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La Presse
10-07-2025
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La Presse en République démocratique du Congo
Les services sont prodigués dans diverses cliniques du réseau de santé congolais, où se rendent les équipes de Médecins Sans Frontières. (Buhimba, RDC) Une femme violée toutes les quatre minutes. C'est la moyenne à glacer le sang calculée par des intervenants des Nations unies en février, lorsqu'ils ont tenté de mesurer l'ampleur des violences sexuelles dans l'est de la RDC. Avec les moyens du bord, une petite équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) sillonne cette région déchirée par la guerre pour soigner à la fois le corps et l'âme des victimes. Le bébé gémit, pleure, se tortille dans les bras de Marie* pendant qu'elle raconte son parcours, dans une petite salle de consultation de la clinique de Buhimba, dans le Nord-Kivu. Chassée de chez elle par la guerre, Marie résidait dans un camp de déplacés, il y a près de deux ans, lorsqu'elle s'est aventurée seule dans le parc national des Virunga pour ramasser du bois de chauffage. C'était une des seules façons pour elle de gagner quelques sous, en vendant le bois au bord de la route. Des hommes armés ont surgi de la forêt et l'ont violée. Elle s'est retrouvée enceinte de sa fille, aujourd'hui âgée de 1 an. Après avoir accouché, toujours incapable de rentrer chez elle, elle a pratiqué une agriculture de subsistance près du camp, travaillant à la sueur de son front, le bébé accroché dans son dos avec un foulard. Quelques mois plus tard, Marie a eu besoin d'argent. Elle est retournée dans le parc national pour ramasser du bois. Le scénario d'horreur s'est répété, comme un cauchemar récurrent : des hommes en armes, la séquestration, le viol, et une deuxième grossesse. Son deuxième bébé, un garçon, est né ici, à la clinique de Buhimba, il y a trois semaines. Il l'attend à l'extérieur pendant la consultation. « J'ai su qu'ici, on traite les femmes victimes d'agressions », dit-elle doucement. Des dizaines de milliers de victimes Marie bénéficie d'un suivi dans le cadre d'un programme de l'organisme Médecins Sans Frontières (MSF), qui offre une prise en charge médicale et psychologique aux victimes de violences sexuelles de l'est de la RDC, une zone déchirée par les conflits depuis une trentaine d'années. Les intervenantes se déplacent vers des cliniques du maigre réseau de soins de santé congolais à travers la région. Elles offrent des traitements contre les infections sexuellement transmissibles, des contraceptifs d'urgence, des vaccins, de l'aide à l'avortement, au besoin. Les cas les plus graves sont redirigés vers des hôpitaux. Outre le personnel de MSF proprement dit, des employés des cliniques locales reçoivent une prime pour leur participation au programme de l'ONG. En 2024, alors que les combats entre les forces gouvernementales et l'armée rebelle du M23 faisaient rage, MSF a pris en charge près de 40 000 victimes dans la province du Nord-Kivu, un nombre sans précédent. Marie est reconnaissante pour les soins médicaux reçus à la clinique, mais aussi pour l'aide psychologique qui l'a aidée à retomber sur ses pieds après des agressions très traumatisantes. « On m'a montré à faire baisser les émotions », résume-t-elle. Une arrière-grand-mère à l'affût Pendant la rencontre, Amoin Sulemane garde les yeux rivés sur le bébé de Marie. Cette arrière-grand-mère, gestionnaire des activités de pratique sage-femme au sein du programme d'aide aux victimes de violences sexuelles, a vu de ses yeux toute la détresse du monde au fil de ses missions, que ce soit dans sa Côte d'Ivoire natale, en Haïti, au Niger, en Centrafrique et à bord du navire de MSF dans la Méditerranée, où elle a pratiqué un accouchement en pleine mer. