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La Presse
09-07-2025
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« Il a pris les plateaux et il me les a pitchés dessus »
« Il a pris les plateaux et il me les a pitchés dessus » Un chef aujourd'hui bien placé à Montréal raconte s'être fait offrir un emploi par Jérôme Ferrer après une journée d'observation dans la cuisine d'Europea. C'était en 2014. « Les deux, trois premiers mois, il y avait de la pression et c'était très toxique comme cuisine, mais ça se passait assez bien. » Il raconte que le chef réputé a peu à peu commencé à l'accueillir en dénigrant son mode de vie – « j'étais un petit gars bien tranquille » – et son travail devant tout le monde. Lorsque M. Ferrer était présent en cuisine, il avait l'habitude de désigner un « souffre-douleur » afin de le « défoncer », souligne le jeune chef. Ce leitmotiv au fil des ans est corroboré par une douzaine de sources interviewées par La Presse. Un certain soir d'été, c'est à son tour d'être « défoncé ». L'ancien chef de partie – poste qui désigne le responsable d'une section de la cuisine – avait comme mandat de préparer des tasses de cappuccino de bisque de homard à la truffe, un classique de la maison. Il trimballait ensuite les plats montés dans de petits plateaux. « Ferrer est passé et m'a dit : 'Si tu m'envoies de la marde, je te la renvoie dans la face.' » Vers la fin du service, raconte le cuisinier, Jérôme Ferrer ne lui avait toujours pas adressé de reproches. C'est là que je l'ai vu dans le reflet de la vitre prendre un [marqueur] Sharpie et faire une petite trace sur l'une des tasses ; je savais que j'étais dans la marde. Un ancien chef de partie chez Jérôme Ferrer Europea M. Ferrer lui aurait ensuite attribué cette imperfection, poursuit notre source, qui a requis l'anonymat parce qu'il craint des représailles professionnelles et parce qu'il ne souhaite pas revivre ces évènements difficiles publiquement. « Il a pris les plateaux et il me les a pitchés dessus, un après l'autre. Il y avait de la bisque partout sur mon poste, la vaisselle a explosé. J'ai figé. Je suis parti dehors et je me suis mis à brailler comme un gros bébé. » Mathieu Perreault-Jessery, aujourd'hui chef propriétaire du bistro Le coup monté, dit avoir été témoin de la scène. « Il aurait vraiment pu le blesser, la bisque était brûlante. » Jérôme Ferrer nie en bloc « C'est une caricature de qui et n'importe qui, mais tellement pas de moi », rétorque Jérôme Ferrer, qui se dit prêt à passer un test de polygraphe. Je réfute. Non, je condamnerais de tels comportements. C'est faux, c'est un mensonge. Jérôme Ferrer De violents accès de colère au restaurant Europea ont été décrits à La Presse par 23 anciens employés, dont 6 qui ont accepté de témoigner à visage découvert. Les autres ont dit craindre des répercussions professionnelles. Pour plusieurs, l'étoile Michelin décernée au célèbre restaurant de la rue de la Montagne, à Montréal, laisse un goût amer. Ils décrivent un climat malsain sur une période qui s'étire de 2006 à 2025. Le chef exécutif et ses associés, Patrice De Felice et Ludovic Delonca, ont répondu aux questions de La Presse lors d'une longue entrevue dans les bureaux de la firme de relations publiques Mercure conseil. Souvent absent de la cuisine, M. Ferrer est montré du doigt pour avoir à la fois participé aux abus et cautionné ceux de subalternes. Le chef exécutif d'Europea balaie du revers de la main ces allégations, les attribuant à une très faible proportion – moins de 1 % – d'ex-employés qui agissent par « vengeance » ou par « déception » après des insatisfactions professionnelles. Il se dit lui-même victime de harcèlement en ligne par d'anciens employés. « On ne va pas nier que pour certains, ç'a été très difficile », souligne M. Ferrer. « Beaucoup de monde qui espère avoir les compétences pour passer à un poste supérieur n'accepte pas de se le faire refuser par nous. Je peux comprendre la frustration, je peux comprendre le sentiment qui va se développer, c'est humain. » Les acteurs de l'industrie gastronomique interviewés par La Presse – beaucoup ont travaillé dans des restaurants étoilés en France – soulignent que les grandes tables sont souvent des lieux de pression et d'intensité. Or, Europea se démarque nettement des pratiques courantes au Québec, ont dénoncé de nombreux intervenants. Certains ex-employés avec qui La Presse s'est entretenue et qui ont un curriculum vitæ garni parlent toutefois d'une expérience formatrice et bénéfique, quoiqu'exigeante. Ils n'ont pas été inclus au nombre des dénonciateurs. Nous avons aussi contacté huit anciens employés à partir d'une liste de dix noms fournie par l'équipe de direction du restaurant : tous ont vanté leur expérience et ont dit ne pas avoir observé ou vécu d'abus. Le restaurant Jérôme Ferrer Europea fait partie de la prestigieuse association Relais & Châteaux et est membre des Grandes Tables du Monde. Le restaurant a été fondé en 2002 par trois amis : M. Ferrer ainsi que M. De Felice et M. Delonca, respectivement chef de cuisine et maître de maison. Jérôme Ferrer, qui est aussi auteur, intervient régulièrement dans les médias. Il est chef ambassadeur d'Air Canada. En 2024, il a reçu une reconnaissance de l'Ordre national du Canada pour service méritoire.


