21-07-2025
La bimbo qui jouait du Chopin
Peut-être avez-vous vécu cette expérience. Vous ouvrez un album de photos et vous tombez sur des clichés de vos parents dans leur prime jeunesse. Une étrange sensation s'empare de vous, celle de vous retrouver en face d'une femme et d'un homme qui vous semblent étrangers.
La chose devient encore plus marquante quand des gens de votre entourage vous offrent une image d'eux qui n'a rien à voir avec celle que vous avez toujours eue.
Connaît-on vraiment ses parents ? Je veux dire, les connaît-on autrement que dans leur rôle de pourvoyeurs de soins et d'éducation qu'ils ont joué pour nous ?
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Cette question cruciale est au cœur du documentaire My Mom Jayne, que l'actrice Mariska Hargitay a réalisé sur la vie de sa mère, Jayne Mansfield, et qui est offert sur Crave. Je pensais découvrir l'histoire d'une actrice de seconde zone, copie édulcorée et cheap de Marilyn Monroe, j'ai plutôt eu droit à un film saisissant sur une quête familiale.
Surnommée « la blonde idiote la plus intelligente d'Hollywood », Jayne Mansfield sera d'abord mère avant d'être l'un des plus grands sex-symbols de son époque.
Elle se marie une première fois à 17 ans, en mai 1950, et accouche d'une fille six mois plus tard.
Son désir de devenir actrice est si grand qu'elle s'installe à Los Angeles au milieu des années 1950. Elle est prête à tout pour se faire voir, même à vendre des bonbons dans un théâtre. Et ça marche.
Elle décroche une audition au cours de laquelle elle présente un extrait de la pièce Jeanne d'Arc. C'est que la jeune femme a de la culture. Elle a étudié en psychologie et en théâtre, parle cinq langues, joue du violon et du piano, connaît les grands compositeurs classiques et posséderait un QI de 163.
Mais le directeur de casting qui la rencontre ne retient d'elle que ses mensurations. Il lui dit qu'elle « gâche ses talents évidents » et lui demande d'éclaircir la couleur de ses cheveux.
Jayne Mansfield accepte de devenir la « bombe » qu'on voit en elle en se disant qu'elle pourra faire ce qu'elle voudra une fois célèbre. Elle ne sait pas qu'elle vient d'entrer dans une spirale contrôlée par des hommes de pouvoir.
Tout en enchaînant les rôles d'idiote sexy, elle quitte son mari et se marie avec Mickey Hargitay, un ex-Monsieur Univers d'origine hongroise avec qui elle aura trois enfants. Cet Apollon sera un mari et un père exemplaire.
PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION
Jayne Mansfield en couverture de l'édition d'avril 1956 du magazine américain Life
Contrairement à Marilyn qui collectionne les amants tout en répandant l'image d'une femme n'appartenant qu'à ses admirateurs, Jayne Mansfield mène sa vie de femme mariée et de mère aimante avec la même passion que son métier d'actrice.
Chaque fois qu'un de ses enfants relate un souvenir particulier vécu avec elle, cela se fait dans les larmes. Mais pour Mariska (Maria), les choses sont différentes.
Ayant peu connu sa mère (elle avait 3 ans lorsque l'actrice est morte), elle a longtemps entretenu un sentiment de honte à l'égard de celle qui n'hésitait pas à prendre des poses suggestives devant les photographes et à adopter une voix sensuelle qui n'avait rien à voir avec celle qu'elle avait à la maison.
PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION
Mariska Hargitay
La mort de Marilyn Monroe, en 1962, est un choc pour Jayne Mansfield. Elle décide de se débarrasser de son image de blonde stupide. Elle adopte un look plus sage. Cela ne passe pas. Lors de son passage à l'émission de Jack Paar, le très macho animateur lui dit : « Comment changer ? C'est comme cacher un parachute ! » Puis, après lui avoir demandé de jouer un peu de violon, il lui lance au bout de quelques secondes : « On s'en fout ! Embrassez-moi ! »
La carrière de Jayne Mansfield se met à piquer du nez. Celle qui vient à peine d'avoir 30 ans est réduite à faire des apparitions promotionnelles dans des cabarets. L'alcool et les pilules s'invitent. C'est dur pour le couple. Elle quitte Mickey et se marie avec Matt Cimber de qui elle a un enfant. L'homme est violent. Le matin, elle met des verres fumés devant les enfants.
Le 29 juin 1967, après un spectacle dans un bar, elle monte à bord d'une voiture entre un chauffeur et son amant du moment, son avocat Sam Brody. Trois de ses enfants sont sur la banquette arrière. C'est la nuit. On roule vite. La voiture emboutit un camion. Jayne, alors âgée de 34 ans, et les deux hommes meurent. Les trois enfants survivent miraculeusement.
Quand arrive cet accident tragique, nous sommes à la moitié du documentaire. La réalisatrice part alors à la recherche de souvenirs pouvant la relier à cette mère inconnue. Elle veut comprendre certaines choses.
Cet exercice douloureux devient un chemin tortueux qui la guidera vers la vérité. Je ne vais évidemment pas vous dire ce qu'on apprend.
Sans doute habité par des préjugés, je m'attendais à voir un film divertissant sur une bimbo qui a mal tourné, j'ai plutôt vu un fabuleux documentaire sur… les préjugés. Ceux-ci sont des années 1950 et 1960. Mais ils pourraient être ancrés dans notre époque.
Ces présomptions restent les mêmes. Elles changent de milieu, de vocabulaire ou de couleur de cheveux, c'est tout. Elles continuent de nous maintenir dans une navrante réalité tranquille.
Les préjugés sont la chaise longue de notre conscience. Allongés près d'une piscine en forme de cœur, comme celle de Jayne Mansfield, on peut alors mettre de côté le labeur de la quête de vérité.
Sur Crave