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Amoin Sulemane est la gestionnaire des activités de pratique sage-femme au sein du programme d'aide aux victimes de violence sexuelles de Médecins Sans Frontières. Elle voit bien qu'il y a quelque chose qui cloche chez le bébé de Marie. Elle prend son bras, y décèle un œdème, signe probable de malnutrition. « Elle a 1 an ? Elle mange quoi ? », s'enquit-elle. « Elle est sevrée », explique la mère, qui allaite seulement son garçon naissant. La sage-femme intervient : elle explique à la mère qu'il faut donner du lait maternel à l'aînée aussi. Elle l'emmène à l'écart, lui offre un jus et des biscuits, puis tente de l'inscrire à un programme de lutte contre la malnutrition. Elle demande à Marie son numéro de téléphone pour assurer un suivi de la santé des enfants. La mère n'a pas de téléphone, mais une carte SIM qu'elle peut insérer dans le téléphone de son voisin au besoin, le temps d'un appel. Un rendez-vous de suivi est fixé. « C'est une situation dramatique. Je vais essayer de voir ce qu'on peut faire », résume Mme Sulemane. À Buhimba, La Presse a pu rencontrer cinq femmes suivies par MSF. Toutes ont été victimes d'hommes armés, en uniforme militaire, qui les ont saisies de force et agressées sexuellement. Elles ignorent à quelle faction ils appartenaient : une multitude de groupes armés ont opéré dans la région ces dernières années. « Ils portent tous le même genre de tenues », fait observer Mme Sulemane. Le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a souligné l'hiver dernier que les violences sexuelles étaient utilisées comme « arme de guerre » en RDC, « en particulier par les groupes armés non étatiques, mais aussi par les forces armées et les forces de police congolaises ». Le but est de « punir les groupes rivaux et inspirer la peur aux civils ». Ne rien dire aux maris Pour Maombi, qui résidait jusqu'à récemment dans un camp de déplacés avec son mari et ses six enfants, le drame est survenu à cause d'une panne d'autobus. Elle avait entendu dire que des travailleurs humanitaires distribuaient de la nourriture dans sa région d'origine, à quelques heures de route du camp. Elle avait utilisé le transport collectif, avec un groupe d'hommes et de femmes. Malheureusement, le véhicule est tombé en panne en pleine nuit. Des hommes en habits de combats sont arrivés. Ils ont battu les hommes, puis « toutes les femmes ont été violées ». Quatre hommes armés s'en sont pris à elle. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Bien des femmes violées alors que la crise en RDC fait rage craignent d'être rejetées par leur mari si la chose est connue. À son retour à la maison, elle n'a rien dit à son mari, par crainte de sa réaction. « Il va me jeter, s'il sait », dit-elle. Beaucoup d'hommes en RDC rejettent les femmes victimes d'agression sexuelle, comme s'il s'agissait d'une tare. « Je ne peux pas le dire à ma famille parce que la famille pourrait le dire à mon mari, et il ne pourrait pas accepter de me voir comme ça », renchérit Sifa, 35 ans et mère de quatre enfants, violée elle aussi alors qu'elle s'était aventurée dans la brousse pour ramasser du bois de chauffage. « Je suis encore jeune fille. Si des garçons entendent que j'ai été violée, je risque de perdre la possibilité d'un mariage », explique pour sa part Judith, 28 ans, qui a vu des agresseurs armés faire irruption à 2 h du matin dans la maison qu'elle partage avec sa mère. Les civils se sentent souvent impuissants à changer les choses, dans un pays où les armes imposent leur loi. Nadège, agressée sexuellement par des pillards qui avaient investi sa maison à 4 h du matin et volé tous ses biens de valeur, raconte que ses voisins n'ont pas osé intervenir. « Si tu cries, on va entrer chez toi et te tuer », constate-t-elle. Elle dit avoir réussi à se sentir mieux grâce à l'aide du programme de MSF et espère que les soins demeureront accessibles tant que la crise ne se sera pas résorbée. Pour le reste, « on laisse tout dans les mains de Dieu », dit-elle. « S'il pouvait changer les choses, ce serait bien. » * Prénom fictif : Toutes les victimes d'agression sexuelle rencontrées dans le cadre de ce reportage se sont exprimées à condition que leur identité soit protégée.