La Presse
09-07-2025
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Des comportements qui ne datent pas d'hier
Les faits reprochés à M. Ferrer s'étirent sur de nombreuses années – et les femmes n'y ont pas échappé Les doléances des cuisiniers recrutés par Jérôme Ferrer ne datent pas d'hier. En 2013, Nicolas Geoffray, attiré par l'appellation Relais & Châteaux d'Europea, est venu de New York pour y travailler avec un permis fermé. Après une courte lune de miel, M. Geoffray dit avoir été « rabaissé » violemment par un chef de l'époque ainsi que par les copropriétaires MM. Ferrer et De Felice. Il décrit une « ambiance malsaine, toxique » qui lui a laissé des séquelles psychologiques. Lorsqu'il a pu partir pour un autre employeur, respectueux celui-là, M. Geoffray raconte avoir craqué. « J'ai pensé que je ne savais plus cuisiner. J'ai fondu en larmes dans la cuisine du Pastaga en me disant : 'Je ne sais plus rien faire.' J'étais tellement essoré. » Le chef dit aujourd'hui témoigner de son vécu avec sérénité, pour des motifs thérapeutiques. Comme d'autres chefs interviewés par La Presse, il voit un seul côté positif à son passage chez Europea : il s'est ouvert à plus d'empathie et d'écoute. Surtout, il dit savoir quoi ne pas répéter avec sa propre équipe. Je ne veux plus faire ça, gueuler sur les gens. À un moment donné, on plonge dans cette atmosphère et on est vraiment dans le syndrome de Stockholm. C'est le management de la terreur ; il faut faire le plus peur possible aux gens, les envoyer chier. Nicolas Geoffray, ancien employé chez Europea M. Ferrer rejette cette description. « J'ai vécu l'enfer pendant deux mois, on me descendait de la tête aux pieds », explique pour sa part Rémy Couturier, qui a atterri à Europea en 2015. Il dit avoir gagné un peu de respect lorsqu'il est devenu « chef de partie ». Mais c'était maintenant à lui d'imposer sa loi : il indique avoir été formé pour devenir un « tyran de cuisine ». PHOTO FACEBOOK FOURNIE PAR RÉMY COUTURIER Rémy Couturier dans la cuisine d'Europea en 2015 « Patrice De Felice m'a dit : 'T'es bon pour cuisiner, mais là, je ne te paie plus pour être cuisinier, je te paie pour crier après les gens à ma place.' Ça prend de la discipline en cuisine, mais il y a une ligne entre la discipline et le harcèlement, et on la franchissait la plupart du temps. » Une « soif de pouvoir inconsciente », dit M. Couturier, lui est montée à la tête. « Je suis devenu une personne que je n'aurais jamais cru devenir. Je faisais brailler du monde. Ça m'a détruit complètement et je suis tombé en dépression. » « Pour certains, l'autorité de dire à sa brigade : 'Fais ça, fais ça, fais ça', ils n'y arrivent pas », répond Jérôme Ferrer à la défense de M. De Felice, à son côté. « Ils vont dire : 'je suis un tyran'. Non, tu n'es pas un tyran, c'est ton devoir, c'est ton poste, c'est ta responsabilité. Ce n'est pas fait pour tout le monde. » Le constat d'un ancien chef de partie qui a travaillé dans la cuisine d'Europea de 2012 à 2014 résonne parmi d'autres témoignages : « Le chef Patrice De Felice, bien que sévère, ne participait pas à envenimer l'environnement de travail comme le faisaient Jérôme et d'autres cuisiniers influencés ou s'étant adaptés pour 'survivre', moi inclus dans une certaine mesure », note-t-il. D'autres reprochent surtout à M. De Felice sa « complicité » passive. « Une autre planète » Mathieu Perreault-Jessery, aujourd'hui chef propriétaire du bistro Le coup monté à Repentigny, raconte que dès son deuxième soir à Europea, en 2013, il a compris qu'il était « arrivé sur une autre planète ». Le jeune homme est alors inexpérimenté. « J'ai fait une gaffe et Jérôme Ferrer et son sous-chef m'ont engueulé et ridiculisé devant tout le monde. C'était totalement démesuré. » PHOTO FACEBOOK