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Un pendentif odorant repousse les attaques des loups dans les alpages
Alors que les prédations se multiplient, notamment dans le Jura, sur le bétail en estive, des éleveurs ont équipé leurs bêtes d'un boîtier à phéromones. Un agriculteur vaudois témoigne. Publié aujourd'hui à 17h01
Le leurre, c'est ce petit boîtier rond accroché au collier de la vache, d'où s'échappent les odeurs qui indiquent aux loups qu'ils se trouvent sur un territoire déjà occupé par des congénères.
Yvain Genevay
En bref:
Assis à la table du petit local aménagé dans son rural de Baulmes, dans le Nord vaudois, Jean-François Cachemaille paraît calme. Mais l'inquiétude transparaît dans sa voix quand il évoque l'estivage de sa trentaine de génisses de race holstein sur les pâturages de Gascon (1216 m d'altitude), à 10 kilomètres de son exploitation de plaine. Et la menace du loup.
Là-haut, entre les Aiguilles de Baulmes et le Suchet, ses bêtes paissent au cœur du «rayon d'action» de la meute franco-suisse de Jougne-Suchet.
Ses vaches laitières, il les aime. Et les attaques du canidé, qui ont littéralement explosé dans le Jura vaudois depuis la mi-juillet, le préoccupent sérieusement, même s'il n'a pas été touché. «Mais mon berger l'a vu l'année dernière. Un matin, on a retrouvé le troupeau qui pâture près du village tout effrayé.» Le loup, sujet sensible
Le sujet du grand prédateur est sensible. Toujours plus. D'abord décidé à témoigner, un autre éleveur du pied du Jura s'est ainsi ravisé après nous avoir rencontrés. Si ses génisses qui broutent l'herbe du Mont-Tendre ont jusqu'ici été épargnées, ce n'est pas le cas de celles des deux pâturages situés à proximité. Alors, par respect pour ses collègues, il n'a «pas envie de fanfaronner».
Si ses bêtes ont été épargnées, c'est sans doute parce qu'elles portaient autour du cou un petit boîtier distillant des phéromones censées repousser le prédateur. Un projet pilote lancé en 2023 dans plusieurs cantons, dont les Grisons et le Valais. Sur Vaud, il fait même l'objet d'un financement conjoint de l' Office fédéral de l'environnement (OFEV) et du Canton.
«Pour être tout à fait honnête, un jeune veau a été attaqué à la cuisse cet été, mais le loup ne l'a pas mangé…» Les phéromones auraient-elles déployé leur effet un peu trop tard? «En tout cas, le lendemain, dans un pâturage où se trouvaient des bêtes qui ne portaient pas ces médaillons, une génisse a été totalement dévorée.»
Jean-François Cachemaille a équipé la trentaine de génisses en estive au-dessus de Baulmes, non loin du Suchet. Mais aussi la dizaine de veaux qui pâturent en plaine, juste à côté du village.
Yvain Genevay
À Baulmes, Jean-François Cachemaille prend part à cette expérience pilote depuis le printemps 2024. «L'idée m'a motivé dès que j'en ai entendu parler. Qui ne tente rien n'a rien, de toute façon.» Cohabitation difficile
Le quinquagénaire espère ainsi s'éviter la vue terrible d'une bête agonisant dans l'herbe. «Les loups ne tuent pas leur proie, ils la rongent vivante par l'arrière, c'est ce qui me dérange le plus, confie-t-il. Oui, c'est la nature, mais je suis convaincu que personne ne veut voir ses vaches souffrir pareillement.»
Jean-François Cachemaille marque une pause. Puis reprend: «Le territoire est restreint, la cohabitation est forcément difficile si les loups sont nombreux. Le Canton en annonce officiellement 29. C'est beaucoup.» Pour lui comme pour d'autres, le prédateur est là et il n'est plus possible de le faire disparaître, «mais il faut le réguler». Une mesure novatrice
Comme cinq autres agriculteurs vaudois, Jean-François Cachemaille a opté ce printemps pour cette mesure novatrice, mise au point par le laboratoire valdo-tessinois Tibio, en collaboration avec la société tessinoise de conseil scientifique Studio Alpino. «Rentrer nos bêtes pour la nuit afin de les protéger du loup s'oppose à ce qu'on doit faire en termes de bien-être animal, sans compter le travail que cela occasionne. Et poser des clôtures à cinq fils, on n'en parle même pas pour les bovins. La taille des parcs ne s'y prête pas, tout comme la configuration du terrain, qui est tout sauf plat…»
Le troupeau pâture entre le Suchet et les Aiguilles de Baulmes, dont on aperçoit l'extrémité ouest en arrière-plan.
Yvain Genevay
Le produit en question a été baptisé Velaris L, un nom issu du latin velum , le voile (comprendre de protection) et lupus , le loup. Commercialisé depuis fin 2024 par Agroline (une société fille de la coopérative agricole Fenaco), il a déjà ceci de pratique qu'il est facile à mettre en place. «Et en ce qui me concerne, je suis convaincu que c'est efficace, même si ça ne l'est pas à 100%», reprend-il.
