30-07-2025
Au grès du feu
Les nuances fumées des céramiques d'Emmanuelle Roque résultent d'une cuisson au feu dans un baril d'acier. Dépourvus de glaçure et donc poreux, ses vases peuvent uniquement accueillir des fleurs séchées.
Lorsque des esprits curieux se penchent sur ses vases et sculptures aux nuances terreuses, Emmanuelle Roque aime préciser que c'est le feu qui décide de l'apparence de ceux-ci et les rend uniques. Grâce à l'enfumage, un mode de cuisson des céramiques issu de la nuit des temps et apprivoisé en autodidacte, la jeune Québécoise renoue intimement avec ses racines mexicaines.
Styliste brillante pour des studios d'architecture et de design d'intérieur, Emmanuelle Roque cultive dans l'ombre une passion pour la céramique. Avec l'arrivée des beaux jours vient un besoin existentiel, depuis cinq ans : celui de rejoindre la campagne de l'Estrie ou de la Mauricie pour donner aux pièces façonnées dans son appartement-atelier du Mile-Ex, à Montréal, leur fini fumé singulier. Brun, noir ou gris cendré selon l'alchimie qui s'opère dans le baril d'acier qui sert de laboratoire à ses expérimentations artistiques. Et dans lequel elle ajoute parfois des feuilles, du sel ou du café moulu.
Je cherche à avoir des contrastes de couleur. J'aime que le résultat obtenu grâce au feu soit inégal. Il m'arrive d'ailleurs d'y remettre une céramique si ce n'est pas le cas.
Emmanuelle Roque
Le relief de ses vases et sculptures confiés aux flammes change aussi au cours de cette opération merveilleuse et délicate.
Terre patrie
C'est sur le balcon de sa mère à Montréal, lors de l'été 2019, qu'Emmanuelle s'initie à la cuisson de ses céramiques, façonnées au colombin, selon la technique de l'enfumage dont l'origine remonte au néolithique.
« J'ai découvert ma recette à travers mes expériences. Au début, j'avais des fissures dans mes céramiques ; j'ai connu beaucoup de pertes », raconte-t-elle.
PHOTO ALEX LESAGE, FOURNIE PAR EMA CERAMICS Une fois séchée, l'argile des vases et sculptures peut être peaufinée à l'aide d'un grattoir lisse pour supprimer des imperfections.
PHOTO ALEX LESAGE, FOURNIE PAR EMA CERAMICS Un grattoir en acier dentelé permet d'égaliser la surface d'une pièce d'argile fraîchement façonnée et de corriger des irrégularités.
PHOTO ALEX LESAGE, FOURNIE PAR EMA CERAMICS Après une première cuisson dans un four de céramiste, les créations d'Emmanuelle Roque sont déposées dans un baril d'acier pour un enfumage qui leur donnera leurs teintes et textures particulières.
PHOTO ALEX LESAGE, FOURNIE PAR EMA CERAMICS La céramiste aime ajouter des brindilles, des feuillages et parfois du sel et du café au feu dans son baril avant de laisser la nature faire son œuvre.
PHOTO ALEX LESAGE, FOURNIE PAR EMA CERAMICS Après une journée de patience, les céramiques peuvent être retirées du baril pour révéler leur beauté brute.
PHOTO ALEX LESAGE, FOURNIE PAR EMA CERAMICS
Une fois séchée, l'argile des vases et sculptures peut être peaufinée à l'aide d'un grattoir lisse pour supprimer des imperfections.
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Mais elle conserve précieusement les fragments de ses créations et entreprend, au fil de son cheminement artistique, de partir à la découverte de la culture du Mexique, le pays de son père, où elle a passé ses vacances au cours de ses jeunes années. Elle s'intéresse en particulier au travail des potières d'Oaxaca qui ont recours au feu pour fabriquer les objets usuels du quotidien (plats, bols, pichets…) et dont elle part à la rencontre.
L'isolement dans un chalet familial à la campagne au retour d'un voyage au Mexique au printemps 2020, qui la mènera à séjourner six mois au vert, lui permet de donner corps à sa première collection. Intitulée Stone, elle témoigne de sa passion pour les pierres.
« En voyage, j'ai toujours adoré cueillir des roches », confie la céramiste qui a découvert récemment, lors d'un séjour aux îles Canaries, que son nom de famille évoquait justement celles-ci en espagnol.
PHOTO ALEX LESAGE, FOURNIE PAR EMA CERAMICS
Emmanuelle Roque profite de ses voyages et de ses randonnées dans la nature québécoise pour rechercher de l'argile sauvage dans le lit des rivières.
Où qu'elle aille, elle observe les formations rocheuses, les photographie et récolte des pierres qu'elle intègre à sa pratique. Un bout de roche volcanique rougeâtre (le tezontle) rapporté du Mexique lui permet par exemple de recréer la texture de la pierre sur ses pièces d'argile et de grès.
Nous avons beaucoup de formations rocheuses au Canada. Chaque fois que je visite une nouvelle province, je découvre des montagnes qui ont leurs propres silhouettes et textures, cela m'inspire énormément.
Emmanuelle Roque
En éclaireuse
Chaque balade le long d'une rivière l'encourage aussi à partir à la recherche d'argile sauvage, dont elle conserve précieusement quelques échantillons dans son atelier et consigne les particularités en vue de futures créations.
« Tout se fait organiquement. Cette évolution naturelle et le lâcher-prise qui accompagne la cuisson de mes créations caractérisent ma pratique », remarque Emmanuelle, qui rentre d'un voyage à Terre-Neuve et se prépare à partir dans une île au milieu du Saint-Laurent.
PHOTO ALEX LESAGE, FOURNIE PAR EMA CERAMICS
Certaines céramiques de la collection Stone ont un aspect lunaire qui en font des objets intemporels.
Elle s'intéresse depuis un moment aux reliefs formés par les fossiles qu'elle rêve de pouvoir reproduire dans un projet aux contours encore flous. Elle aimerait aussi collaborer avec des architectes et designers d'intérieur.
Elle présentait d'ailleurs, début juillet, une petite mosaïque de tuiles fumées à l'exposition Jeux d'été du collectif Ensemble, à Montréal.
Elle met également la dernière main, avec l'Atelier Fomenta, à des appliques murales en argile aux teintes terreuses qui éclaireront un nouveau restaurant mexicain montréalais. Un heureux présage.
Consultez le site d'Ema Ceramics