08-07-2025
Polémique au Festival d'été de Québec
L'image est presque une caricature de celles générées par l'intelligence artificielle. Une main coulée dans le bronze sert de perchoir à un oiseau. Sauf qu'il manque un doigt à la main… et une patte à l'oiseau. L'image n'est pas anodine. Elle fait partie d'une campagne publicitaire créée par l'agence Cossette pour le Festival d'été de Québec (FEQ), qui soulève la polémique depuis une semaine.
Des illustrateurs et associations d'illustrateurs ont condamné le recours à l'intelligence artificielle (IA) par le Festival d'été de Québec, qui se déroule jusqu'au 13 juillet. Ils ont bien raison de le faire. C'est pour le moins décevant de la part d'un évènement réputé respectueux des artistes, dirigé par un OSBL subventionné, bon an, mal an, à hauteur d'environ 10 % de son budget de quelque 50 millions.
C'est un manque de considération pour les artistes visuels qui, traditionnellement, ont contribué à l'image de marque du festival. Le travail des illustrateurs, comme celui de bien des artistes (de la chanson, notamment), est mis en péril par l'avancée à la vitesse grand V de l'IA, qui se fait souvent au détriment du droit d'auteur.
« Il est toutefois important de préciser que l'outil d'IA utilisé dans le cadre de notre récente campagne, Adobe Firefly, a été choisi précisément parce qu'il respecte les droits d'auteur et la propriété intellectuelle », s'est défendu le Festival d'été de Québec par courriel lundi.
Cet outil a été utilisé par le graphiste dans une logique de soutien créatif, et en aucun cas pour remplacer le travail des artistes. La campagne repose sur une idée forte, pensée et encadrée par une équipe humaine de professionnels, à chaque étape du processus.
Réaction du Festival d'été de Québec, par courriel
Malgré les assurances d'Adobe, l'entreprise derrière le célèbre logiciel Photoshop, bien des artistes demeurent sceptiques quant à la provenance des images ayant servi à entraîner l'outil Firefly, ce qui soulève des inquiétudes liées à la violation du droit d'auteur. Le magazine Wired s'est notamment penché sur la question l'an dernier. Il n'y a pas de garantie absolue que les images créées pour la campagne publicitaire du FEQ n'enfreignent pas, d'une manière ou d'une autre, la propriété intellectuelle d'ayants droit.
C'est tout le problème de l'IA générative qui, trop souvent, pille sans autorisation le contenu de différents artistes – les œuvres d'illustrateurs comme celles d'auteurs ou de compositeurs, par exemple – et le régurgite en condensé, tout en faisant concurrence aux œuvres originales qui l'ont nourrie, sans compensation pour les créateurs ainsi bafoués. Et c'est sans parler de l'impact environnemental des outils d'intelligence artificielle.
Que l'IA utilisée dans la campagne promotionnelle du FEQ soit plus éthique que d'autres ne change pas le fait que c'était une bien mauvaise idée. D'abord, parce que ce festival d'envergure a les moyens de se passer de l'intelligence artificielle, en se rangeant clairement du côté des artistes. Je suis convaincu que la grande majorité des musiciens qui ont foulé les scènes du FEQ depuis le week-end dernier partagent les inquiétudes des illustrateurs.
Ensuite, c'est une bien mauvaise idée parce que – comment dire ? – il manque un doigt et une patte à l'illustration ! Ce qui n'a pas mis la puce à l'oreille de l'ensemble des gens qui ont approuvé cette campagne publicitaire sans sourciller, chez Cossette comme au FEQ. Heureusement, du reste, qu'il n'y avait que quatre doigts dans cette main, sinon la plupart d'entre nous auraient été dupés.
L'un des principes de l'acceptabilité de l'IA est la transparence. Est-ce de l'IA ou pas ? On ne devrait pas avoir à se fier aux erreurs de ses outils pour le savoir.
À la suite de controverses semblables l'an dernier, le Salon du livre de Montréal et le Salon du livre de l'Outaouais se sont engagés à ne plus recourir à l'IA dans leur matériel promotionnel. Lorsque j'ai posé la question à la direction du FEQ, à savoir si le festival comptait éviter cette pratique à l'avenir, la réponse a été plus sibylline. « Nous analysons chaque projet, chaque outil, au cas par cas, en tenant compte de ses dimensions artistiques, humaines et éthiques. Il n'y a pas de position arrêtée, mais une volonté claire de demeurer à l'écoute du milieu culturel, d'agir avec rigueur et de faire preuve de responsabilité dans nos choix créatifs. »
Faire preuve de responsabilité, en l'occurrence, serait éviter à tout prix de répéter cette expérience désastreuse. Et tenir compte des dimensions artistiques serait se rappeler que toute utilisation de l'IA générative dans un contexte artistique risque de porter atteinte aux artistes. « L'intelligence artificielle devrait nous permettre d'accomplir des tâches cléricales. La créativité, on devrait laisser ça aux humains », rappelle Stéphanie Hénault, directrice des affaires juridiques de l'Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), qui s'intéresse de près à ces questions.
L'avocate, qui a aussi travaillé à la SARTEC et à l'ADISQ, n'est pas surprise par cette nouvelle polémique, dans la mesure, dit-elle, où l'on presse les organisations à utiliser l'IA afin d'être plus compétitives, alors que ses outils sont imparfaits. « On franchit une ligne à ne pas franchir, qui est celle de l'art », croit-elle. Une œuvre originale au sens de la loi canadienne est une œuvre créée par un être humain, qui n'est pas la copie d'une autre œuvre. Une illustration ratée comme celle de la campagne publicitaire du FEQ est la preuve, s'il en faut, que ses dirigeants auraient mieux fait de confier le mandat à un artiste en chair et en os.
J'ai lu mardi le manifeste pour la défense de la création authentique qui prône un « développement responsable et prudent des outils d'intelligence artificielle », lancé le mois dernier par six organisations syndicales québécoises (dont l'UDA et la SARTEC) représentant quelque 25 500 artistes et techniciens, et cosigné depuis par de nombreux organismes. J'en ai retenu cette phrase clé : « L'art est humain. » L'IA n'en est qu'une imitation sans âme.