11-08-2025
Tamara Funiciello veut une Constitution pensée aussi par les femmes
Tamara Funiciello, présidente des Femmes socialistes, veut une révision féministe de la Constitution. Contreproductif en pleine poussée conservatrice? Publié aujourd'hui à 08h30
Tamara Funiciello (PS/BE) est à la tête des Femmes socialistes.
Nicole Philipp/Tamedia AG
L'égalité entre hommes et femmes est déjà inscrite dans la Constitution. Une révision féministe est-elle nécessaire?
L'égalité existe en théorie. Mais dans les faits, on en est encore loin. L'écart de rémunération est toujours de 43% entre les hommes et les femmes. Les femmes sont les principales victimes de la violence domestique. Et le droit à l'autodétermination corporelle et sexuelle est toujours plus attaqué. Pour ne citer que quelques exemples. Une révision féministe de la Constitution est nécessaire. D'autant plus que la Constitution a été écrite uniquement par des hommes, et pourrait-on dire pour des hommes. Il est temps de prendre en compte les thématiques qui concernent l'autre moitié de la population.
Concrètement, que voulez-vous?
Une autonomie financière pour toutes et tous. Une protection contre la violence patriarcale. Et le droit à l'autodétermination corporelle et sexuelle.
L'autonomie financière, ça veut dire quoi? Donner un job à tout le monde?
Tout le monde a déjà un job. Il n'est juste pas toujours rémunéré. Le travail de care, principalement effectué par les femmes, est l'exemple parfait. La société ne pourrait pas fonctionner sans. Qui s'occuperait des enfants et des personnes âgées? Le problème est que ce travail non rémunéré met en péril l'autonomie financière et la sécurité des femmes. Sans argent, elles ne peuvent pas quitter un mari violent car elles n'ont pas de quoi louer un appartement. L'argent est la base de notre système, et donc de notre liberté et de notre sécurité. Sans, vous êtes complètement dépendant.
Vous voulez donc payer le travail de care non rémunéré?
C'est une réponse possible. On pourrait aussi diminuer le temps de travail hebdomadaire payé, donc augmenter les salaires. Pour moi, ce serait même une des possibilités les plus intéressantes à l'heure de la révolution numérique.
Tamara Funiciello (PS/BE) est aussi conseillère nationale depuis 2019.
Nicole Philipp
Passons au droit à l'avortement. Il n'est pas menacé. Deux initiatives voulant le restreindre ont échoué. Ça changerait quoi de l'inscrire dans la Constitution?
L'avortement n'est pas un droit en Suisse. Il n'est seulement pas punissable. Si ça avait été un droit, il serait écrit dans la Constitution. Or il n'est mentionné que dans le Code pénal. Si le droit à l'avortement n'est pas en danger, pourquoi ne pas l'inscrire dans la Constitution? Mieux vaut prévenir que guérir. Surtout quand on voit la rapidité à laquelle la situation peut changer. Il suffit de regarder aux États-Unis, où la Cour suprême est revenue sur l'arrêt Roe vs. Wade. L'avortement n'est désormais plus garanti au niveau fédéral. En Pologne, il n'est plus autorisé que si la grossesse résulte d'un viol ou que la santé de la mère est menacée.
La Suisse n'est pas les États-Unis ou la Pologne. Les femmes peuvent avorter sans problème…
Certains médecins, peut-être plutôt en Suisse alémanique, ont fait usage de la clause de conscience (ndlr: qui permet à un médecin de refuser un avortement pour des convictions personnelles ou professionnelles) . Il ne faut pas minimiser la montée de l'idéologie conservatrice chez nous aussi. Les premières personnes qui en pâtissent sont les femmes, les personnes LGBT, les migrants et les autres minorités. Les droits de ces personnes doivent être garantis par la Constitution.
Dernier volet: les violences domestiques et sexuelles. Ne sont-elles pas déjà interdites et punissables?
On est déjà à plus de 20 féminicides cette année. Vous savez combien d'argent on met dans la prévention contre les violences faites aux femmes? 1,5 million. Et dans le traitement des chevaux de l'armée? 2,7 millions. Voilà les priorités de notre pays. La vie des femmes est la plus basse des priorités, après les chevaux de l'armée. C'est incroyable! Changer la Constitution ne va pas résoudre tous les problèmes. Mais une loi devra être créée et de l'argent débloqué. Aujourd'hui, tout le monde se refile la patate chaude sur les violences domestiques. Si on inscrit ça dans la Constitution, il y aura un devoir clair de protéger la vie des femmes, et des personnes en général, contre la violence patriarcale. Notre Constitution contient tout et n'importe quoi, comme l'interdiction de la burqa. Pourquoi ne contient-elle pas les droits fondamentaux des femmes?
La facture s'annonce salée. Qui paiera?
La violence faite aux femmes coûte chaque année 350 millions de francs. C'est plus que le budget de la ville d'Yverdon-les-Bains (VD). Et ce chiffre provient d'une étude conservatrice datant de 2013, donc il ne prend même pas en compte l'inflation. La violence est l'une des choses les plus chères pour une société. On demande toujours combien coûte la sécurité des femmes. Mais les scandales à répétition dans l'armée nous font perdre des centaines de millions de francs. Or je ne me rappelle pas qu'un seul Suisse ne soit mort dans une guerre depuis la formation de la Suisse moderne. En revanche, 20 femmes ont été tuées cette année. Ne rien faire coûte des vies, investir pour les protéger me semble le minimum.
Votre proposition est soutenue uniquement par des socialistes. Honnêtement, elle n'a aucune chance de passer. Pourquoi la déposer?
Pour que le débat révèle qui est réellement prêt à agir. Tout le monde est toujours contre les violences faites aux femmes. Mais dès qu'il faut montrer un soutien concret, il n'y a plus personne. La droite devra assumer publiquement de refuser aux femmes une autonomie financière, sexuelle et corporelle. Elle devra assumer de refuser de dépenser de l'argent pour les protéger.
Le féminisme traverse une période de poussée conservatrice. Votre proposition peut apparaître comme une provocation…
Si la vie des femmes est une provocation pour la droite, je provoque.
N'est-ce pas contreproductif pour la cause des femmes?
La droite, ici et ailleurs, veut contrôler la vie et le corps des femmes. Ce n'est pas un fantasme. On le voit avec Trump, Poutine et Meloni. On va au-devant d'un manque de main-d'œuvre. Mais composer avec l'immigration n'est pas une option, pour eux. La droite veut donc obliger les femmes à avoir plus d'enfants, en les empêchant d'avorter et d'être financièrement indépendantes. Il faut tout faire pour éviter ça.
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Delphine Gasche est correspondante parlementaire à Berne depuis mai 2023. Spécialisée en politique, elle couvre avant tout l'actualité fédérale. Auparavant, elle a travaillé pendant sept ans pour l'agence de presse nationale (Keystone-ATS) au sein des rubriques internationale, nationale et politique. Plus d'infos
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