La Presse
07-07-2025
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« Nous n'étions pas prêts, mais ils nous ont forcés »
Les rebelles qui tiennent l'est de la République démocratique du Congo ont vidé des camps de déplacés qui abritaient plus de 100 000 personnes l'hiver dernier : un défi lancé au visage de l'ONU et des organisations humanitaires. Pour les gens renvoyés à la maison dans une région meurtrie, le retour est difficile, ont constaté nos envoyés spéciaux. Un reportage de Vincent Larouche et de Martin Tremblay. La Presse en République démocratique du Congo Le dur retour dans des villages meurtris « Nous n'étions pas prêts, mais ils nous ont forcés » Claudine Ayubusa (au centre) a trouvé sa maison constellée de trous à son retour à Sake après un séjour dans un camp de déplacés. « Nous n'étions pas prêts, mais ils nous ont forcés » (Sake, République démocratique du Congo) « Voyez, la maison a été endommagée par les bombes », laisse tomber Claudine Ayubusa, en pointant les murs et le toit constellés de trous, dans la modeste demeure qu'elle habite avec ses sept enfants. Envoyé spécial Vincent Larouche Équipe d'enquête, La Presse Envoyé spécial Martin Tremblay La Presse « J'aurais besoin de tôle, de planches… de nourriture aussi », énumère la veuve de 35 ans, l'air résigné. Mme Ayubusa et ses enfants vivaient dans un camp de déplacés jusqu'à février dernier. Ils avaient fui leur maison de Sake, une petite localité de la province du Nord-Kivu, en RDC, en raison de la violence des combats qui ont fait rage dans la région ces dernières années. Carrefour stratégique, Sake était âprement disputée dans la guerre que se livraient le gouvernement et l'armée rebelle du M23, appuyée par le Rwanda voisin. Les chefs rebelles disent avoir pris les armes en réaction aux persécutions de la communauté tutsie, dont plusieurs d'entre eux sont issus, ainsi que pour mettre fin à la mauvaise gestion du pays par le gouvernement établi à Kinshasa, la capitale. Leur offensive leur a aussi permis de contrôler d'importantes ressources minières qui sont exportées vers le Rwanda. L'hiver dernier, le M23 a étendu son emprise sur l'est de la RDC de façon fulgurante. Il a fait reculer les forces gouvernementales, qui étaient appuyées par des Casques bleus des Nations unies ainsi que par une force multinationale de pays africains. Les rebelles, suspicieux à l'endroit de l'ONU et des groupes humanitaires qui s'occupaient des déplacés, ont ensuite décrété que les gens originaires des zones « libérées » devaient retourner chez eux. Ils leur ont donné 72 heures pour faire leurs bagages et quitter les camps. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Un combattant du M23 monte la garde près de Sake, une localité du Nord-Kivu. L'opération a été présentée comme un retour volontaire, mais sur le terrain, les gens disent ne pas avoir eu le choix. « Nous sommes de retour à cause du M23. Ils nous ont dit de retourner. Nous n'étions pas prêts, mais ils nous ont forcés », déplore Claudine Ayubusa. « On ne peut pas dormir dans une maison pareille » Justin Samyura Musanganja, lui, a laissé ses sept enfants en famille dans la grande ville, à Goma, lorsque l'ordre d'évacuation des camps est tombé. Il loue actuellement une chambre avec sa conjointe chez un voisin, pendant qu'ils tentent de réparer la maison familiale, percée de trous comme un gruyère. « On ne peut pas dormir dans une maison pareille », se désole-t-il. D'autant que la résidence a été pillée. On a perdu tout le matériel, les habits, même les cahiers d'école des enfants. Justin Samyura Musanganja Une peu plus loin, Chance Bahati Pupenda se dresse devant une cabane rudimentaire, son bébé accroché à son dos. Veuve elle aussi, elle subvient aux besoins de ses dix enfants en ramassant du bois de chauffage qu'elle vend au bord de la rue. Comme tant d'autres, elle a été forcée de quitter le camp de déplacés pour revenir à la maison avec sa famille. Le hic : en raison de la guerre, il n'y avait plus vraiment de maison. Elle a trouvé le bâtiment presque entièrement détruit. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Les déplacés ont reçu peu d'aide lorsqu'ils ont été forcés de rentrer à la maison. « Le M23 a dit qu'ils ne veulent pas de camps de déplacés ! Ils ont dit : il y a la paix, alors tous doivent rentrer. Nous n'étions pas prêts, car il n'y avait pas de maison où rentrer », raconte-t-elle. Elle a utilisé des morceaux de bois et des bâches ramenées du camp de déplacés pour rafistoler un abri. La mère de famille n'idéalise pas pour autant la vie dans les camps : la situation y était aussi difficile, souligne-t-elle. « Tout le monde est tombé malade, même les enfants », dit-elle. Un cheval de bataille Pour les rebelles, qui ont fait du retour des déplacés à la maison un de leurs chevaux de bataille, il n'était pas question de garder indéfiniment des centaines de milliers de personnes entassées dans des camps. Il fallait pousser pour un début de retour à la normale, un redémarrage des activités. « La situation est stabilisée, alors ils retournent dans leurs villages », expose Oscar Balinda, l'un des porte-parole du M23. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Lorsqu'on les a forcés à quitter les camps de déplacés, les résidants de Sake sont partis avec les bâches pour réparer ou reconstruire leurs habitations endommagées par les combats. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Plusieurs résidants ont retrouvé leur maison détruite et logent maintenant dans des abris de fortune. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Les familles ont eu à peine 72 heures pour plier bagage et évacuer les camps où elles vivaient. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE L'ONU déplore que les populations qui ont été dispersées lors de l'évacuation des camps soient aujourd'hui plus difficiles à joindre. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Danse traditionnelle à Sake, un carrefour stratégique qui a été le théâtre de violents combats ces dernières années 1 /5 L'ONG Human Rights Watch ne l'entend pas ainsi. Elle a vigoureusement dénoncé les rebelles pour cette évacuation « illégale ». « L'ordre du M23 d'expulser de force des dizaines de milliers de personnes déplacées de camps pour les envoyer vers des zones sans aucun soutien est à la fois cruel et susceptible de constituer un crime de guerre », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior de l'organisme, dans un communiqué. Le coordinateur humanitaire des Nations unies en RDC, Bruno Lemarquis, a quant à lui déploré la disparition de ces endroits où l'aide pouvait facilement être acheminée de façon centralisée aux déplacés. « Beaucoup d'aide humanitaire, au cours des deux dernières années, était livrée directement sur site, autour de Goma, alors que maintenant, pour tous les gens éparpillés dans des centres collectifs ou qui sont retournés dans leur village d'origine, il faut transformer la manière dont on travaille », a-t-il expliqué dans un entretien publié sur le site de l'ONU. Il y a des principes qui sont connus : les retours doivent être volontaires, doivent être dignes, doivent être faits dans la sécurité. Ce n'est pas exactement comme ça que ça se passe. Bruno Lemarquis, coordinateur humanitaire des Nations unies en RDC Oscar Balinda prend ces critiques avec un grain de sel. Selon lui, les organisations internationales qui offrent des services dans les camps ont parfois tendance à encourager ce modèle, car elles y trouvent aussi leur compte. « Les ONG, les humanitaires, leur gagne-pain, ce sont les déplacés », accuse-t-il. PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE Les Casques bleus de l'ONU, qui ont combattu sans succès du côté des forces gouvernementales, se font maintenant discrets dans les zones tenues par les rebelles. Ils ne portent plus d'armes en public. Quant à la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), dont les soldats se déplacent désormais sans armes dans les zones contrôlées par le M23, lorsqu'ils ne demeurent pas confinés dans leurs bases, son opinion ne semble pas peser lourd. « La MONUSCO ? Ce sont des touristes », dit en rigolant Oscar Balinda.