Les tests effectués donnent en tout cas du crédit à son propos. À condition, comme le préconisent ses concepteurs et son distributeur, qu'au moins 80% du troupeau en soit doté. Et que les bêtes le portent quelques jours avant d'être lâchées dans les pâturages.
Ainsi, en 2023, les exploitations qui ont participé au premier été de la phase de test du projet ont subi 3,8% de pertes (58 bêtes sur 1532) alors que 66% seulement d'entre elles étaient porteuses d'un boîtier. L'année précédente, dans ces mêmes exploitations, réparties dans tout le pays, pas moins de 135 animaux de rente (sur 1600) ont été tués par le loup. Soit 8,4%. Autrement dit, les pertes ont diminué de presque 60%. «Feindre» une présence territoriale
Comment ça marche? La phéromone est un messager chimique odorant émis par un être vivant pour communiquer avec ses congénères. Le boîtier renferme une molécule qui reproduit la phéromone que le loup utilise pour affirmer sa présence, dissuadant de fait d'autres individus de s'aventurer sur son territoire.
Au milieu du pâturage de Gascon, à 1216 mètres d'altitude, le berger Luc Zacharias et son chien «Zelda» veillent sur les génisses de Jean-François Cachemaille.
Yvain Genevay
L'objet coûte une trentaine de francs pièce. «Au moment du lancement du projet, au milieu de l'été 2023, l'OFEV et le Canton de Vaud ont pris en charge le financement des 51 boîtiers remis aux deux agriculteurs participant d'emblée à cette phase de test», relève Yvonne Ritter, chargée de mission à la Direction générale de l'agriculture. Idem l'année dernière pour les sept troupeaux (771 bovins) qui ont été équipés.
Ce printemps, la Confédération a fait machine arrière, contrairement au Canton de Vaud. Contacté, l'OFEV n'a pas été en mesure de nous donner les raisons de son retrait. Les six agriculteurs vaudois impliqués cet été – trois ont renoncé et deux ont pris le train en marche, portant à 451 le nombre de bovidés porteurs d'un collier – s'attendent donc à n'être indemnisés qu'à moitié. Intérêt à l'étranger
Agroline voit les demandes pour le Velaris L augmenter. «Nos principaux clients sont valaisans, grisons, tessinois et vaudois, les cantons où la pression de la prédation est la plus forte. Et nous enregistrons aussi un intérêt marqué au-delà des frontières, notamment en Italie, en Espagne et en Allemagne», relève Fabian Schweizer, responsable du projet.
À entendre plusieurs des éleveurs qui ont testé cette solution, celle-ci semble efficace. «Mais pour combien de temps? Le loup est un animal très malin, et on est en droit de se demander jusqu'à quand il va se laisser berner», note Jean-François Cachemaille. Des essais ont en tout cas montré que le prédateur finissait par s'habituer aux phéromones sur support fixe. Attaques en nette hausse dans le Jura
Le loup a fait son retour dans le massif du Jura voilà douze ans. Puis, en mars 2016, une femelle, F19, pointe le bout de sa truffe dans les forêts du Risoux. En s'accouplant trois ans plus tard avec le mâle M95, elle donne naissance à cinq louveteaux, constituant de fait la première meute jurassienne depuis plus d'un siècle.
Depuis lors, les choses se sont accélérées. D'autres portées ont suivi, chaque année. Et d'autres meutes se sont constituées, gagnant toujours plus de territoires. Cette semaine, le Canton de Neuchâtel a annoncé que six louveteaux avaient été vus dans la région de La Brévine, confirmant la présence d'une première meute dans ce canton.
Les attaques sur les animaux de rente ont suivi, elles aussi, une courbe ascendante. Arrêtée au 7 août 2025, la statistique tenue par les autorités recense 37 attaques de loups dans le périmètre étendu du Jura vaudois. Elles ont causé la mort de 61 bovins, ovins et caprins, auxquels s'ajoutent un animal disparu et un autre retrouvé blessé et qu'il a fallu abattre. En 2023, on y dénombrait 23 attaques pour 35 bêtes mortes et 2 blessées.
À titre de comparaison, si les éleveurs fribourgeois n'ont eu aucune perte à déplorer cette année, leurs homologues neuchâtelois ont subi à ce jour sept attaques, qui ont laissé 13 bêtes sur le carreau. En Valais, ce sont 44 attaques qui ont été recensées jusqu'ici. Elles ont occasionné la mort de 176 animaux de rente.
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Autres newsletters Frédéric Ravussin est journaliste à 24 heures depuis 2005 pour qui il couvre l'actualité régionale du Nord vaudois. Au-delà de ces frontières géographiques, il a un intérêt marqué pour les sujets touchant au monde des animaux (les oiseaux en particulier) et au domaine du sport. Plus d'infos @fredravussin
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