10-08-2025
« À la maison des jeunes, j'ai trouvé une famille »
Des jeunes accompagnés de la coordonnatrice Jasmyne Pierre-Blanc jouent à des jeux de société à la maison des jeunes L'ouverture, dans Montréal-Nord.
Une bonne partie du scénario de Watatatow, téléroman jeunesse des années 1990, s'articulait autour des maisons des jeunes. Où en sont-elles aujourd'hui ? Existent-elles toujours ? Oh, que oui, et elles sont peut-être plus centrales que jamais dans la vie de milliers de jeunes sur lesquels un regard bienveillant et protecteur est posé.
Il est 10 h, et depuis deux heures déjà, une dizaine d'adolescents s'affairent derrière les fourneaux. Les saucisses en pâte et les fondants au fromage vont rejoindre sur la grande table de victuailles les brochettes de fruits frais et les desserts tout chauds. Plein de nourriture, de la bonne musique : c'est jour de fête à la maison des jeunes L'escalier, à Lachine, où l'on inaugure, au sous-sol, des cuisines collectives.
« Au début, ils y allaient un peu fort sur le sel, on n'est jamais certain que ça va être très bon, mais c'est tellement beau de les voir tisser des liens et travailler en équipe ! », lance en riant Jordy Bélance, l'un des coordonnateurs de l'endroit.
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C'est jour d'inauguration de la cuisine collective de la maison des jeunes L'escalier, à Lachine.
Conformément à la philosophie des maisons des jeunes, les adolescents ont été consultés dès le début dans la conception de la nouvelle cuisine, financée par les épiceries Metro et avec la collaboration des Banques alimentaires du Québec.
« Une chef cuisinière travaille ici pendant la journée et des aînés du quartier viennent transmettre leur savoir-faire et leurs recettes, explique Christelle Onomo Lopes, directrice générale de la maison des jeunes de Lachine. On avait des jeunes qui ne savaient même pas peler une pomme ! On leur apprend aussi à gérer l'épicerie, à faire à manger en utilisant bien les restes. »
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Christelle Onomo Lopes, directrice générale de la maison des jeunes L'escalier, à Lachine
Ils apprennent à cuisiner pour devenir autonomes, mais au détour, explique Mme Onomo Lopes, quelques vocations jaillissent. Certains envisagent d'en faire un métier et cette cuisine – qui est utilisée depuis quelques mois, avant l'inauguration officielle – leur offre une première expérience de travail.
De la bibliothèque... aux Jeux olympiques
L'une des plus à l'aise en cuisine, c'est Afi Adjavon. gée de 18 ans, elle est arrivée au Québec depuis le Togo à la toute fin de l'automne 2021. Le premier hiver, dit-elle, elle allait à l'école et nulle part ailleurs. Tétanisée par l'hiver. Et à l'école, « je ne faisais qu'aller à la bibliothèque, j'étais maladivement timide ! »
C'est Wilfried Edou, qui fréquentait la même école secondaire qu'elle, qui lui a suggéré d'aller faire un tour à la maison des jeunes où lui-même, très impliqué, s'est vu confier le rôle de coordonnateur des programmes sportifs.
« L'accueil que j'ai reçu a été formidable. À la maison des jeunes de Lachine, j'ai trouvé une famille », dit aujourd'hui Afi.
Et c'est comme ça… qu'elle est allée aux Jeux olympiques de Paris, lance Afi.
Aux Jeux olympiques ?
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Afi Adjavob et Wilfried Edou, de la maison des jeunes L'escalier, à Lachine
La directrice, Christelle Onomo Lopes, n'en avait rien dit aux jeunes. Issue d'une famille de sportifs et déterminée à faire bouger les jeunes qu'elle trouve vraiment trop inactifs, elle les a poussés à participer à des olympiades en leur disant que les grands gagnants des compétitions gagneraient « un gros, gros truc ».
Ils n'auraient pas pu imaginer à quel point ce truc allait être vraiment très gros : un voyage à Paris pour assister aux Jeux olympiques, l'an dernier.
« Je suis originaire de France, j'ai un gros réseau là-bas et j'ai mis tout le monde à contribution. On a trouvé des commanditaires, puis des billets moins chers pour les compétitions de basket, de soccer et de boxe, on a réservé des auberges de jeunesse à deux pas de la Bastille… », explique Mme Onomo Lopes.
Des campagnes de financement à grands coups de vente de limonade et de hot-dogs ont fait le reste.
Et c'est ainsi que huit jeunes se sont envolés pour Paris.
Afi Adjavon n'y était jamais allée. Et plus que la ville, ce qui l'a émue, c'est d'assister à la cérémonie de remise de médailles. « C'était tellement touchant ! J'en ai pleuré ! »
La maison des jeunes de Montréal-Nord, comme une respiration
La maison des jeunes de Montréal-Nord est elle aussi très fréquentée : environ 200 jeunes y passent dans l'année, avec un noyau dur de 40 jeunes qui viennent sur une base très régulière.
On y vient pour « chiller » – il y a des sofas, un piano électrique, des ordinateurs, un vélo stationnaire, des jeux de toutes sortes –, pour passer du temps entre jeunes, pour être aidé dans ses devoirs. « Hier, une mère est passée me remercier en personne tellement elle était contente de la réussite de sa fille, c'était touchant », lance Sheilla Fortuné, directrice de la maison des jeunes de Montréal-Nord.
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La maison des jeunes L'ouverture, dans Montréal-Nord
« Nous recevons beaucoup de reconnaissance des jeunes et de leurs parents. On les aide avec la grammaire, les maths, leurs présentations orales », dit-elle.
Comme beaucoup d'immigrants récents habitent dans le quartier, « on donne aussi un coup de main aux parents et aux jeunes avec les formulaires d'école de toutes sortes », relève Jasmyne Pierre-Blanc, coordonnatrice et intervenante psychosociale.
Marie Oulaï, 19 ans, parle de l'endroit comme d'une vraie bouée de sauvetage. Arrivée de la Côte d'Ivoire avec sa mère il y a deux ans, elle s'ennuyait à fond, chez elle. Et elle était en colère, dit-elle. « J'ai souffert de l'absence de mon père, qui est resté en Côte d'Ivoire. Je n'ai même pas pu lui dire au revoir quand on est partis, il était dans une autre ville. »
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Marie Oulaï, une jeune qui fréquente la maison des jeunes L'ouverture, dans Montréal-Nord
À la maison des jeunes, dit-elle, elle est la grande pro de la cuisine. Elle y a aussi découvert le slam, qui l'a aidée à chasser sa tristesse, dit-elle. « Je suis venue ici chaque jour, chaque saison, c'était une échappatoire pour moi. C'est ici, aussi, que j'ai touché à de la peinture pour la première fois ! »
À Lachine comme à Montréal-Nord, toutes sortes d'ateliers sont proposés aux jeunes : sur l'intimidation, l'exploitation sexuelle, les réseaux sociaux, la confiance en soi, l'hygiène, etc.
Jasmyne Pierre-Blanc, coordonnatrice, se dit touchée par le parcours de chacun des jeunes. « Je viens moi-même de Montréal-Nord. Je suis née ici, de parents haïtiens, j'ai vécu ce qu'ils vivent et le parcours de chacun me touche vraiment. Pour eux, notre maison des jeunes, c'est leur deuxième maison. »