il faut accepter que la relation parent-enfant se transforme, explique-t-elle. Plus l'enfant grandit, plus le rôle change, on devient des amis. Quand ils sont bébés, on contrôle tout, mais lorsqu'ils quittent la maison, c'est le summum de la perte de contrôle. Mais au fond, c'est ça, le but : voir son enfant évoluer, s'épanouir, être indépendant et autonome. »
Pour Karine Glorieux, la façon d'approcher cette étape est cruciale : « Ce n'est pas une rupture, il faut se défaire de cette idée. Le lien se poursuit. »
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE
Karine Glorieux
Notre vie de parent continue de prendre de l'expansion, car on va vivre de nouvelles choses à travers eux. Il faut être fier !
Karine Glorieux, autrice d'Après les enfants
Retrouver son couple, récupérer du temps pour réinvestir différentes sphères de sa vie, explorer de nouveaux passe-temps, renouer avec la solitude, avoir du répit… Ce sont toutes des facettes heureuses du nid vide.
Isabelle Fortin suit des cours de photographie et s'est mise au Pilates. Elle sort régulièrement marcher et prend plaisir à organiser de petites escapades avec son conjoint.
« À 52 ans, je retrouve la Isa d'avant les enfants et ça me fait plaisir. Ça me fait du bien. »
1. Lisez l'article « Survivre au nid qui se vide »