a day ago
Mot de l'éditeur adjoint
Bâtiments détruits dans le quartier d'al-Touffah de la ville de Gaza
La guerre à Gaza s'est invitée jusqu'à La Presse, lundi dernier. Un groupe de manifestants s'est précipité à l'intérieur de l'immeuble et a été stoppé dans l'entrée par la police. Épisode bref et sans conséquence, mais révélateur du défi que pose la couverture du conflit que mène Israël.
L'incident illustre l'intensité des camps qui s'affrontent, et qui accusent tous les grands médias de biais, de partialité, de complicité. Chaque mot, chaque image, chaque choix éditorial est scruté et contesté par courriel, sur les réseaux sociaux, dans la rue, ou carrément devant les bureaux des journalistes. Québecor a été ciblé il y a quelques semaines, Radio-Canada l'a aussi été ces derniers jours.
Preuve que de présenter les nuances d'un conflit aussi complexe revient, inévitablement, à ne satisfaire aucun camp.
Mais de quoi est faite cette couverture quotidienne ? D'où vient-elle ? Qui signent ces textes provenant du Moyen-Orient, surtout quand on sait que La Presse a envoyé des journalistes en Israël, mais pas à Gaza, comme certains militants nous l'ont reproché ?
Ils proviennent de journalistes sur le terrain qui collaborent avec les grandes agences de presse, comme l'Agence France-Presse, Reuters et Associated Press. Ce sont souvent des pigistes locaux, surtout à Gaza.
Car voilà un fait qu'on oublie trop souvent : Israël interdit l'accès de la bande de Gaza à tout journaliste étranger, dont ceux de La Presse, depuis la fameuse attaque du 7 octobre 2023. Une situation sans précédent.
Les rares exceptions se font sous escorte militaire, pour des visites brèves, sur des trajets imposés.
Résultat : la couverture dépend presque entièrement de journalistes palestiniens, qui vivent au rythme des frappes, des coupures d'électricité, et de la recherche d'eau et de nourriture.
Les agences travaillent donc avec ces équipes locales. Sans elles, pas d'images de l'après-coup d'une frappe, pas de vues aériennes de Gaza en ruine, pas de photos de citoyens affamés.
Or, la production de ces nouvelles et témoignages, déjà difficile, l'est chaque jour un peu plus, à mesure que les conditions se dégradent et que des voix s'éteignent.
PHOTO OMAR AL-QATTAA, AGENCE FRANCE-PRESSE
Des personnes endeuillées portant les corps des journalistes d'Al Jazeera tués lors d'une frappe israélienne à Gaza
Vous avez bien sûr lu sur ces journalistes d'Al Jazeera tués dans une frappe, dimanche dernier. Ils s'ajoutent aux quelque 200 journalistes palestiniens tués depuis le début de la guerre, selon le Comité pour la protection des journalistes. À titre de comparaison, la guerre en Ukraine a coûté la vie à 18 journalistes. Aucun autre conflit récent n'a été aussi meurtrier pour la profession.
Et pourtant, malgré des conditions inimaginables, l'information continue de sortir. Photos, vidéos et dépêches franchissent la frontière, souvent au prix d'efforts qu'on devine considérables.
C'est en partie ce que nous publions dans La Presse.
Chaque fois qu'un journaliste local meurt, l'angle mort du grand public s'élargit, forcément. C'est un fait, non pas une prise de position.
Cela amène un curieux paradoxe pour les lecteurs : ils ont accès, comme jamais, à une quantité phénoménale d'images de la guerre sur les réseaux sociaux, et pourtant, ils ont accès à bien peu d'information vérifiée et précise.
Les images circulent en effet sans contexte ni garantie d'authenticité, et l'absence de témoins étrangers indépendants fragilise la couverture, alimente la méfiance et les accusations de partialité. D'un côté comme de l'autre.
Au-delà de ce conflit comme tel, la crainte pour les défenseurs de la liberté de la presse, c'est que cette situation crée un précédent : qu'un conflit puisse être mené à huis clos, que des journalistes soient ciblés sans conséquence et que l'accès soit entièrement contrôlé par les parties impliquées dans la guerre.
Voir la police intervenir devant nos bureaux lundi m'a rappelé à quel point ce conflit, à des milliers de kilomètres, déclenche des passions jusque devant nos portes. Et que la guerre elle-même se déroule loin des regards, derrière une frontière fermée.
Précision sur les pétitions
Depuis des mois, associations et agences de presse réclament la réouverture de Gaza à la presse internationale. Mardi dernier, nous avons publié un « Appel à la solidarité envers les journalistes de la bande de Gaza ». Parmi les signataires figuraient plusieurs anciens de La Presse, mais aucun membre actuel de la rédaction.
Ce n'est pas un désaveu, mais le respect d'une règle inscrite dans notre Guide des normes et pratiques journalistiques : le devoir de réserve, qui vise à préserver la confiance du public en évitant toute apparence d'appui à une cause ou un mouvement.
Les journalistes de La Presse, qu'ils soient reporters ou chroniqueurs, ne peuvent signer de pétitions portant sur des enjeux d'actualité ou susceptibles d'être couverts par le média.
Des exceptions existent, mais elles sont rares. Et elles doivent porter uniquement sur un enjeu journalistique, comme la liberté de la presse, à condition qu'elle ne comporte aucune revendication politique précise ni ne cible un acteur particulier comme un gouvernement, un parti ou une entreprise.
C'est une ligne que nous nous imposons, non pour rester à distance des enjeux, mais pour pouvoir continuer à les couvrir sans que notre impartialité soit mise en doute.