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La mauvaise blague a assez duré
La mauvaise blague a assez duré

La Presse

time5 days ago

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La mauvaise blague a assez duré

Léa Clermont-Dion réplique à une lettre de Gilbert Rozon1, poursuivi au civil par neuf femmes qui allèguent avoir subi des agressions sexuelles, dans laquelle il réagissait à une chronique2 et à un éditorial3 publiés dans La Presse les 9 et 12 juillet. Léa Clermont-Dion Autrice, réalisatrice et chercheuse à l'Université Concordia Le 17 juillet dernier, Gilbert Rozon prenait l'initiative de nous exposer son point de vue sur les violences sexuelles, le mouvement #metoo qu'il caricature grossièrement comme un grand complot – et, surtout, de se poser en victime. Sociologue improvisé, Rozon dépeint le mouvement comme un « bûcher qui, dans sa version actuelle, n'attend plus de preuves ». Faut-il comprendre que, dans sa logique, ce sont les agresseurs présumés qui seraient envoyés au bûcher ? Si l'on suit sa métaphore, les victimes d'agressions sexuelles qui dénoncent deviennent les véritables coupables. Une inversion des rôles pour le moins perverse, mais répandue chez les influenceurs masculinistes comme Andrew Tate et parfois même dans la défense des agresseurs lors de procès au Québec. Autre observation généreusement offerte par Monsieur Rozon : « C'est kafkaïen. C'est ubuesque. C'est stalinien. C'est une forme douce de totalitarisme. » Il poursuit : « Et, malheureusement, je dois encore me battre contre les médias devenus les complices zélés de #metoo. » Un mouvement historique Le mouvement #metoo est historique, et le Québec s'y illustre de façon exemplaire. Grâce à cette mobilisation – portée par des milliers de voix –, des gains politiques concrets ont été réalisés. Le système de justice a été amélioré pour mieux traiter les plaintes d'agressions sexuelles. Des exemples ? L'implantation de tribunaux spécialisés en matière de violences sexuelles et conjugales, l'adoption de la loi 22 qui vise à prévenir les violences à caractère sexuel dans les établissements d'enseignement supérieur et à lutter contre elles, l'adoption de la poursuite verticale, etc. À ce jour, 166 des 190 recommandations du rapport Rebâtir la confiance qui a découlé de #metoo ont donné lieu à des actions concrètes pour améliorer l'accompagnement des victimes d'agressions sexuelles dans leur processus judiciaire. Rozon erre en comparant ce mouvement à une forme de totalitarisme émotionnel. « Une reprogrammation des faits au service d'un récit. » Le totalitarisme, si l'on se fie à l'analyse d'Hannah Arendt, désigne généralement un régime fondé sur la terreur, le mensonge systémique et l'effacement de la réalité. Alors vraiment, le mouvement #metoo serait-il totalitaire ? Au contraire : #metoo a renforcé l'équité, la justice et l'État de droit. Suis-je surprise de lire de telles errances ? Pas vraiment. Je viens tout juste de publier un chapitre dans l'ouvrage collectif Polémiques publiques, médias et radicalités discursives (Presses de l'Université Laval)4, qui porte précisément sur les rhétoriques du blâme de la victime dans les médias. Gilbert Rozon a bu le kool-aid de l'idéologie réactionnaire dénigrant joyeusement les victimes d'agressions sexuelles – un discours bien rodé qui ne se contente pas de discréditer les personnes qui dénoncent, mais attaque aussi systématiquement le mouvement #metoo. À partir d'une analyse de discours des textes médiatiques marquants depuis 2017, j'ai mis en lumière cette mécanique de décrédibilisation. La lettre publiée jeudi en est un exemple éclatant. Trois arguments à démonter Dans le livre, j'identifie trois grands argumentaires de dénigrement des victimes et du mouvement #metoo. Le premier, appelé argumentaire victimaire, repose sur l'idée que les femmes qui dénoncent se complairaient dans une posture de victime perpétuelle. Cette posture est dépeinte comme stratégique, voire manipulatrice, et associée à une forme de fanatisme idéologique. La psychologue Patrizia Romito montre que cette accusation vise à renverser la culpabilité, à banaliser la violence subie et à déshumaniser les victimes en les rendant responsables de leur propre souffrance. Le deuxième argumentaire, celui du lynchage, accuse les victimes de chercher à punir publiquement les présumés agresseurs sans passer par la justice formelle. On y retrouve l'idée d'un « néoféminisme toxique » qui instrumentaliserait les dénonciations pour mener des campagnes de diffamation, souvent facilitées par les réseaux sociaux. Le troisième argumentaire mobilise la défense de l'État de droit. Il avance que les dénonciations publiques érodent la présomption d'innocence et constituent une menace pour la démocratie. Selon cette perspective, la libération de la parole se ferait au détriment des principes fondamentaux de justice. Les femmes dénonciatrices sont parfois qualifiées d'hystériques ou d'instrumentalisées, et l'on craint une substitution des « tribunaux médiatiques » aux institutions judiciaires officielles. La parole de Gilbert Rozon est symptomatique d'une perspective malheureusement répandue et c'est déplorable. Ces trois types de discours forment un socle commun de remise en question de la parole des victimes. Ils contribuent à la banalisation des violences sexuelles, à la perpétuation d'un ordre social inégalitaire et à la consolidation d'un backlash sous couvert de défense des libertés et des institutions. Je suis profondément préoccupée. Une récente étude révèle que 75 % des jeunes Québécois âgés de 15 à 25 ans adhèrent à des mythes remettant en question la crédibilité des femmes victimes d'agressions sexuelles. Plus de 7 jeunes sur 10 de cette même tranche d'âge adhèrent également à des idées qui tendent à déresponsabiliser les hommes auteurs de ces violences5. Ce constat est alarmant. Il me semble impératif de redoubler d'efforts en matière d'éducation à la prévention des violences sexuelles. Surtout, il faut répliquer aux discours fallacieux et dangereux qui continuent d'être relayés, parfois avec aplomb et ridicule, dans les médias. Cette mauvaise blague a assez duré. 1. Lisez la lettre de Gilbert Rozon 2. Lisez la chronique d'Isabelle Hachey « Le monde parallèle de Gilbert Rozon » 3. Lisez l'éditorial de Stéphanie Grammond « Rozon fait l'étrange procès de son procès » 4. Clermont-Dion, L. (2025). Blâme de la victime : une analyse dans la presse québécoise (2014 – 2022). Dans M. Potvin, F. Nadeau, S. Tremblay, M.-E. Carignan & M. Colin (Dirs.), Polémiques publiques, médias et radicalités discursives (chap. 8). Presses de l'Université du Québec. 5. Karine Baril, Dominique Trottier, Manon Bergeron, et Sandrine Ricci (2025). L'adhésion aux mythes et préjugés sur l'agression sexuelle chez les Québécoises et Québécois de 15 ans et plus – Rapport synthèse. Montréal (Qc), Canada : Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d'enseignement supérieur, Université du Québec à Montréal. Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue

Je ne suis pas cet homme
Je ne suis pas cet homme

La Presse

time6 days ago

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Je ne suis pas cet homme

Gilbert Rozon à sa sortie du tribunal, le 9 juillet dernier Je ne suis pas cet homme L'auteur réagit à deux textes publiés dans La Presse les 9 et 12 juillet derniers. Gilbert Rozon Entrepreneur et fondateur de Juste pour rire Je souhaite réagir à une chronique d'Isabelle Hachey⁠1, qui cherchait essentiellement à faire pencher la balance de la justice en ma défaveur, suivie d'un éditorial de Stéphanie Grammond⁠2. Je n'ai nul espoir de les faire changer d'avis. Mais pour mémoire, rappelons tout de même qu'il y a huit ans, il n'aura suffi que de quelques publications sur les réseaux sociaux, d'une réunion collective, d'entrevues sommaires, de regards complices entre journalistes… Et déjà, le couperet tombait. Pas de procès. Pas d'enquête sérieuse. Pas de questionnement sur les motivations des accusatrices. Rien qu'un feu de joie médiatique, allumé à la hâte, dans lequel on m'a jeté sans la moindre étincelle de doute. Le bûcher, dans sa version numérique, n'attend plus de preuves : il exige une offrande. En quelques heures, sous l'effet de cette condamnation médiatique, j'ai tout perdu. Et j'ai irrémédiablement cessé d'être un homme pour devenir une allégorie : celle du monstre, du salaud, de l'ennemi public numéro un. Le bouc émissaire. Le symbole anti-#metoo. Le rôle m'a été assigné sans audition. Je ne suis pas cet homme. J'ai été jugé dans la rue, exécuté à la une, crucifié sur les réseaux, pendant que la justice, elle, prenait le temps d'examiner. Et qu'a-t-elle trouvé ? Une seule accusation, issue de plusieurs années d'enquête rigoureuse. Une seule. Jugée. Pour laquelle j'ai été acquitté. Et pourtant, au lendemain du verdict, un de leurs collègues m'a jugé à nouveau, en titrant : « Paria ». Comme si la justice n'avait aucun poids face au tribunal médiatique. Car, dans ce monde inversé, l'innocence juridique ne vaut rien face au besoin collectif de brûler quelqu'un. Et ce jour-là, ce fut moi. J'ai respecté les enquêtes. Je n'ai jamais utilisé les médias contre les demanderesses ni tenté d'influencer la justice. Aujourd'hui, nous voilà rendus en cour civile. Là où n'importe qui peut poursuivre, sans enquête préalable. L'argent Et enfin, la vérité officieuse se dévoile : il est question d'argent. Rien d'autre. L'argent qui corrompt, qui déchire, qui fait mentir. L'argent pour lequel on trahit, on manipule, on remonte le fil du temps jusqu'à l'effondrement de toute logique. Le 17 octobre 2017, une coalition de demanderesses s'est formée dans le seul but d'obtenir une compensation financière. Peu importe les discours, les slogans, les causes affichées : cette croisade, depuis le départ, poursuit un but unique. Et ce but brille. Dès le début, on a misé sur la quantité, non sur la qualité des allégations et des demandes financières. Mme Hachey a-t-elle seulement lu leurs témoignages ? Je parle ici des déclarations médiatiques, policières, de celles recueillies en préinterrogatoire, ou livrées sous serment. On y découvre des contradictions grossières, des ajouts tardifs, des récits qui gonflent avec le temps jusqu'à ne plus ressembler à leur version initiale. Un lexique commun s'est imposé, comme si un chef de chœur avait distribué les paroles. On chante à l'unisson, avec les mêmes mots, les mêmes tournures. Le naturel s'est évaporé. Tout est contaminé. À force d'étoffer leurs récits, les demanderesses sont devenues prisonnières de leurs propres déclarations. Et d'autant plus qu'elles sont portées