FOURNIE PAR MATHIEU PERREAULT-JESSERY Mathieu Perreault-Jessery dans la cuisine d'Europea Les engueulades – « t'es un trou de cul, un moins que rien, ton travail est dégueulasse, tu devrais avoir honte » – se sont répétées soir après soir, raconte-t-il. Un acharnement qu'il qualifie de « violence psychologique ». « J'ai l'impression d'avoir passé un an en prison. » M. Ferrer, encore, dément cette version. C'est de la diffamation, du salissage. Il fait partie des gens comme tant d'autres avec qui on va régler nos comptes. Jérôme Ferrer « J'ai vu des jeunes qui étaient bons en cuisine, mais qui ont tout arrêté après Europea », souligne le pâtissier français Dorian Marcinek, aujourd'hui entrepreneur aux États-Unis. Il garde un souvenir doux-amer de son court passage en 2015. « Il y avait beaucoup plus de contre que de pour, mais il ne faut pas cracher dans la soupe », dit-il. « Il y a un apprentissage à Europea, à commencer par gérer la pression. » M. Marcinek dit s'être bien entendu avec Patrice De Felice, d'origine marseillaise tout comme lui. « C'est quelqu'un d'exigeant, mais de droit », explique le pâtissier. De la part de l'associé, les « cartouches » (engueulades) qu'il a reçues étaient justifiées, croit-il, contrairement à celles envoyées par un autre chef de cuisine « dressé pour faire le sale boulot ». Quant à Jérôme Ferrer, il explique ne l'avoir vu au travail qu'une seule fois en trois mois. Le cuisinier juge toutefois que le chef exécutif d'Europea, en apposant son nom au restaurant, est responsable du climat de travail. « J'en avais vu des cuisines dures, mais à Europea, ce n'était pas justifié », souligne M. Marcinek Le chef Mathieu Perreault-Jessery explique vouloir témoigner aujourd'hui pour promouvoir « tout le contraire de ce qu'il a vécu à Europea », dans son restaurant et dans l'industrie en général. « Je veux considérer chaque employé comme une personne à part entière, et m'adapter à chacun. Je veux être un accompagnateur et faire une différence pour qu'ils se rappellent leur passage au Coup monté comme une expérience qui les a fait grandir. » M. Perreault-Jessery indique ne pas garder de séquelles psychologiques de son passage à Europea, contrairement à au moins six cuisiniers ou chefs qui se sont confiés à La Presse. Toutes des « miss » Cinq femmes, minoritaires dans la cuisine d'Europea, décrivent une ambiance sexiste. « Jérôme ne regardait jamais les femmes, même quand il nous parlait », se rappelle Maïté Beaudoin, qui décrit son stage à Europea en 2015 comme sa pire expérience professionnelle, une formule utilisée par plusieurs intervenants. Alors que les cuisiniers avaient le « privilège » d'être désignés par leur prénom, les femmes étaient appelées « la miss » par les patrons, y compris M. Ferrer, souligne Mme Beaudoin, deux autres collègues féminines ainsi que des témoins masculins. « J'ai reçu un rappel à l'ordre verbal et je m'en suis immédiatement excusé », réagit M. Ferrer. « Par mégarde, il n'y avait rien d'intentionnel, j'avais dit 'la miss'. » De façon répétée ? « Comme 'petit', 'mon gars', oui, ça peut arriver, mais du sexisme, non. Tous les postes cadres chez nous sont tenus par des femmes. » Une cheffe de partie qui dit s'être aperçue après son départ avoir subi du « harcèlement moral » explique être partie d'Europea en 2022 à la suite d'une insulte sexiste de M. Ferrer. « Tu sens vite que tu es inférieure parce que tu n'as pas le droit à un prénom », dit une ancienne pâtissière, qui précise que M. Ferrer et ses associés ne lui adressaient la parole directement que pour l'« engueuler ». C'était en 2012-2013. Elle dit avoir elle-même été victime de deux « pétages de coche » particulièrement marquants. « T'es conne, tu ne sers à rien… C'était des insultes liées à l'intelligence. »