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Au nom des siens
Au nom des siens

La Presse

time4 days ago

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Au nom des siens

J'aurais aimé assister au lancement du dernier livre de Naomi Fontaine. Ça s'est passé le 1er août au musée Shaputuan à Uashat, sur la Côte-Nord, en même temps que le festival de musique Innu Nikamu, où l'auteure avait réuni les aînés de sa communauté qui ont inspiré son quatrième roman, Eka ashate – Ne flanche pas. « C'était très émouvant, me raconte-t-elle. Ils étaient fiers et reconnaissants de savoir que leur parole allait être transmise, qu'elle allait exister et rester, je l'ai senti comme ça. » Après le très célébré Kuessipan (2011), qui a récemment remporté le Combat national des livres, Manikanetish (2017) et Shuni (2019, Prix littéraire des collégiens), on attendait impatiemment le nouveau roman de Naomi Fontaine, qui a choisi cette fois de raconter la génération ayant vécu les pensionnats, mais sous l'angle de leur adaptation, malgré toutes les volontés d'éradiquer leur culture. PHOTO FOURNIE PAR MÉMOIRE D'ENCRIER Lancement du roman de Naomi Fontaine à Uashat Le titre du livre provient d'un conseil de Jean-Guy, un homme qui devait accueillir Naomi et ses enfants pour un séjour d'immersion en forêt. Mais plusieurs pépins ont entravé ce projet, notamment un malaise cardiaque de Jean-Guy, qui a pourtant insisté auprès de Naomi pour qu'elle fasse tout de même le voyage. « Ce que tu as entrepris dans ton cœur, d'amener tes garçons en forêt, de leur montrer le territoire, fais-le », lui a-t-il dit. « Eka ashate. Ne flanche pas. Eka ashate. Fais-le. » Cette persévérance, Naomi Fontaine voulait l'immortaliser, car les Innus ont longtemps gardé le silence sur ce qu'ils avaient vécu. « Quand ils sont revenus des pensionnats, ils étaient perdus autant que leurs parents étaient perdus, explique-t-elle. Ils n'avaient plus de repères, ils étaient rendus dans des réserves, toutes les traditions avaient été coupées. Il a fallu réapprendre à vivre, en famille, dans une communauté, et dans une réserve, au lieu de la forêt. Ça a été vraiment un grand apprentissage et c'est un peu ça, le livre, cet apprentissage d'une nouvelle vie. Parce que, quand j'y pense aujourd'hui, je me dis que c'est incroyable, ça tient presque du miracle que ma culture soit encore vivante. » Une mère courage Naomi Fontaine pensait recevoir de grands récits des aînés de sa communauté, mais elle s'est rendu compte que ce sont dans les petits gestes de résistance que sa culture a survécu. Et c'est dans le parcours de sa propre mère qu'elle a trouvé le fil conducteur pour relier toutes les histoires récoltées. Cette femme qui, à 35 ans, mère de famille monoparentale, est allée vivre à Québec pour se lancer dans des études universitaires. Sans avoir vraiment de modèles dans cet autre monde, cette autre culture qu'elle croyait meilleure que la sienne. Mais dans cet exil intérieur, elle continuait de parler en innu-aimun à ses enfants. Si les transfuges de classes ont la cote ces dernières années en littérature québécoise, imaginons ce que ça a dû être comme saut pour la mère de Naomi de sortir de sa réserve pour aller à l'université. « En fait, c'est vraiment l'histoire d'une décolonisation, note Naomi Fontaine. Comment on part de l'idée que notre culture n'est pas bonne, d'une honte certaine d'être innue, et qu'on finit par apprendre à nos enfants qu'il n'y a pas de limites, même si l'on est une femme, et une femme innue. » PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE Naomi Fontaine, en 2023 On sent effectivement beaucoup de fierté dans cet hommage à sa mère, dont Naomi a suivi les traces en quelque sorte, puisqu'elle avait défriché le terrain. « On a cette force-là de retourner dans la communauté, de travailler pour les Innus, avec les Innus, en accord avec notre culture, notre vision du monde, et de reconnaître que tout ça a de la valeur, finalement. Ça a été un combat quotidien d'exister, tout simplement. Et aujourd'hui, notre combat est de faire perdurer cette culture-là. Peut-être qu'un jour, ce sera naturel d'entendre la langue innue partout, de connaître l'histoire et l'apport des cultures autochtones. On est dans ce processus-là, et moi, ce qui m'encourage énormément, c'est qu'on avance là-dedans. » Dans cette presque naissance des littératures autochtones au tournant des années 2000, j'ai remarqué que les femmes sont beaucoup plus nombreuses à avoir pris la plume. Cela n'étonne pas Naomi Fontaine, qui souligne qu'elles ont tenu les familles et les communautés à bout de bras, quand les hommes ont été dépossédés de leur rôle traditionnel de chasseur et de pourvoyeur. « Mais il y a une autre chose qui est intéressante, et j'ai voulu le souligner dans le livre, c'est que les hommes, eux, se sont tournés plus vers le chant. Ils ont trouvé leur voix là-dedans, on a beaucoup d'auteurs-compositeurs-interprètes parce que partout dans les communautés innues, le chant est très fort. » Ainsi a-t-elle inséré ces chants dans Eka ashate – Ne flanche pas, un peu comme des intermèdes entre les chapitres, pour rendre hommage à ces hommes. Vers l'avant Naomi Fontaine croyait que sa grand-mère – qui a eu 19 enfants ! – était contre l'idée que sa fille quitte sa communauté pour aller étudier. Or, pas du tout, elle l'a même encouragée à poursuivre cette aventure. « Et c'est là que je découvre vraiment que l'âme innue est loin d'être ce qu'on imagine – de rester recluse. En fait, ça a toujours été d'aller vers l'extérieur, de partir plus loin. Nos ancêtres parcouraient des centaines de kilomètres chaque année. Ma grand-mère devait être forte pour dire : 'J'ai confiance en toi, ma fille.' Il ne faut pas vivre dans la peur, mais dans une certaine certitude que les choses vont bien se passer, malgré les difficultés, si l'on avance. » Et Naomi Fontaine de citer les paroles de l'hymne de Philippe McKenzie, qu'on retrouve dans son livre : « Eukuan kanapua, eukuan kanapua ishinakuanitshe / C'est ainsi, c'est ainsi que les choses devaient se passer. » Depuis que je lis la littérature des Innus, c'est quelque chose qui me frappe, cette façon de ne pas être dans le ressentiment, alors qu'il y aurait de quoi l'être avec ce qu'on leur a fait subir. « Il y a comme un regard de l'Innu qui est toujours vers l'avant, dans l'espoir que les choses vont être belles, dit Naomi Fontaine. Le regard vers le passé, vers le ressentiment, ou le remords même, je l'ai très peu senti chez les aînés. Ils ont plutôt aimé me parler de leurs amours. Leurs premières amours. Leur mariage, comment ils avaient fondé leur foyer, leur famille, leurs liens. Je trouve que c'est un bel héritage. »

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