par la complicité des médias. Mais ce n'est pas tout. Mes témoins, eux, sont intimidés, menacés, déstabilisés par celles-là mêmes qui se réclament d'une cause. Et au Palais de Justice, que dire des agressions verbales et physiques, accompagnées de menaces de mort ? Tout cela sous les rires et les encouragements des demanderesses. On a troqué la vérité pour la stratégie. La justice, pour l'idéologie. Et quand la fin justifie les moyens, c'est qu'on a quitté le territoire du droit pour entrer dans celui de la foi aveugle. On remonte dans le passé. Trente, quarante, cinquante ans en arrière. Peu importent les contextes, les mœurs de l'époque, les rapports d'alors. Juste après #metoo, le gouvernement balaie complètement la prescription en matière civile. Pourtant, cela soulève de sérieuses questions : sur la mémoire, la qualité de la preuve et l'évolution des mœurs. Un nouvel article de loi Et comme si cela ne suffisait pas, un nouvel article de loi (l'article 2858.1) est entré en vigueur deux jours avant mon procès. Celui-ci limite le droit à une défense pleine. Et redéfinit entre autres le consentement, au détriment du droit à une défense pleine et entière. « Non, c'est non », tout le monde est d'accord là-dessus. Mais désormais, « oui » peut devenir « non »… après coup. Une femme peut dire, des décennies plus tard : « Je n'ai pas dit non, mais je le pensais. » Ou : « J'ai dit oui, mais je le regrette. » Ce qui signifie qu'un accord explicite, écrit ou filmé, pourrait un jour être annulé, au nom d'une émotion tardive, d'une emprise supposée, ou de je ne sais quoi. C'est kafkaïen. C'est ubuesque. C'est stalinien. C'est une forme douce de totalitarisme émotionnel. Une reprogrammation des faits au service d'un récit. Je réitère qu'il existe aujourd'hui un véritable risque d'extorsion légalisée. Et en effet, depuis #metoo, la quasi-totalité des hommes poursuivis, innocents ou non, règlent hors cour. Parce qu'une simple dénonciation médiatique suffit à briser une réputation, une carrière, une vie. Pendant ce temps, la justice, elle, suit son cours. Lentement. Oui, j'ai été acquitté. Oui, ces poursuites, depuis le début, sont fondées sur l'argent. Oui, l'argent peut motiver, corrompre, manipuler, effacer la vérité et réécrire le passé. Oui, les demanderesses ont eu huit ans pour harmoniser et gonfler leurs récits. On m'a reproché de ne pas m'être exprimé en 2017. J'ai donné mes raisons sous serment. C'est entre autres qu'à l'époque, toute tentative de défense publique était immédiatement qualifiée de « poursuite-bâillon ». Ce fut le cas lorsque j'ai poursuivi Julie Snyder et Pénélope McQuade : elles ont plaidé jusqu'en Cour d'appel que ma démarche était abusive. Et, malheureusement, je dois encore me battre contre les médias devenus les complices zélés de #metoo. Ce n'est pas le journalisme que j'accuse ici. C'est son abdication. Son glissement paresseux, entre autres, vers le militantisme. Son besoin d'appartenir à la bonne meute, plutôt que de chercher rigoureusement la vérité, comme c'était jadis sa vocation. Ceux qui signent ces textes ne sont pas sans savoir que toute tentative d'influencer la justice finit tôt ou tard par se retourner contre ses instigateurs. L'histoire le montre : la terreur ne reste jamais longtemps du même côté de la guillotine. Elle se retourne. Elle frappe ceux-là mêmes qui l'ont nourrie. 1. Lisez la chronique « Le monde parallèle de Gilbert Rozon » 2. Lisez l'éditorial « Rozon fait l'étrange procès de son procès » Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue

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